Extraits du livre de Michel SOURROUILLE, « L’écologie à l’épreuve du pouvoir ».
La séparation des tâches entre le président de la République et son Premier ministre devrait être mieux perçue par les citoyens. Au président les affaires planétaires, le domaine réservé, au Premier ministre la responsabilité première de gérer le pays au jour le jour. Ce n’est pas au président d’inverser la courbe du chômage ou de se montrer au Salon de l’agriculture. En revanche, c’est à la tête de l’État l’objectif commun de traiter l’urgence écologique. Seule la cohésion idéologique entre le Président et son Premier ministre peut assurer la stabilité gouvernementale.
Le premier ministre, en charge de l’écologie
Le Premier ministre est tenu d’arbitrer entre les demandes de ses différents ministres lorsque les logiques sont contradictoires. Puisque l’écologie est un objectif qui transcende tous les autres, il est normal que le Premier ministre joue aussi le rôle de ministre de l’Écologie et mette enfin l’environnement au cœur du projet gouvernemental.
Depuis la création du ministère de l’Environnement en 1971 – qualifié à l’époque de « ministère de l’impossible » par son premier titulaire Robert Poujade –, l’écologie a toujours été le parent pauvre de l’action publique. Ce qui pouvait être la force de ce ministère, à savoir sa transversalité, est devenu sa plus grande faiblesse. Un sujet est rarement de sa compétence exclusive ; il est souvent du ressort de l’Économie, des Finances, de l’Industrie, de l’Agriculture, de la Santé, de la Recherche, des Affaires étrangères, etc. Or le ministre de l’Écologie est encore aujourd’hui dans un rapport de force le plus souvent inégal avec ces ministères plus puissants. Nicolas Hulot proposait en 2006, dans son Pacte écologique, le moyen d’éliminer cette infériorisation systématique. Il écartait la voie, séduisante en apparence, d’un grand ministère de l’Écologie qui regrouperait l’environnement, l’aménagement du territoire, l’équipement et les transports. Cette solution risquait de diluer encore davantage l’impératif écologique dans un conglomérat d’intérêts contradictoires. Il avait choisi de créer un nouveau poste au plus haut niveau de l’action gouvernementale, celui de vice-Premier ministre, lequel serait responsable de l’impératif écologique dans l’ensemble des politiques de l’État. Autrement dit il superviserait la feuille de route de tout ministère dont l’action relève de l’impératif écologique. L’écologie ayant pour objet, par nature, de préparer l’avenir et d’anticiper les défis, l’ensemble des instruments de prospective de l’État serait rattaché à ce vice-Premier ministre : le Centre d’analyse stratégique (ex-Commissariat général au Plan), la DIACT (Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires), la MIES (Mission interministérielle de l’effet de serre). Ces trois entités pourraient d’ailleurs être rassemblées au lieu de fonctionner en parallèle.
Nicolas Sarkozy avait signé le Pacte écologique de Nicolas Hulot, mais une fois élu président, il n’a pas crée la fonction de vice-Premier ministre. Il n’a envisagé que la conception élargie du ministère de l’Environnement. Alain Juppé est devenu en 2007 ministre d’État, ministre de l’Écologie, du Développement et de l’Aménagement durables (MEDAD) et numéro 2 du Gouvernement. On ajoutera pour son successeur Jean-Louis Borloo l’énergie, puis la mer, les technologies vertes et les négociations sur le climat. Avec le président François Hollande en 2012, le ministre va rétrograder dans la hiérarchie gouvernementale. Plutôt que ces ministères à périmètre variable, plutôt qu’un vice-Premier ministre, nous proposons que ce soit le Premier ministre lui-même qui soit en charge de l’écologie. L’écologie affecte en effet la quasi-totalité de nos modes d’existence, nos emplois, notre alimentation, notre consommation, nos déplacements, nos logements, nos routes, nos loisirs… Quelles lignes directrices suivrait ce Premier ministre écolo ? Un ancien ministre de l’écologie répond :
« Si nous voulons conserver les valeurs cardinales de l’Europe que sont la paix, la démocratie et la solidarité, la transition vers cette société de sobriété doit suivre quatre orientations principales que je résume :
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- la tendance vers l’autosuffisance locale et régionale en matières énergétique et alimentaire ;
- la tendance à la décentralisation géographique des pouvoirs ;
- la tendance à la relocalisation économique ;
- la tendance à la planification concertée et aux quotas, notamment en matières énergétique et alimentaire.
Faute d’un tel plan d’urgence, je crains que notre continent européen traverse bientôt des épisodes troublés dont nous percevons déjà les prémices. Les différents « plans de relance » américain et européen, fondés sur un modèle productiviste moribond, ne feront hélas qu’accélérer l’effondrement. Le seul objectif aujourd’hui réaliste est un engagement immédiat dans la décroissance équitable. Je plaide pour la vérité, c’est à-dire pour une posture churchillienne d’annonce de lendemains qui ne chanteront pas avant longtemps, pour un projet politique de réduction équitable des consommations de matières et d’énergie, pour une mobilisation générale de la population autour d’une sorte d’économie de rationnement organisée et démocratique ».1
L’idée de planifier une politique de décroissance des consommations de matières premières et d’énergie peut choquer, tant nous sommes habitués aux discours inverses. Mais si nous n’opérons pas de manière planifiée, à quoi ferons-nous appel ? Au marché, dont on connaît le peu de cas qu’il fait de l’intérêt général si on le laisse jouer librement ? À la vertu de l’humanité qui, comme chacun le sait, présente quelques fragilités ? Personne ne souhaite aller vers une société de privation et d’abstinence, mais nous n’avons pas d’autre choix que de mettre en place des normes, des réglementations, des instruments fiscaux qui concourront à la modération des productions, des comportements et des consommations. J’entends déjà les cris d’orfraie : c’est une révolution ! Eh bien, oui ! Nous sommes, de fait, engagés dans une révolution, planétaire de surcroît. Tout est en interrelation, le réchauffement climatique est relié à la fois à la combustion de carbone, mais aussi à l’évolution démographique ainsi qu’au niveau de consommation.
Qui peut imaginer que le défi écologique pourra se relever à la marge ? Qui mieux qu’un Premier ministre peut prendre en charge cette application collective d’un projet d’envergure ? Les différents ministres devront le seconder dans cette tâche, chaque ministère traditionnel ayant une optique écologique explicite dans son périmètre d’action. Par exemple, le ministère de la Jeunesse, qui actuellement ne s’intéresse qu’aux jeunes d’aujourd’hui, sera également celui des Générations futures. Nous voulons un gouvernement qui considère que l’écologie est un problème transversal, qui doit être traité en synergie par tous les ministres sans exception.
Le périmètre de compétence de chaque ministère peut varier d’un gouvernement à l’autre. À l’heure actuelle, en février 2016, il y a 18 ministères dans le gouvernement Valls II, sous la présidence de François Hollande : Affaires étrangères ; Écologie ; Développement durable et Énergie ; Éducation nationale, Enseignement supérieur et Recherche ; Justice ; Finances et Comptes publics ; Économie, Industrie et Numérique ; Affaires sociales et Santé ; Travail, Emploi et Dialogue social ; Défense ; Intérieur ; Ville, Jeunesse et Sports ; Fonction publique ; Culture et Communication ; Agriculture, Agroalimentaire et Forêt ; Logement et Habitat durable ; Outre-mer ; Famille, Enfance et Droits des femmes ; Aménagement du territoire, Ruralité et Collectivités territoriales. Notons qu’il y a une seule notion écologique, à savoir l’idée d’« habitat durable », et une méconnaissance totale des réalités écologiques dans l’expression « Agroalimentaire ». Nous pouvons réduire le nombre de ministères à douze tout en traitant l’ensemble de ces responsabilités. Comme l’interdépendance entre les différents ministères est absolue, il semblerait incongru de mettre un niveau de préséance entre ministres. Le ministre de l’Écologie n’est pas à la deuxième place ou à la 22e comme cela a pu être fait historiquement, c’est le Premier ministre qui est porteur de l’impératif écologique et de l’arbitrage final entre priorités différentes. Il aurait à ses côtés des ministères dont l’écologie au sens large serait l’axe principal.
- ministre de l’Économie biophysique et des Flux financiers
- ministre de l’Énergie durable en adéquation avec les Besoins
- ministre de l’équilibre entre Population et Alimentation
- ministre du Travail et du Temps partagé
- ministre de la Protection civile des populations
- ministre de la Relocalisation et de la Mobilité
- ministre des Techniques douces et appropriées
- ministre de l’Espérance de vie en bonne santé
- ministre de la Sobriété partagée et de la Lutte contre les inégalités
- ministre de la Jeunesse et des Générations futures
- ministre de la Nature et de la Biodiversité
- ministre de la Subsidiarité entre territoires
1. Yves Cochet, Antimanuel d’écologie, op. cit.
Tout est encore possible dès 2022 si Jean-Luc Mélenchon devient 1er ministre à l’issue des élections législatives.
Éditorial du « Monde » (18.04.2022) : Le mandat de Macronreste marqué par l’abandon de la taxe carbone, consécutive au mouvement des « gilets jaunes »… Il a repris maintenant les idées de Jean-Luc Mélenchon , la« planification écologique »… C’est le premier ministre, chargé de l’interministériel, qui piloterait la planification écologique… Tout dans le détail reste encore à inventer, mais l’intention est enfin assumée : l’action publique, dans son ensemble, doit être repensée à l’aune de la transition écologique… On peut déplorer que la mue s’opère si tardivement, mais on peut aussi se réjouir qu’elle soit enfin affirmée.
Grg : Comment font les politiques pour ne pas se sentir ridicules ? Comment croire à ce soudain retournement ?
Les « promesses » de Macron ne tiennent qu’à une chose : il fera la réduction des GES et du carbone à grand coup d’atome.
Bientôt viendra le moment de se pencher sur les innombrables déchetteries nucléaires disséminées partout en France.
Reprenant avec son autorisation les écrits de Michel SOURROUILLE, notre blog biosphere présentera pendant quelques jours des textes préparatoires à la présidentielle 2027. En effet les résultats de l’épisode 2022 montrent que cinquante ans après la publication du rapport Meadows sur les limites à la croissance, en 1972, l’écologie politique stagne électoralement. La simple idée qu’il puisse exister des limites écologiques à la croissance économique est restée minoritaire dans l’opinion publique, et carrément hérétique parmi les décideurs. L’idée de décroissance y est au mieux ignorée, au pire utilisée comme une invective facile pour disqualifier l’ensemble des écologistes.
Or le dernier rapport du GIEC est plus alarmant que jamais, une guerre en Ukraine fait craindre pour la sûreté des centrales nucléaires, la hausse des prix de l’énergie préfigure un choc pétrolier et gazier…
« Au président les affaires planétaires, le domaine réservé, au Premier ministre la responsabilité première de gérer le pays au jour le jour. Ce n’est pas au président d’inverser la courbe du chômage ou de se montrer au Salon de l’agriculture. »
En effet, le président se présente régulièrement au salon de l’agriculture et s’implique à commenter le chômage. Mais c’est l’ère des médias qui a transformé la présidentielle. Un président qui ne se présente pas au salon de l’agriculture et ne fais pas de déclaration concernant le chômage ne sera pas réélu ! Avec les médias, il faut que le président se présente sur les lieux pour faire croire qu’il va régler le problème, le président n’agit pas dans le fond, il ne réagit que sur la forme pour entretenir l’illusion qu’il s’implique à gérer le problème. On est dans l’immédiateté en permanence, on présente que des images et des déclarations en réaction aux médias.
En somme, si le Président ne se présente pas au salon de l’agriculture, immédiatement les médias vont dire « Le président est indifférent aux difficultés que doivent faire face les agriculteurs face à la crise » ou encore « Le président ne se préoccupe pas du chômage qui est le premier soucis des français et chômage endémique qui enfonce notre pays dans la crise ». Même Mitterrand n’aimait pas que les médias prennent de plus en plus de place dans la vie des hommes politiques et que les médias traquent en permanence. D’où le fait qu’on est toujours dans l’immédiateté et dans la réactions face aux médias, mais aussi le fait d’avoir raccourci le septennat en quinquennat , quinquennat devenu homme politique fusible pour faire croire qu’on agit alors qu’on réagit à l’opinion publique du moment, d’où les sondages de côte de popularité dont sont obnubilés les politiciens à fixer la courbe au quotidien en la lorgnant.