Thèse : D’un côté « La Révolution antispéciste », un livre qui constate que le mot « spécisme » a été inventé dans les années 1970 en analogie avec les termes racisme et sexisme. Ces trois idéologies participent donc de la même logique et fondent des rapports de domination, d’exclusion et de violence à l’encontre d’individus appartenant à des catégories dépréciées ; le mouvement antispéciste conteste la légitimité de l’élevage, de la pêche et des abattoirs. L’antispécisme n’avance jamais que les humains seraient des animaux comme les autres. Avec le philosophe Peter Singer, on soutient simplement que, d’un point de vue éthique, c’est la capacité, que possèdent les humains et beaucoup d’animaux, à ressentir des sensations et des émotions qui importe. (Yves Bonnardel, Thomas Lepeltier, Pierre Sigler)*
Antithèse : De l’autre, « Vous avez aimé l’antiracisme et l’antisexisme ? Vous n’adorerez pas forcément l’antispécisme. Les plantes, par un étrange préjugé neurocentrique, sont exclues de cette idéologie car sans système neuronal, elles ne peuvent ni jouir ni pâtir de leur propre existence. Il ne s’agit pas d’écologie. Quand les écologistes se réjouissent du retour du loup dans les montagnes, les antispécistes s’indignent que l’Etat vienne aider un nouveau carnassier à exercer sa cruauté sur un mouton – mouton qu’il est évidemment indigne des bergers de préparer à l’abattoir. On comprend alors pourquoi les antispécistes combattent l’écologie politique : il ne s’agit pas de reconnaître dans les autres espèces d’autres manières de vivre, mais d’étendre, au contraire, à tous les vivants une vision humaine de sensibilité à la cruauté (Bruno Latour)**. Pour Christophe Robaglia, l’argumentation biologique soutenant l’antispécisme est erronée car elle établit une hiérarchie dans le monde vivant. Cette vision anthropocentrique veut ignorer que la biologie a montré que les êtres vivants sont tous aussi évolués les uns que les autres.
Synthèse de Biosphere : ne confondons pas anthropocentrisme, biocentrisme, écocentrisme et antispécisme. L’antispécisme se rapproche du véganisme, une idéologie qui ramène l’écologie à une protection de certains animaux « souffrants » alors que l’écologie considère l’ensemble du tissu du vivant, la toile de la vie et ses interdépendances. L’espèce humaine est une espèce animale parmi toutes les autres espèces dans un milieu bio-physique qui lui permet de naître, respirer et mourir. Peter Singer œuvre seulement pour l’éthique animale, il n’est pas un partisan de l’écologie profonde : « Si un être n’est pas susceptible de ressentir de la douleur ou de faire l’expérience du plaisir et du bonheur, il n’y a rien en lui qui doive être pris en considération. C’est pourquoi notre intérêt pour autrui ne peut avoir d’autre limite défendable que celle de la sensibilité (…) Ce serait un non sens que de dire qu’il n’est pas de l’intérêt d’une pierre d’être poussée le long d’une route par un écolier. Une pierre n’a pas d’intérêt, car elle ne peut souffrir et rien de ce qu’on peut lui faire ne peut changer quoi que ce soit à son bien-être. » Déplacer une pierre n’a pas de conséquence immédiate, mais la volonté humaine de déplacer des montagnes est source de gros inconvénient aussi bien pour la biodiversité que pour l’équilibre entre les activités humaines et les ressources de la planète. Déplacer une pierre ne fait pas souffrir la pierre, mais déplacer des tombereaux de pierre détruit un écosystème et transforme la planète en plate-forme goudronnée. La pierre est autant que l’homme un élément de la Biosphère parmi d’autres. La pierre sert à son environnement autant que l’homme sert sa société, toute chose sert pour elle même mais elle est toujours en interdépendance avec tous les autres éléments de son écosystème, du plus lointain passé aux futurs indéterminés. Nous préférons l’écologie profonde, pour laquelle « l’interférence actuelle des hommes avec le monde non-humain est excessive et la situation s’aggrave rapidement ». Il faut donc penser autrement : un homme a besoin des pierres comme des espaces sauvages, un homme doit laisser le plus possible les choses en l’état pour préserver notre futur lointain. Un enfant a d’abord besoin de savoir contempler la nature et vivre en harmonie, il ne devrait pas martyriser la pierre même si celle-ci n’a aucun moyen d’exprimer sa souffrance. D’ailleurs un humain a autant d’importance qu’une pierre une fois qu’il repose sous une pierre. En fait l’écologie profonde est plus compréhensible intellectuellement en stipulant dans sa plate-forme de 1973 que « le bien-être et l’épanouissement de la vie humaine et non-humaine sur Terre ont une valeur intrinsèque (en eux-mêmes). Ces valeurs sont indépendantes de l’utilité que peut représenter le monde non-humain pour nos intérêts humains ».
* LE MONDE du 12 juillet 2018, « Il est navrant de constater que des universitaires dénigrent l’antispécisme de manière expéditive »
** LE MONDE du mars 2018, Qui a la parole ? Anti- ou multi- spécistes ?