La référence à la nature aurait pu mettre Aristote en situation de théoriser le concept de « l’écologie distributive » tant il avait su étudier les relations entre les différents êtres vivant sur la Terre, les équilibres qui en découlent à travers les chaînes alimentaires et les autres réseaux de distribution qui permettent le développement des espèces. Pourtant, c’est le concept de « la chrématistique » qu’il imagina car il voyait déjà combien certains humains pillaient la nature et mettaient en servitude d’autres humains pour rechercher « une opulence et un enrichissement infinis » et il percevait le danger que constituait « l’acquisition commerciale effrénée » qu’il appelait « la chrématistique mercantile » par opposition à « la chrématistique naturelle » nécessaire à la survie des vivants, par l’échange vital autosuffisant et non la mise en esclavage des uns et l’accumulation de denrées pour en faire commerce et permettre à d’autres de s’enrichir sans frein et sans fin par la création de la monnaie, remplaçant « le troc naturel ».
La chrématistique naturelle qui aurait pu devenir une économie de marché, sociale et solidaire, sera abandonnée au profit d’une chrématistique commerciale, basée sur des conditions de productions, d’échanges et de consommations toujours en vigueur qu’on appelle « marché libre et non faussé » mais qui, en réalité, est tout sauf libre et non faussé. Pendant des siècles, une minorité pratiquera sans contrainte ce processus pervers d’ « acquisition des moyens de production » pour s’approprier des richesses monétaires, avant que des économistes ne s’avisent que « cette exploitation de l’homme par l’homme » et que ce pillage des ressources naturelles devaient être dénoncés. En fait, il faudra attendre Karl Marx au XIXe siècle avec le « Capital » pour fustiger la concentration de celui-ci entre les mains de quelques uns et annoncer sa fin prochaine… on connaît la suite.. Plus près de nous, John Maynard Keynes n’aura de cesse de critiquer « l’amour de l’argent », de condamner l’appât du gain et montrera sa volonté de distribuer les revenus du travail de manière à permettre le plein emploi et un pouvoir d’achat proportionnel au développement des moyens de production. Mais où est l’écologie distributive dans tout cela ? Où est la chrématistique naturelle ?
« Le discours de la servitude volontaire » du Sarladais Etienne de La Boétie au XVIe siècle est de plus en plus mis en avant pour rappeler que « la nature nous a donné à tous toute la Terre et elle n’a pas envoyé ici-bas les plus forts et les plus adroits pour y traquer les plus faibles mais qu’en faisant les parts, aux uns plus grandes et aux autres plus petites, elle a voulu faire naître en eux l’affection fraternelle, les uns ayant puissance de porter secours et les autres besoin d’en recevoir ». Cette notion de planète Terre « donnée à tous » se retrouve dans les débats de « L’Humanité » (5 et 12 mai 2018) avec les réflexions de Kohei Saito qui dégage les fondements d’une « social-écologie » issue d’une écologie distributive qui préserverait notre « seul Bien commun à tous, la planète Terre » et qui arrêterait de « la détruire et de nous détruire ». L’auteur montre comment, à une époque où le mot « écologie » n’existait pas, Karl Marx arrive à dire (à la fin de sa vie) que « le capitalisme épuise l’homme comme la nature ». Pour parvenir à cette conclusion, celui qui s’est rendu célèbre dans le monde entier par des idées productivistes sans aucun souci pour leur caractère destructeur de l’environnement, fera appel à son esprit scientifique pour reconnaître que la chimie agricole intensive épuise les sols et que les déforestations massives dérèglent le climat. Il en déduira que le capitalisme provoque des ruptures métaboliques graves qui « compromettent les conditions matérielles d’un développement humain libre et soutenable ». Kohei Saito n’hésite pas à dire que cette nouvelle vision du marxisme « dissout complètement l’antagonisme entre la critique ‘rouge’ de l’économie politique et la pensée écologique ‘verte’ ».
Dans ces conditions, pourquoi ne pas imaginer qu’une « Internationale social-écologique » puisse créer de nouvelles coopérations et de nouvelles solidarités pour mettre en place une « écologie distributive » chargée de partager équitablement les richesses produites par la nature et par le travail des humains ? Et faire que ce que dénonçait déjà Aristote il y a 2 500 ans puisse un jour cesser ?
Alain Armagnac
@Biosphère
C’est vrai que le mot écologie se conjugue à toutes les sauces. Et même à la sauce libérale. Amusez-vous à regarder le nombre d’entrées sur Google (écologie libérale).
A la différence de vous, je ne pense pas que le grand n’importe quoi qui se répand, toujours plus, avec l’utilisation de ce mot, soit » la preuve de la vitalité de ce nouveau concept d’«écologie» » .
L’écologie est en passe de devenir ce qu’est devenu, pour seul exemple, la démocratie. Juste un trompe couillons.
L’écologie se conjugue à toutes les sauces : écologie scientifique, politique, profonde, réaliste, punitive, positive, etc. Vous pourriez aligner au moins vingt adjectifs supplémentaires.
« Écologie distributive » renvoie à 9 entrées seulement sur google, dont trois qui font déjà référence à l’article de ce blog biosphere. On pourrait désespérer de voir la prolifération terminologique, donc l’absence apparente de cohérence, mais c’est seulement la preuve de la vitalité de ce nouveau concept d’«écologie» qui s’installera progressivement dans les esprits tout au cours du XXIe siècle.En espérant que cela ne débouchera pas sur un écolo-totalitarisme !
Ce texte nous change, je le trouve très intéressant.
Nous pourrions également rappeler que les Anciens (du moins les philosophes) se méfiaient comme de la peste de l’hubris (la démesure, la perte de la juste mesure). Ils voyaient là une véritable folie. Les Anciens ont également eu une réflexion sur l’argent, ils condamnaient notamment l’usure. Là aussi on a vu la suite, même les religions s’en sont accommodées.
Si Kohei Saito est réellement sincère et honnête, en guise de pénitence de tous ses péchés passés, il ne lui reste plus qu’à aller porter la bonne parole à tous ses anciens copains.