Matthieu Auzanneau : Pic pétrolier, ça va mal ?
Glen Sweetnam, directeur de la division internationale de l’Administration de l’information sur l’énergie à Washington, se contente d’évoquer des problèmes économiques conjoncturels, un simple défaut provisoire d’investissements. D’autres experts du pétrole proclament que nous faisons face à une limite géologique absolue : sur l’arbre fruitier, on cueille d’abord les fruits les plus beaux et à portée de main, avant de se résoudre à aller chercher ceux qui sont gâtés, là haut, sur les branches les plus difficiles à atteindre.
Depuis huit ans que je m’intéresse à ce débat, j’ai fini par comprendre que l’alternative entre limite économique (passagère) et géologique (définitive) n’est qu’un trompe-l’œil. C’est vrai, il y a encore tout un tas de ressources en carbone fossile à exploiter. Il est possible – extrêmement délicat, coûteux et polluant, mais… possible – de forer au large du Grand Nord, ou à des milliers de mètres de profondeur en face des côtes brésiliennes. On peut même envisager de construire des centrales nucléaires pour générer l’énergie nécessaire à la transformation en essence des pétroles « lourds ».
Soyons plus pragmatiques : tous ces pétroles « lourds » et « non-conventionnels » ne PEUVENT PAS être recueillis AUSSI VITE que les plus beaux fruits qui menacent de devenir moins disponibles dans un avenir proche, les light sweet crude, arabian light,… qui font tourner le moteur de l’économie mondiale depuis plus d’un demi-siècle. Pour reprendre le concept de l’historien et économiste Joseph A. Tainter, on peut parler d’un « rendement décroissant de l’investissement marginal dans la complexité ». Ceci revient à dire que le pétrole risque quoi qu’il arrive de devenir plus rare et plus cher à mesure que le temps passera, mutant en menace pour l’organisation économique et sociétale qu’il a largement contribué à fonder. Et plus seulement à cause du réchauffement climatique.
http://petrole.blog.lemonde.fr/2010/03/30/combien-compte-le-petrole/
La rapidité et la brutalité du changement pour faire face au pic pétrolier va s’accompagner d’actes politiques dont on imagine déjà la brutalité. « Big Oil » a été capable de mettre la main sur la Maison Blanche pendant huit ans, et de servir un gros mensonge sur les armes de destruction massive afin d’envoyer les boys occuper l’Irak, 3e réserves prouvées de pétrole après l’Arabie Saoudite et l’Iran.
Il n’y a aucun jugement religieux dans ce point de vue, uniquement un point de vue réaliste. Il faut se rappeler la devise du précurseur de la pensée écologique, Spinoza : “Caute” (prudemment). L’impasse de la guerre en Irak et les forages qui fuient par 1500 mètres de profondeur nous montrent que nous n’avons pas été assez prudents.
La lutte contre l’utilisation des énergies fossiles ne doit avoir comme raison le réchauffement climatique (personne ne veut réduire son niveau de vie pour des effets à long terme), mais bien parce que ces énergies deviendront chers et rares. Et ceci n’est pas le fruit de modèles et d’hypothèses, le scénario ayant déjà été joué en 2008.
Bref, si êtes plutôt du genre prévoyant, changer votre chauffage au mazout, réduisez drastiquement vos transports en voiture (surtout évitez de devoir conduire des kilomètres pour vous rendre au travail) et repérer dans votre région des magasins ou des fermes vendant des produits locaux.
Vous serez prêt ainsi à toute hausse du prix du barils et de ses conséquences. Le problème n’est pas le changement que la hausse du prix de l’or noir va causer sur votre vie, c’est la rapidité et la brutalité du changement due à une trop grande dépendance.