La démographie est une composante trop souvent ignorée de la catastrophe en cours. Voici quelques éléments de réflexion sur la question malthusienne.
éditorial du MONDE : La catastrophe est déjà en cours et constitue un crime contre l’avenir. On risque fort d’aborder une période où riches et puissants profiteront des dernières ressources qui nous restent, au prix de l’aggravation des injustices planétaires et de la disparition d’une part notable des sept milliards d’être humains. (5 janvier 2019)
Jane Goodall : Si nous tenons à notre avenir, il y a trois problèmes majeurs en apparence insolubles que nous devons absolument surmonter. Le premier est la pauvreté. Si vous êtes très pauvre et vivez dans une région rurale, vous êtes forcé de détruire votre environnement – vous devez cultiver davantage de nourriture, ou fabriquer du charbon de bois. Deuxième problème – et le plus difficile à résoudre : nous devons lutter contre le mode de vie consumériste de tous ceux qui ne sont pas les plus pauvres. Nous avons à notre disposition bien plus de choses que ce dont on a besoin. Enfin, il est impératif de réduire le taux de croissance démographique. Il est tout à fait absurde de penser qu’il peut y avoir une croissance économique illimitée dans un monde aux ressources naturelles limitées. Même le pape François nous dit que ce n’est pas parce que nous avons la capacité de nous reproduire comme des lapins que nous sommes obligés de le faire ! (LE MONDE idées du 5 janvier 2019)
Au Kenya, des habitants manifestent contre les éléphants. Moins d’éléphants signifierait-il moins de conflits ? Pas vraiment, les facteurs étant plus structurels. Il s’agit avant tout d’un effet conjugué de la pression démographique qui va s’aggraver avec un doublement de la population kényane d’ici à 2050, de l’expansion des surfaces agricoles et de développement de grandes infrastructures comme le train qui cloisonnent les déplacements des pachydermes. (LE MONDE du 6-7 janvier 2019)
Alors que ce type de constatations sur multiplient sur la surface de la planète, Erwan Le Noan* dit des conneries auxquelles on peut opposer le discours suivant.
Toutes les études scientifiques montrent que notre biosphère est exsangue et épuisé et l’humanité est incapable de produire des substituts durables aux énergies fossiles. C’est pourquoi la tendance radicale de l’écologie, au nom de la défense de l’environnement, verse dans le malthusianisme au nom d’un humanisme élargi aux générations futures et aux non-humains. Trop protéger les générations futures en laissant libre cours à leur fécondité se fait au détriment de toutes les autres formes de vie présentes et à venir. Cela ne se fait certes pas au détriment de la vie humaine, la contraception et l’avortement sont des méthodes admises dans les pays évolués. Personne d’ailleurs ne demande sérieusement aux Européens de « tuer leurs enfants » pour laisser de la place aux flux de migrants !
On peut parler de malthusianisme en s’inspirant de l’économiste du 19e siècle, Thomas Malthus, qui considérait que la population croissant plus vite que la production alimentaire, le monde allait s’exposer à de terribles famines. Évidemment, la révolution NPK (azote, phosphore, potassium) des engrais a entraîné un surplus temporaire de la productivité, mais au prix d’un appauvrissement des sols. Les terres sont aujourd’hui de plus en plus rendues stériles par l’agriculture intensive sans compter la perte de productivité entraînée par le réchauffement climatique. A cause d’un population qui tend vers les 8 milliards de terriens, guerres, famines et épidémies sont déjà au rendez-vous comme le prévoyait Malthus. Dans l’apologue du banquet, il écrivait en 1798 : « Un homme qui naît dans un monde déjà occupé, s’il ne peut obtenir de ses parents la subsistance qu’il peut justement leur demander, et si la société n’a pas besoin de son travail, n’a aucun droit de réclamer la plus petite portion de nourriture et, en fait il est de trop. Au grand banquet de la nature, il n’y a pas de couvert vacant pour lui. Elle lui commande de s’en aller, et elle mettra elle-même ses ordres à exécution s’il ne peut recourir à la compassion de quelques-uns des convives du banquet. Si ces convives se serrent et lui font place, d’autres intrus se présentent immédiatement, demandant la même faveur. Le bruit qu’il existe des aliments pour tous ceux qui arrivent remplit la salle de nombreux réclamants. L’ordre et l’harmonie du festin sont troublés, l’abondance qui régnait auparavant se change en disette, et le bonheur des convives est détruit par le spectacle de la misère et de la gêne qui règnent dans toutes les parties de la salle, et par la clameur importune de ceux qui sont justement furieux de ne pas trouver les aliments sur lesquels on leur avait appris à compter. Les convives reconnaissent trop tard l’erreur qu’ils ont commise, en contrecarrant les ordres stricts à l’égard des intrus, donnés par la grande maîtresse du banquet, laquelle désirait que tous ses hôtes fussent abondamment pourvus et, sachant qu’elle ne pouvait pourvoir un nombre illimité de convives, refusait humainement d’admettre de nouveaux venus quand la table était déjà remplie. »* Ce raisonnement a été très critiqué, éliminé par Malthus des éditions suivantes de son Essai sur le principe de population, mais en termes de réalisme économique il paraît incontournable.
Il ne s’agit plus de courir après une croissance qui de toute façon ne produit plus assez d’emploi, si ce n’est délocalisé, il s’agit de gérer une décroissance conviviale, une sobriété partagée, et une baisse de la natalité sur toute la surface du globe. Le principal attrait de cette vision, c’est qu’elle marque la volonté d’un avenir meilleur au prix de beaucoup d’efforts aujourd’hui. C’est une utopie qui doit devenir réalité. Il ne s’agit plus de préserver les acquis socio-économiques, il s’agit de reconsidérer nos méthodes de production, de consommation, de répartition des richesses et même notre désir de faire des enfants
** Malthus hier et aujourd’hui, éditions du CNRS, 1984 (note 53 p.86)
Celle-ci (issue d’Atlantico) vaut son pesant de cacahuètes :
-« Le principal problème de cette vision est qu’elle marque un renoncement – ou dans le cas de l’écologie radicale mentionnée plus haut – un rejet de la croissance. En ce sens, elle illustre un renoncement au progrès, à l’innovation, à un avenir meilleur. C’est un défaitisme intellectuel total. »
La vision qui est ici condamnée est celle que partagent les décroissants, malthusiens ou pas, à savoir qu’il existe des limites. Qu’il est par exemple impossible de mettre 13 œufs dans une boite de 12. Sans faire d’omelette évidemment. Eh bien Erwan Le Noan qualifie cette vision de … « défaitisme intellectuel total. »
L’ « intellectuel » Erwan Le Noan (hi han !) préfère sûrement la « positive-attitude » des Shadoks.
– « En essayant continuellement on finit par réussir. Donc, plus ça rate, plus on a de chance que ça marche. »
Alors dépêchons de tout rater, toujours plus, pompons pompons !