Gabriel Ullmann avait donné des avis défavorables sur des projets comme le Center Parcs de Roybon ou le projet de ZAC industrielle « Inspira » (Nord-Isère). Le préfet de l’Isère a demandé sa radiation. Une commission d’aptitude aux ordres (six des neuf votants sont désigné par le préfet) a prononcé son éviction le 6 décembre 2018. Les motifs retenus paraissent dérisoires : « Gabriel ULLMANN conçoit les enquêtes publiques comme des missions d’expertise. Cela le conduit à mener des investigations et à rédiger des développements sortant du cadre d’une exécution complète et diligente de l’enquête ». Il lui est également reproché des articles publiés sur le droit de l’environnement !
En fait le secrétaire général de la préfecture en début d’audition, après avoir énoncé le décompte de ses avis défavorables rendus ces dernières années, a considéré que ce n’était pas acceptable, sans même chercher à examiner s’ils étaient justifiés ou non, du moment que « les dossiers instruits par l’administration ne peuvent conduire qu’à des avis favorables » ! Ces propos sont démonstratifs d’une culture préfectorale qui ne peut guère s’accommoder d’une réelle participation du public au processus de décision, bien que les textes l’exigent. L’objectif est d’autoriser les projets, quelle que soit la qualité de leur évaluation, quels que soient leurs impacts. Cette radiation met en lumière les conflits d’intérêts qui règnent au sein des commissions d’aptitude des commissaires-enquêteurs. Ce sont autant de graves atteintes à l’indépendance des commissaires-enquêteurs. Corinne Lepage s’insurge publiquement : « La répulsion du gouvernement à l’égard de l’enquête publique apparaît dans un exemple récent, qui a vu l’éviction d’un commissaire-enquêteur particulièrement expérimenté, Gabriel Ullmann, de la liste des commissaires-enquêteurs par une commission administrative, après avoir osé donner un avis défavorable à un gros projet industriel ! »* La France est-elle encore un État de droit ? Les entraves à la démocratie participative se multiplient depuis plusieurs années, la régression du droit de l’environnement s’amplifie alors qu’on tient un discours contraire. Comme pour les lanceurs d’alerte, croissantes sont les pressions et sanctions exercées sur les commissaires-enquêteurs qui osent émettre des avis défavorables. Cette radiation met en lumière la partialité des commissions d’aptitude qui les contrôlent, ainsi que les obstructions apportées à la complète information et à la participation du public au processus de décision.
Contre cette radiation, un recours circonstancié a été déposé devant la juridiction administrative le 13 février 2019. Le Défenseur des droits a commencé l’instruction de cette affaire dont il a été saisi par l’ancienne ministre de l’environnement Delphine Batho.Gabriel Ullmann a déjà emporté une victoire en justice, par la décision du Tribunal administratif de Lyon du 23 mai, définitif si l’on en croit le communiqué du maître d’ouvrage renonçant à faire appel, qui a jugé du recours d’Isère Aménagement, maître d’ouvrage concessionnaire du projet Inspira (déclencheur de sa radiation), dont le président siège à la commission de radiation, contre les vacations de la commission d’enquête Inspira. Lequel avait repris les arguments de la décision de radiation, dont il avait puissamment participé de concert avec le préfet de l’Isère, pour considérer que Gabriel Ullmann avait outrepassé mes fonctions. Sanglant démenti du juge : “En outre, cette commission a défini sa mission en distinguant la faisabilité du projet, qui relève de son domaine d’intervention au titre de l’utilité publique du projet, et sa fonctionnalité, pour chacune des sept procédures concernées par l’enquête publique, ce qui n’a pas manqué de créer des difficultés pour l’exercice de cette mission. »« Eu égard à la complexité du projet ici en cause, à son importante technicité, aux difficultés variées qui en ont résulté pour la conduite de l’enquête, notamment à sa durée, portée à quarante-cinq jours, et à la charge de travail qu’elle a nécessairement occasionnée, à la nature et à la qualité du travail fourni par la commission d’enquête, telle qu’elle résulte en particulier du dossier d’enquête, y compris ses conclusions, le nombre de vacations retenu par les décisions contestées n’apparaît pas excessif ».
* LE MONDE du 19 février 2019
NB : Gabriel Ullmann est ingénieur, docteur en droit ; il a conduit des enquêtes publiques en tant que commissaire-enquêteur durant de nombreuses années.
Complément d’analyse sur le site JNE : Le tribunal administratif (TA) de Lyon a rejeté le 23 mai la requête du maître d’ouvrage du projet contestant les indemnités dues à Gabriel Ullmann. Le jugement du TA détaille de façon inédite l’étendue des prérogatives des commissaires enquêteurs.
Gabriel Ullmann a aussi déposé des recours contre la composition de la commission qui l’a congédié et contre sa décision de radiation.
Pour tout savoir sur ces derniers développements, vous pouvez lire ici un article d’Environnement Magazine et là un papier d’Actu-Environnement.
Pour comprendre les tenants et les aboutissants de cette affaire qui, au-delà d’un cas personnel, nous alerte sur les menaces pesant sur le caractère démocratique des enquêtes publiques, nous vous invitons à lire le dossier très complet rédigé par Richard Varrault, Président des JNE, qui est en ligne sur ce site.