Le texte suivant a été écrit par Alain Hervé en décembre 1973, au moment du premier choc pétrolier marqué par un quadruplement du prix du baril. Il aurait pu aussi bien être écrit aujourd’hui, nous commençons à vivre le choc pétrolier ultime. Car il est vrai que les pays de l’OPEP vont garder de plus en plus leur pétrole pour leurs générations futures et pour leurs propres besoins. Les conséquences socio-économiques du pic pétrolier (nous avons dépassé le maximum possible de quantité extraite du sous-sol) seront accentuées et d’autant plus terribles pour les pays importateurs de pétrole, la France en particulier. Ceux qui estiment ne pas pouvoir se passer de leurs voitures vont particulièrement souffrir, aucun politique cathodique ne leur ayant encore expliqué que vivre dans une banlieue non desservie par les transports en commun s’apparentait à un suicide :
« Le commerce pétrolier consiste à échanger une matière première qui devient rare contre du papier-monnaie. De ce papier, les principaux producteurs ont assez ; si les Bédouins du désert laissaient le pétrole en terre, il risque de doubler de valeur en un an. Pourquoi n’ont-ils pas coupé le robinet plus tôt ? Parce que les circonstances politiques ne s’y prêtaient pas et parce qu’ils ont eu le rapport du Club de Rome entre les mains. Ils ont eu l’occasion d’y lire que d’ici trente ans environ leur seul capital leur aurait été totalement extorqué et qu’il leur resterait le sable pour se consoler. Ils ont aussi compris à quel point les Occidentaux et leur fragile civilisation étaient devenus dépendants du pétrole. Gérants intelligents, ils ont donc décidé de vendre de moins en moins et de plus en plus cher. Logique, non ? Curieusement cette logique surprend tellement les occidentaux qu’ils refusent encore d’y croire. Le pétrole était entré dans les mœurs. On savait qu’un jour il se ferait rare, mais on ne voulait pas le savoir. On misait toutes les chances de l’industrie aéronautique française sur le supersonique Concorde. On savait qu’une flotte de 200 de ces avions aurait épuisé en cinq ans l’équivalent de la totalité du gisement de Prudoe Bay en Alaska, et cependant on construisait le Concorde.
Il faut dire que sans pétrole, adieu l’agriculture industrielle, adieu les loisirs, adieu la garantie de l’emploi, adieu la vie en ville… toute l’organisation économique, sociale et politique est remise en cause. Le château de cartes vacille. Et si ce n’est pas pour cette fois-ci, ce sera dans deux ans, dans cinq ans. Restriction, pénurie, disette, les machines ralentissent, s’arrêtent. La dernière explosion dans le dernier cylindre nous laisse apeurés, paralysés… libérés. En effet la société conviviale, désirée par Ivan Illich, peut naître, c’est-à-dire une société dans laquelle l’homme contrôle l’outil. » (source : mensuel Le Sauvage)
précisions
Alain Hervé est un écologiste historique. Né en 1932, il fonde les Amis de la Terre en 1970. Journaliste, il dirige un hors-série du Nouvel Observateur en 1972, « La dernière chance de la Terre », qui est tiré à 200 000 exemplaires. Il sera ensuite rédacteur en chef du Sauvage. Lors de la candidature de René Dumont à la Présidence de la République en 1974, c’est Alain Hervé qui est responsable du bureau de presse. Il a écrit 25 livres sur la nature et l’écologie, par exemple Le paradis sur Terre .