Prix Nobel de médecine en 2008, la virologue Françoise Barré-Sinoussi a codécouvert le virus du sida en 1983. Elle est interviewé par LE MONDE :
LM : Vous avez fait le choix de ne pas avoir d’enfant…
FBS : A mon adolescence, il y a eu des moments très violents entre mon père et moi. Il considérait qu’une femme devait se marier, avoir des enfants et rester au foyer, comme ce fut le cas pour ma mère. Je ne me voyais pas avec un enfant. J’aurais eu une double culpabilité : ne pas suffisamment m’occuper de lui et ne pas donner assez à la science. Je ne voulais pas vivre tiraillée ainsi, cela aurait été insupportable. Mon mari l’a compris. Nous avons fait ce choix ensemble. Il m’a toujours soutenue. Même si cela n’a pas toujours été facile. Quand le sida est arrivé, nous ne sommes, par exemple, plus jamais partis en vacances. Nos amis ne comprenaient pas. Certains lui disaient : « Mais comment acceptes-tu la vie que Françoise te fait mener ? » Il répondait : « Ça ne vous regarde pas, c’est sa vie et, moi, ça me va très bien comme ça… » Le jour de notre mariage, je suis passée au labo, avant la cérémonie, prévue en fin de matinée. Vers 11 heures, mon futur mari m’a téléphoné : « Est-ce que tu te rappelles quel jour on est ? Est-ce que tu comptes venir ? » Je n’avais pas vu l’heure !
LM : Avec le recul, pensez-vous toujours que toutes ces heures passées au laboratoire, au mépris de tout le reste, valaient la peine ?
FBS : Je me suis posé cette question au moment de la maladie de mon mari. Je savais qu’il allait mourir. A ce moment-là, j’ai essayé d’aller moins au labo, de travailler à la maison. Mais il m’a fait comprendre que je devais reprendre le cours de ma vie, que ça lui faisait du bien à lui aussi. Il m’a remise sur les rails. Maintenant, je sais qu’il avait raison. J’arrive dans la dernière période de ma vie, et je n’ai aucun regret. J’ai rencontré des gens merveilleux, splendides, j’ai beaucoup appris des autres, j’espère avoir contribué à apporter quelque chose, et les jeunes chercheurs que j’ai formés sont devenus comme mes enfants, c’est la famille que je me suis constituée. Vivre pour soi, je n’en vois pas l’intérêt. Vivre pour les prix ou les honneurs, non plus. Donner aux autres, c’est la direction, le sens que j’ai essayé d’imprimer à ma vie.
– « La recherche, c’est un peu comme entrer au Carmel » (Françoise Barré-Sinoussi . Titre Le Monde)
Je me demande si en décidant d’entrer au carmel, de donner leur vie à Dieu, les carmélites le font par souci du bien commun. Ou alors tout simplement, ou tout connement, si elles ne seraient pas poussées par une sorte d’égoïsme.
Même chose de toutes celles et tous ceux qui consacrent leur vie aux autres, ou à telle ou telle cause. Tous comptes faits, l’altruisme n’est-il pas qu’une forme d’égoïsme ?
En attendant, Françoise Barré-Sinoussi n’a pas a voué sa vie à Dieu, mais la Science, à la recherche.
C’est encore une fois le hasard qui en décidé ainsi. Elle le dit elle-même : « Je ne serais pas arrivée là si…»
Le fait qu’elle ait renoncé à avoir des enfants n’est qu’un détail. Je veux dire qu’il n’y a pas là lieu de la féliciter pas plus que de la blâmer. C’est comme ça, tout simplement.
Elle a estimé qu’elle ne pouvait pas concilier son rôle de mère à celui de chercheuse, «Je ne voulais pas vivre tiraillée ainsi, cela aurait été insupportable.» N’ayant n’a pas eu l’occasion de vivre cette expérience, elle ne saura donc jamais si elle aurait pu supporter ou pas. En tous cas une chose est certaine, elle ne voulait pas être tiraillée. Autrement dit elle ne voulait pas souffrir. Comme chacun de nous elle a donc fait ce qu’elle a pu, ce qu’elle a cru être le mieux, pour elle évidement, dans le but d’assurer son équilibre vital. D’autres femmes dans sa situation en auraient décidé autrement, Marie Curie par exemple. C’est comme ça.
Certes, aujourd’hui le souci du bien commun passe (ou devrait passer) par le souci de l’environnement. Toutefois il semble que ce n’est pas ça qui a fait que Françoise Barré-Sinoussi décide de ne pas avoir d’enfant. Contrairement à ce que prétendent ces nullipares auto-proclamées «éco-féministes», «No Kids» et j’en passe, dont le seul «mérite» est de souffrir de cette nouvelle maladie (à la mode ?), la solastalgie (ou éco-anxiété).