La seule liberté que nous puissions avoir, c’est d’être conscient des contraintes apportées par notre socialisation primaire, notre vécu socio-économique et le milieu environnant. On ne peut penser à l’origine que dans un cadre familial et scolaire, puis nous respectons les règles de notre parcours professionnel et nous nous comportons en toutes circonstances comme nous le dicte la pression sociale. C’est pourquoi évoquer la « liberté d’expression » est un abus de langage, notre discours est toujours codifié par d’autres. Pourtant il s’agit d’une innovation qui fonde le fonctionnement démocratique d’une société. Il n’y a plus de discours d’autorité imposé par une religion, un empereur ou une idéologie. Le changement social se fait grâce aux interactions du débat, sinon la société se fige. Mais quelle est la direction à prendre ? Sur une planète exsangue, le seul discours qui pourrait arriver à un consensus commun grâce au dialogue, c’est l’urgence écologique.
- la liberté de convaincre pour l’écologie
Le positionnement des écologistes a été clairement défini par le philosophe Arne Naess : « L’un des principaux aspects de nos actions est d’attirer l’attention du public. La condition du succès est alors dépendante de notre capacité à confirmer l’hypothèse suivante : si seulement l’opinion publique savait ce que les écologistes défendent, alors la majorité des gens serait de leur côté. Maximiser le contact avec votre opposant est une norme centrale de l’approche gandhienne. Plus votre opposant comprend votre conduite, moins vous aurez de risques qu’il fasse usage de la violence. Vous gagnez au bout du compte quand vous ralliez votre opposant à votre cas et que vous en faites un allié… Il n’est pas bon d’exprimer des positions hostiles à l’industrie en général. Notre point de vue doit être que nous soutenons l’industrie, puis ensuite souligner que la grande industrie est une déviance historique. Pareillement, nous ne devons pas émettre de slogan général contre la technologie. Les technologies doivent être essentiellement légères ou « proches ».
Arne Naess prend un exemple de dialogue : « Quelqu’un projette de construire une nouvelle centrale hydroélectrique… il dit : « Nous nous attendons à une augmentation des besoins en électricité et, en tant que décideurs, nous risquons d’être fortement critiqués s’il y a une pénurie d’électricité. Il faut donc construire un nouveau barrage. » Tu dis alors : « Mais êtes-vous sûr qu’il y ait plus de besoin en électricité ? » Il dira : « Oh ! oui, regardez les chiffres. Il y a tant de pour cent d’augmentation. » Mais tu rétorques : « Il y a une augmentation de la demande sur le marché, et vous appelez ça un besoin ? » Ensuite, après quelques échanges, il répond : « Non, non, bien sûr. Nombre de demandes ne reflètent par des besoins réels. » « Mais alors, en tant qu’individu, vous accédez à une demande sans vous poser de questions ? Si toutes les nations consommaient autant d’électricité par personne que la Norvège, ce serait certainement une catastrophe. Notre consommation par tête est même plus élevée que celle des Etats-Unis. Quelle est la justification éthique ? Ne serait-il pas nécessaire de diminuer la consommation d’énergie en Norvège ? » D’après mon expérience, ce serviteur zélé du peuple, qui avait dit oui à une centrale électrique, admettra à peu près tout ce que tu lui diras en tant que philosophe. Mais il ajoutera « C’est trop tôt, ce n’est pas encore possible politiquement. Vous voulez que je quitte la politique ? » Ce à quoi tu répondras : « Je comprends ce que vous voulez dire. Oui, je comprends. Mais notre objectif à long terme est construit sur la base de prémisses beaucoup plus profondes que celles sur lesquelles repose votre argumentation. Tout ce que nous pouvons vous demander, c’est que vous reconnaissiez au moins une fois par an que vous êtes d’accord avec nous. Adoptez la perspective du long terme ! » Si cet homme politique soutient désormais de temps à autre quelques-uns des objectifs fondamentaux de l’écologie profonde, son schéma d’argumentation ne sera plus aussi superficiel. Il sera sauvé, si l’on peut dire. »
Parfait, le message écolo a éveillé une conscience, mais ce n’est pas encore l’insurrection des consciences.
2) liberté d’expression pour la philosophie
Voici ce qu’en dit Monique Canto-Sperber : « La liberté d’expression, c’est permettre la diversité des opinions ; on ne peut pas priver les autres de la possibilité de penser différemment. Il faut vouloir se confronter à une adversité pour apprendre à défendre ses propres valeurs. Car ce n’est pas en faisant taire ses détracteurs que l’on montre la force de ses convictions. Dans la tradition libérale, toutes les opinions sont permises sauf celles qui font « un tort objectif à autrui ». Des propos transgressifs, qui peuvent même blesser, doivent être tolérés comme éléments du débat car leur but n’est pas de réduire l’autre au silence. Le philosophe John Stuart Mill (1806-1873) a défini les règles de la liberté d’expression : lorsqu’il est libre, le débat contradictoire peut conduire à une forme d’autorégulation spontanée de la parole. Les contre-vérités, les propos aberrants ou loufoques finissent toujours par être critiqués et neutralisés. Mais à cette époque, peu de personnes avaient accès à la parole publique et toutes partageaient les mêmes codes de langage. Entre radicaux et réactionnaires, le débat était possible. Ce n’est plus le cas aujourd’hui dans nos sociétés pluralistes et fragmentées, car ce ne sont pas seulement des arguments qui s’affrontent mais aussi des identités. Les propos qui rappellent les faits ou font appel à la raison deviennent vite inaudibles. »
« Les propos qui rappellent les faits ou font appel à la raison deviennent vite inaudibles. » Nous en savons quelque chose sur ce blog biosphere, y’a pas d’images, c’est trop rationnel, on peut pas rigoler, que du catastrophisme, misère, misère… Nous sommes encore loin de l’insurrection des consciences écolos !
« « Non, non, bien sûr. Nombre de demandes ne reflètent par des besoins réels. » « Mais alors, en tant qu’individu, vous accédez à une demande sans vous poser de questions ? Si toutes les nations consommaient autant d’électricité par personne que la Norvège, ce serait certainement une catastrophe. Notre consommation par tête est même plus élevée que celle des Etats-Unis. Quelle est la justification éthique ? Ne serait-il pas nécessaire de diminuer la consommation d’énergie en Norvège ? »
Toujours l’idiotie et l’art de faire passer des lanternes pour des vessies en utilisant des moyennes ? Comparer la consommation moyenne de la Norvège à celle des Usa n’est pas pertinente. En effet les USA c’est beaucoup plus grand, or il y a des États aux Usa qui ont climat très chaud comme dans le sud des USA,
bonjour Bga80
Bien sûr vous avez raison, une moyenne n’est pas une valeur absolue. Mais ce sont quand même deux approches chiffrées complémentaires.
Nous vous conseillons de regarder le sens profond de nos analyses et de ne pas vous attacher à contester pour contester le discours d’Arne Naess.
Veuillez consulter ses livres dont nous mettons les liens vers des résumés. Son approche de l’art de convaincre mérite mieux qu’une querelle de chiffres. Merci.
Ben si les chiffres disent tout à partir du moment où les interprète bien et surtout de manière objective. Dans les pays du nord on sera toujours contraint d’utiliser toujours plus d’énergie que le sud, et pas que pour le chauffage d’ailleurs ! Par exemple pour les loisirs sur le pourtour méditerranéen pendant qu’on va à la plage on ne consomme pas d’électricité, tandis que dans les pays du nord on sera plus sédentaire en utilisant plus l’ordinateur pour des jeux ou une salle de sport chauffée et éclairée. D’ailleurs il fait nuit plus longtemps dans les pays scandinaves on utilise plus de lumière. Bref c’est un tout. Enfin je rappelle que ce n’est pas pour rien que la civilisation a commencé dans les pays chauds puisqu’il n’y avait pas de moyens de chauffage sophistiqué comme aujourd’hui
La modération du blog à Bga80
Votre commentaire ne correspond pas à la thématique étudié par notre blog, ici « Liberté d’expression ou bien art de convaincre ». Il est donc inapproprié.
Si vous continuez à tenir votre propre discours sans tenir compte de ce qui est à commenter, vos messages seront par la suite supprimés.
Merci de votre attention.
Je t’ai toujours dit, BGA, de prendre le temps de lire et de réfléchir. Là encore tu n’a pas vu le sens de ce que tu critiques (quand le sage montre la lune l’idiot regarde le doigt.) La méthode que préconise Arne Neass avec cet exemple, Socrate l’utilisait il y a 2400 ans. Notamment avec les sophistes.
Si la Vérité est inatteignable, il est relativement facile de démontrer qu’une idée est fausse. Et c’est déjà ça, c’est même énorme que de parvenir à se Défaire de certaines idées reçues et autres fausses croyances (Décolonisation des imaginaires). Seulement pour ça il faut être honnête, déjà avec soi-même. Et ensuite je dirais qu’il faut être un peu vaillant, dans le sens qu’il ne faut pas avoir peur de se faire mal à la tête, ni des conséquences qui pourraient être désagréables.
(suite) Dans cet exemple le type qui est POUR cette nouvelle centrale hydroélectrique est évidemment persuadé de son intérêt. Il croit qu’il va y avoir une augmentation des besoins en électricité, il en a la «preuve» (les chiffres) etc. Et donc, de son point de vue… on doit absolument construire cette centrale. Le bonhomme est sincère, le problème n’est pas là.
Jusque là le type est seulement persuadé de tout ça, il pourra même dire qu’il en est convaincu. Or il se trompe, seulement ça il ne le sait pas encore.
Et petit à petit, avec ses questions, le philosophe démonte toutes les certitudes du petit bonhomme. Au passage il égratigne un peu son ego, mais pas trop. Faut pas le braquer, faut pas qu’il se ferme, comme une huître, bref juste ce qu’il faut. La juste mesure là encore.
Ce soir à 18 heures, nous vous présenterons sur ce blog la triste histoire de Léonore Moncond’huy, seule contre tous les amoureux de l’avion et du réchauffement climatique. Les politicards aujourd’hui, de l’extrême droite à l’extrême gauche, pensent en moins de 140 caractères, ce qui les empêchent écouter Léonore nous dire que les rêves d’enfant ne doivent plus se tourner vers l’avion, mais vers d’autres horizons, réchauffement climatique oblige.
La difficulté de convaincre de l’urgence écologique tient non seulement à la médiatisation des petites phrases qui font le buzz, mais aussi au manque d’ouverture de chacun d’entre nous au discours long et étayé. Or la réflexion démocratique passe par des efforts d’approfondissement de ses connaissances et par la remise en question de ses préjugés. Malheureusement cela, on ne l’apprend ni en famille, ni à l’école, ni dans la vie courante… mais sur ce blog biosphere !
Juste un mot au sujet de la dernière phrase. Comme je l’ai plusieurs fois développé, tout ça devrait s’apprendre à l’école. Progressivement bien sûr, et dès le plus jeune âge. Or ce n’est pas le cas. Heureusement il y a le hasard, qui parfois vient fortement aider. On peut dire que celui qui est né dans une famille de philosophes, pour ne parler là que des philosophes… a eu de la chance. Certaines rencontres, au cours de sa vie, peuvent être aussi très bénéfiques.
Triste constat. Eh oui c’est comme ça. N’empêche que cette fois, bravo Biosphère.
Et là encore, hélas, même avec ça on a peu de chances de capter un minimum d’attention, de susciter un minimum de réflexion. Quant à con vaincre alors là on peut toujours rêver.
Ne serait-ce qu’avec l’introduction. Combien sont disposés à admettre que notre liberté commence avec la pleine conscience de nos déterminismes ? Déterminismes innés, biologiques, aussi bien qu’acquis, culturels.
Il y a quelques jours nous avons parlé de l’école, de l’enseignement, de la culture, et de l’écologie bien sûr. Je reste convaincu que l’éducation est fondamentale. Elle passe évidemment par l’enseignement. Notamment l’enseignement de l’esprit critique qui passe évidemment par la philosophie. Depuis le temps (plus de 2000 ans) tout le monde devrait avoir compris cette histoire de Caverne (Platon), ainsi que l’intérêt des dialogues socratiques (voir l’exemple de dialogue présenté ici par Arne Naess).
Comment convaincre ? Entendons-nous d’abord sur ce que nous entendons par convaincre, et conviction. Sur l’échelle de la connaissance une conviction n’est qu’une croyance, une opinion, un point de vue. Sauf qu’une conviction reste pour moi ce qui a de plus solide, d’indéboulonnable. (à suivre)
(suite) Rien ni personne ne pourra jamais ébranler une conviction.
Pour moi «l’art de convaincre» s’apparente à «l’Art d’avoir toujours raison» (Schopenhauer). Je vois là les sophistes, les marchands de salades. Parce que chez moi convaincre et persuader ne sont pas la même chose.
Je peux persuader Untel de ceci ou de cela, le rouler dans la farine etc. il y a des méthodes (des stratagèmes) pour faire avaler des couleuvres et en plus elles s’enseignent. Sauf que ce n’est pas mon truc.
Par contre je ne pourrais jamais le convaincre. Ce n’est que lui seul qui pourra se forger une conviction. Seulement une conviction exige du temps et des efforts (travail), et dieu sait que nous sommes fainéants.