Comme tous les démographes, Jacques Véron se cantonne à une vision descriptive ; le mot planning familial par exemple n’apparaît jamais. C’est une preuve de fatalisme, ainsi cette autre remarque : « Freiner l’urbanisation ne semble guère possible. » Ce livre caricature parfois les malthusiens : « L’importance de l’effet niveau de vie tend à être ignorée ou du moins sous-estimée par ceux qui veulent rendre la population seule responsable de toutes les formes de dégradations environnementales. » Mais c’est une première tentative de la part d’un membre de l’INED de lier la question démographique et les problèmes environnementaux. Jacques Véron constate à juste titre que les démographes ne se sont intéressés que de manière intermittente à la question environnementale et jamais en très grand nombre : « Une des raisons du relatif désintérêt pour la problématique population/environnement est le sentiment éprouvé par certains démographes que cette question ne relève guère du champ de la science de la population… Les démographes ont tendance à penser que le rôle joué par la variable population dans les changements environnementaux est, en dernière analyse, relativement secondaire. » Jacques Véron est d’un autre avis : « Même si la réduction de la fécondité mondiale au niveau de remplacement des générations était immédiate, du fait de l’inertie démographique, la croissance de la population mondiale se poursuivrait encore pendant plusieurs décennies. Les variables démographiques jouent un rôle majeur pour ce qui est des possibilités d’adaptation aux changements environnementaux en cours. Étant donné la complexité des relations en jeu, démographie et écologie sont deux disciplines qui gagneraient à se rapprocher. »
On trouve donc dans ce livre quelques éléments intéressants dont voici un résumé.
Une des façons de lier numériquement la population à l’environnement, c’est d’estimer la « capacité de charge » de la terre ou sa « capacité limite ». Appliqué au monde animal, cet indicateur correspond à la taille maximale d’un troupeau susceptible de vivre durablement sur un territoire donné. L’empreinte écologique de l’humanité s’apparente à la capacité de charge. Dans Road to Survival, Vogt considérait en 1948 qu’à cette époque la population mondiale avait déjà dépassé l’optimum durable. Mais Colin Clark en 1968 cite pour population limite 47 milliards si l’humanité adoptait le régime alimentaire américain et 157 milliards avec le régime alimentaire japonais. Ces nombres paraissent aujourd’hui déraisonnables alors que la question se pose de savoir dans quelles conditions il serait possible de nourrir les probables 10 milliards d’habitants de la fin de ce siècle.
En 1972, une équipe du MIT applique pour le compte du Club de Rome l’analyse des systèmes à la dynamique économique, démographique et écologique mondiale. Ce modèle sophistiqué conduit aux mêmes conclusions que les analyses malthusiennes : la croissance de la population est une menace pour l’avenir de l’humanité. Par ailleurs, le prolongement des tendances observées ne peut que conduire à un épuisement des ressources, et donc à prouver la nécessité d’enrayer la croissance démographique. La même année avait lieu à Stockholm la première conférence des Nations unies sur l’environnement humain. La déclaration finale proclame, au titre d’un des 7 points jugés centraux, que « l’augmentation naturelle de la population pose sans cesse de nouveaux problèmes pour la préservation de l’environnement » et elle appelle à des politiques démographiques pour limiter la croissance de la population.
En 1987, le rapport Brundtland de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement attribue une grande partie des déséquilibres observés à l’accroissement de la population mondiale et à la modification de sa répartition spatiale. Stabiliser le nombre des êtres humains est perçu par les membres de la commission comme une urgence. Pourtant l’objectif alors affiché de 6 milliards d’habitants est aujourd’hui dépassé !
En l’an 2000, la 55ème session de l’assemblée générale des Nations unies adopte les « huit objectifs du millénaire pour le développement » sans jamais parler directement de la population. En 2011, les Nations unies établissent les perspectives démographiques pour le long terme (à l’horizon 2100). Si l’évolution était conforme à l’hypothèse moyenne, la population mondiale compterait alors un peu plus de 10 milliards d’habitants. Mais un maintien dans l’avenir de la fécondité au niveau actuel se traduirait par un nombre d’êtres humains sur terre avoisinant les 27 milliards !
Dans sa version canonique, la théorie de la transition démographique se présente comme une théorie de l’autorégulation des populations, la baisse de mortalité entraînant nécessairement un baisse de la fécondité. Le constat, dans certains pays défavorisés, d’une baisse de la mortalité nullement suivie d’une baisse de la natalité a conduit les théoriciens américains à émettre des doutes sur la validité de la théorie de la transition démographique (stabilisation de l’accroissement naturel avec une faible natalité et une faible mortalité). Ils ont alors été conduits à militer pour l’adoption de politique de limitation des naissances, partout où la fécondité se maintenait à un niveau élevé.
Démographie et écologie de Jacques Véron (2013)
– « Une des façons de lier numériquement la population à l’environnement, c’est d’estimer la «capacité de charge» de la terre ou sa «capacité limite». »
Pour ce qui est des bateaux, des avions, mais aussi des lapins, des chevaux, des éléphants etc. on peut effectivement calculer cette fameuse «capacité de charge». Pour ce qui est des humains c’est autre chose. Il faut bien se résoudre à accepter la réalité, on reste incapable de l’estimer ! Et ce n’est pas faute d’avoir essayé.
47 milliards pour les uns, 157 milliards pour d’autres ! 10 milliards, 6 milliards, 500 millions etc.
Finalement c’est comme ça nous arrange, autrement dit c’est n’importe quoi.
Incapable à notre échelle individuelle de définir la capacité de charge, soit. Mais les scientifiques savent définir de multiples manières le fait que nous excédons déjà les limites du milieu ; notre nombre et notre consommation perdurent au détriment des générations futures et de la biodiversité. Il nous reste politiquement à déterminer les moyens de maîtriser notre surnombre, et les moyens sont connus : planning familial, libération de la femme, éducation, nouveau régime d’allocations familiales, etc.
Quant au nombre final à atteindre, l’optimum de population, il sera déterminé, il faut l’espérer, par une délibération internationale. Nous sommes déjà capables de définir des objectifs à long terme d’émissions de gaz à effet de serre, de la même manière nous serions capable de définir le nombre d’humains souhaitable.
Oui mais … il reste que cet «optimum de population», ce «nombre d’humains souhaitable» ne veut finalement pas dire grand chose.
– Optimum = l’état le plus favorable, le meilleur possible.
– Souhaitable = désirable, qui peut être souhaité.
En attendant, et sans parler du meilleur pour soi, chacun peut toujours souhaiter (désirer) le meilleur possible. Le Meilleur des Mondes peut avoir «mille» visages.
– « Le constat, dans certains pays défavorisés, d’une baisse de la mortalité nullement suivie d’une baisse de la natalité a conduit les théoriciens américains à émettre des doutes sur la validité de la théorie de la transition démographique »
Comme toutes les théories, la théorie de la transition démographique est évidemment sujette à des critiques. D’autant plus que la démographie n’est pas une science au vrai sens du terme, elle s’apparente plus à l’économie qu’aux mathématiques ou la physique. Quoi qu’il en soit au fil du temps et des recherches une théorie évolue, avec de nouveaux modèles, qui eux aussi ont toujours leurs faiblesses. Comme les prévisions, notamment celles des démographes, constamment revues à la baisse.
En attendant cette théorie reste intéressante. Au niveau mondial, le stade actuel (3 ?) est indéniablement marqué par une nette baisse du taux de natalité, et un taux de mortalité qui stagne. Ce qui se traduit par une augmentation de la Population certes (à cause de l’inertie), mais à un rythme décroissant. Autrement dit cette horrible Exponentielle, cette phase que certains appellent «Explosion Démographique», elle sont désormais dernière nous.
Le stade suivant (4 ?), caractérisé par des faibles taux de natalité et de mortalité, ne nous dit pas grand chose de ce que serait (ou sera) cette Population Stable (ou stationnaire). Tout simplement parce que ça c’est demain. Mis à part Madame Irma, qui peut dire ce que que serait (ou sera) ce stade 4 caractérisé par un faible taux de natalité et un taux de mortalité élevé ? Et le stade 5 etc.