La science-fiction nous emmène dans des contrées inconnues à une époque indéterminée. Généralement l’humanité et ses politiciens se contentent du court terme et des temps présents. Pourtant l’activisme humain dégrade la biosphère à un point tel qu’il devient urgent de regarder nos faits et gestes à l’aune de ses conséquences futures. C’est ce qu’a essayé de faire Dieter Birnbacher*. En voici une approche à plusieurs voix.
Thierry Libaert : La prise de conscience des générations futures s’est développée à partir de 1972 avec la publication du Rapport du Club de Rome. Celui-ci démontrait, courbes économétriques à l’appui, qu’au rythme d’utilisation des ressources naturelles, la plupart d’entre elles seraient épuisées aux alentours de 2050. Ce n’est toutefois que vingt ans plus tard, lors de la conférence de Rio – le sommet planète terre – qu’une relative institutionnalisation de l’expression fut effective. Et depuis, le sort des générations futures est devenues le noyau dur du militantisme écologique radical. Il est intéressant de constater que c’est à partir du moment où l’on a cessé de croire en l’avenir radieux que les générations futures ont fait leur apparition sociale et culturelle, mais toujours avec la même idée de sacrifice présent et de violence latente. C’est avec la publication de l’ouvrage de Hans Jonas Le principe responsabilité paru en 1979 qui fut un considérable succès en Allemagne, qu’une première étude approfondie de nos relations aux générations futures prit date.
La base essentielle du travail de Dieter Birnbacher en 1988 est la suivante : comment fonder une éthique du futur autrement que sur de vaines déclarations d’intentions. Après avoir noté d’immenses problèmes de définition des générations futures et de son horizon temporel, trois obstacles apparaissent :
– la préférence temporelle, qui amène à sous-estimer le profit futur,
– la préférence de l’ego qui entraîne le fait que le coût et le profit qui concernent d’autres personnes nous touchent moins que ceux qui nous concernent personnellement,
– la distance morale qui implique que notre intérêt aux individus décroît avec la proximité.
En effet nous sommes plus disposés à consacrer des ressources au sauvetage de la vie de victimes d’accidents lorsqu’elles nous sont connues qu’à la prévention d’accidents futurs qui feront autant, voire plus de victimes, mais que nous ne connaissons pas : la victime inconnue reste une abstraction. Le second problème soulevé par l’auteur est celui des dommages irréversibles ou plus précisément du seuil à partir duquel on peut reconnaître l’étendue du dommage. L’auteur, après avoir remarqué les difficultés d’une approche économique du sujet, prend exemple de la disparition d’une espèce biologique, cas typique où toutes les générations futures en seront privées, et note là aussi que :
– certaines transformations biologiques peuvent être des bienfaits (éradication du virus de la lèpre par exemple),
– l’extinction d’une espèce n’est pas une véritable perte lorsque la totalité de ses fonctions sont reprises par d’autres espèces,
– la destruction d’une espèce ne rend pas plus difficile l’existence des êtres humains. L’auteur cite ici l’exemple de nombreuses espèces aujourd’hui disparues, dont nous ne savons rien.
Le problème se cristallise alors sur le concept de droit des générations futures. Peut-on accorder des droits aux individus futurs ? Ici, également, l’auteur récuse cette idée. Les individus futurs sont un objet d’obligation, en aucun cas de dévotion ou de vénération. C’est seulement ainsi qu’ « on peut s’attendre à ce qu’un travail efficace visant des objectifs liés à l’éthique du futur découle des loyautés intergénératives, plutôt que d’un pathos du futur abstrait, religieux ou quasi religieux ». Toutes les grandes idéologies ont reposé sur l’idée de sacrifice présent au nom de l’avenir. Il faut, selon l’auteur, mettre en garde contre ce despotisme de la morale : « Faire dépendre la prévoyance envers l’avenir reviendrait à établir une forme de dictature inter-générations, on ne peut prendre la responsabilité de faire souffrir les contemporains au nom d’une mise en péril abstraite et indéterminée des générations ultérieures ». Mieux vaudrait « privilégier des notions de solidarité ou de sagesse » plutôt que des approches juridiques.
Dieter Birnbacher nous révèle cependant ses profondes insuffisances conceptuelles lors du débat sur les choix énergétiques. Il expose qu’il est préférable d’avoir une prolifération de CO2 dans l’atmosphère avec ses dommages connus de hausse de niveau d’eau des océans ou de transformation de la végétation, parce que les générations futures pourront s’y adapter en pratiquant l’irrigation artificielle ou « en se lançant dans des mouvements migratoires de grande ampleur, comparables aux grandes invasions européennes ».
Dieter Birnbacher sur notre blog biosphere :
Pourtant il faudra bien un jour se passer de voiture
« Chaque idée fausse que nous traduisons en acte est un crime contre les générations futures. » Dieter Birnbacher posait ainsi la question de savoir si la démocratie était en mesure d’être le lieu d’une éthique du futur. Ce n’est pas évident car une conscience prévoyante, centrée sur le long terme, est porteuse de certains renoncements. Elle entre en conflit avec les aspirations immédiates des individus, la préférence pour le présent. Renoncer à la voiture ? Mais nous sommes bien obligés d’avoir une voiture ! Pourtant nous serons bien obligés de nous passer des voitures au nom de la lutte contre le réchauffement climatique !! Et quand il n’y aura plus de pétrole, de toute façon la voiture individuelle sera réservée aux très très riches…. s’ils existent encore !!! Pourtant, plus on attend pour limiter les vitesses automobiles en tous lieux, brider les moteurs, interdire d’être seul dans une voiture, augmenter le prix des carburants… plus le réchauffement climatique deviendra incontrôlable. Nous proposons comme idéal-type la « société de non-voiture individuelle », le dévoiturage. Nous entendons déjà les cris de celles et ceux qui qualifieront ces mesures de liberticide, voire d’écofasciste : « On restreint mon droit à la mobilité ! » Oui, c’est cela, ou les guerres du climat et les conflits sur les ressources pétrolières.
Lire aussi Politique de Cassandre (manifeste républicain pour une écologie radicale)
de Jean-Christophe Mathias
Pour en savoir plus grâce à notre blog biosphere :
28 juillet 2021, éthique de la réciprocité… intergénérationnelle (synthèse)
Complément d’analyse de type philosophique
Etienne DAIGNAU : Le grand public est de plus en plus con-scient du fait que les enjeux d’une gestion rationnelle et prudente de l’environnement concernent non seulement la santé d’une classe spécifique du vivant, à savoir les êtres humains, mais les conditions mêmes de sa survie, de même que celle du reste de la biosphère, dont les humains dépendent tout autant que les autres. Toutefois, les fondements de l’action pratique dirigée vers le futur demeurent vagues.
Afin d’y remédier, Dieter Birnbacher propose un système moral dans son ouvrage Verantwortung fiir zukiinftige Generationene. L’architecture normative de son projet rend complémentaire l’« acteur idéal » et l’« acteur réel ». L’acteur idéal, qui est différent de l’acteur parfait (un dieu par exemple), n’est pas soumis à des limitations internes qui l’amèneraient à commettre des actions contraires à son meilleur jugement. La notion d’acteur réel veut se rapprocher le plus possible des êtres humains tels qu’ils existent, pensent, décident et agissent. Le choix de cette approche est motivé par un argument dialectique, selon lequel une théorie sans efficace pragmatique est inutile parce que dénuée de tout lien avec la réalité, tandis que des règles d’action sans justification théorique se trouvent par là privées de fondement. La définition du mot « génération » adoptée dans l’ouvrage désigne l’ensemble des personnes nées au cours d’une période donnée et sa durée se mesure par le temps qu’il faut aux parents pour devenir grands-parents. Sorte d’observateur idéal, l’universaliste rationnel a pour but de maximiser le profit total du genre humain entier dans le temps. L‘auteur soutient qu’« une morale qui limiterait son caractère obligatoire à un groupe déterminé ne mériterait pas de s’appeler morale ».
Si la génération aux commandes a une obligation envers l’avenir, c’est parce qu’il est exigible de la part de ceux qui peuvent exercer une influence décisionnelle de tenir compte des conséquences lointaines de leur action. Ainsi, dans le choix entre deux avenirs également possibles, le fait que le premier engendre de meilleures conséquences que le second constitue la meilleure raison de choisir le premier plutôt que le second. L‘action future idéale maximise le bien réalisé dans le monde futur, au lieu de se limiter à une seule génération. Cependant, les êtres humains ordinaires ne sont pas des universalistes rationnels !
L’anthropologie révèle que les humains ont une conscience du futur, mais qu’elle n’est pas innée et qu’elle n’est pas présente au même degré chez tous les individus, pour des raisons externes de détermination historique et économique, et des raisons internes de développement de la personnalité. Le souci de l’auto-préservation collective acquis par l’éducation et la volonté de ne pas nuire à une existence humaine future insèrent les valeurs morales dans un environnement où l’intervention humaine sur la nature et dans le temps pourra être évaluée plus globalement. On peut cependant se demander, au terme de cet ample ouvrage, comment concilier des intérêts souvent divergents de différentes communautés comme les nations, ou de ceux de communautés différentes au sein d’un même ensemble. Néanmoins l’urgence même de la prise en compte du futur dans l’évaluation éthique de l’activité humaine et de son impact sur le vivant mérite plus que jamais d’être rappelée.
* Dieter Birnbacher : La responsabilité envers les générations futures, PUF, collectif : Philosophie Morale, novembre 1994, édition originale 1988.
En ces temps de Grande Confusion, après le responsable mais pas coupable, le planning familial irresponsable et la démographie responsable, je comprends que certains ici soient un peu en manque d’inspiration pour nous étaler leur point de vue de chépakoi au sujet de la responsabilité et de l’irresponsabilité. Par contre pour la Watture je suis un peu surpris.
– « Pourtant il faudra bien un jour se passer de voiture » (??)
Mais où qui sont sont passés, nos deux pelés ? Sont pas morts, j’espère !
Que nenni ! Non non je veux juste parler de la voiture, dont il faudrait se passer.
Où qu’elles sont nos lumières, ça j’en sais rien. Peut-être en train de brûler des bagnoles, de flics, eh va savoir. Bref, pour moi elle a encore un bel avenir, la voiture.
Du moins deux types :
1) « Une voiture hippomobile (parfois appelée simplement hippomobile, parfois désigné avec l’hyperonyme voiture) est un véhicule muni de deux ou quatre roues, dont la traction est assurée par un ou plusieurs chevaux, ou encore par d’autres équidés : poneys, ânes, mules et mulets. » (Wiki)
2) « Une voiture à pédales est un quadricycle à propulsion humaine dont les quatre roues sont disposées par deux sur deux axes distants.» (Wiki aussi)
Les poneys, ânes, mules et mulets, c’est pas ça qui manque. La Preuve !
Sans oublier tous ceux qui pédalent dans la semoule. 🙂 🙂 🙂