Les extraits suivants ont été publiés dans le livre de Michel Sourrouille paru en octobre 2018, « Nicolas Hulot, la brûlure du pouvoir ». Mieux vaut rendre la pensée de Nicolas Hulot publique, la libre circulation des idées écolos contribue à la formation de notre intelligence collective…
A mes yeux comme à ceux de tous les écologistes, la question centrale qui se pose désormais est celle-ci : la croissance est-elle la solution ou le problème ? La réponse ne souffre guère de doute, nous nous heurtons aux limites de la planète. Un élève de CM1 peut comprendre que si notre appétit augmente alors que notre potager demeure à taille fixe, il ne peut y avoir de dénouement heureux. Et pourtant ! Tous les jours j’entends ou je lis l’affirmation que l’économie va repartir comme avant. Dans notre système, une croissance à deux chiffres est une bonne nouvelle, alors que c’est la pire des choses pour l’écologie. Nous consommons chaque jour ce que la nature a mis dix mille jours à commettre. Nous devrions nous soumettre au rendement de la nature. Nous ne pouvons qu’être effarés de notre propre aveuglement. Au nom de l’exigence d’un progrès devenu fou, les pires atteintes à la dignité du vivant, les plus brutales agressions envers l’environnement, les inégalités sociales criantes, le mépris croissant envers la beauté et le bonheur de vivre se sont accrus de façon inexorable.
Contrairement à ce que prétendent les statistiques économiques, nous sommes en période de décroissance depuis le milieu du XXe siècle. La croissance économique s’est faite aux dépens d’une forte décroissance du capital naturel. Il est tout de même étonnant que le monde capitaliste ait exclu le capital nature de ses calculs. J’ai toujours déploré l’abus que l’on fait de l’expression « développement durable ». J’ai parfois l’impression qu’il ne s’agit plus que d’une camomille mielleuse destinée à rendre plus digeste nos excès. Car il porte en lui-même une ambiguïté : de quel développement parlons-nous ? L’urgence écologique et sociale nous dicte-t-elle d’aller sur Mars ou de réduire la pauvreté et protéger la planète ? Existe-t-il une alternative entre la décroissance subie et la décroissance conduite ? Je voudrais revenir sur cette idée de décroissance. Sur la finalité, je suis convaincu du bien-fondé de la décroissance économique. Mais l’opérer engendrerait de tels bouleversements, de telles résistance et de tels affrontements que nous ne serions pas gagnants. Je ne vois pas comment nous pourrions imposer une décroissance économique dès demain sans provoquer un séisme social et économique, c’est une question de réalisme. Quand les adeptes de la décroissance me disent que nous sommes utilisés par le système, peut-être ont-ils raison ; mais qu’ont-ils obtenu avec leur prétendue pureté et leur radicalité politique ? A défaut de la notion idéale qui reste à inventer, celle de croissance sélective doublée d’une décroissance choisie peut rester l’ultime voie. Elle contient en elle-même le principe du choix : décider quels sont les flux compatibles avec la contrainte physique et quels sont ceux qu’il faut tarir. L’exemple des ressources halieutiques est à cet égard patent ; les suspendre pour laisser à la ressource le temps de se régénérer relève du bon sens le plus élémentaire. Nous avons abusé de tout en tout. Par conséquent, il s’agit de fixer des limites à notre avidité et à notre cupidité. La société à venir devra mettre fin à la surenchère, choisir ce qui doit continuer à croître et ce qui doit commencer à décroître : moins de biens, plus de liens ! La révolution écologique doit s’orienter vers la compréhension de la plus précieuse ressource sur Terre : nous-mêmes. Cette révolution est spirituelle, avec une règle d’or : de la mesure dans toutes chose. De la modération, de la régulation, de la sobriété partout. Économiser pour pouvoir partager, tel est notre principal devoir !
On aura du mal à demander aux gens d’aller vers une société de privation, mais pourquoi pas vers une société de modération ? Séparons l’essentiel du superflu, interrogeons-nous sur la légitimé de nos actes les plus quotidiens. Est-ce utile, Puis-je m’en passer ? J’aime beaucoup l’idée d’abondance frugale. J’ai lu ce terme pour la première fois sous la plume de Jean-Baptiste de Foucault, qui est un ancien commissaire au Plan. L’abondance n’a rien à voir avec l’opulence, c’est le fait que chacun dispose de ce dont il a besoin, mais de manière frugale. Notre société est condamnée à faire mieux avec moins. Si le changement est subi, les premières victimes seront toujours les mêmes, mais nous prendrons aussi notre part en deuxième ligne. Alors on peut en tout cas choisir une décroissance énergétique. Si nous ne l’organisons pas, elle va s’imposer d’elle même.Si nous laissons perdurer la situation actuelle, nous risquons d’entrer dans une société de privation, avec ses systèmes de quotas, ses cartes de rationnement et tout ce que cela peut compter d’atteintes aux libertés. Le meilleur moyen de s’y opposer, consiste à mettre en place sans plus tarder une société de modération.