Extraits du livre de Michel SOURROUILLE, « L’écologie à l’épreuve du pouvoir ».
Voici nos deux propositions pour bâtir une société conviviale et durable :
- réduire les besoins,
- diminuer fortement les inégalités de revenus.
Il faut préparer les citoyens à la sobriété partagée dans un contexte de pénurie énergétique croissante. Ce programme doit s’accompagner d’une réduction drastique de l’inégalité des revenus pour que l’effort demandé soit compréhensible par tous. Stock-options très encadrés et bonus supprimés ne seront qu’une toute petite partie de tout ce qu’il faudra accomplir.
Ministre de la Sobriété partagée et de la Lutte contre les inégalités
1. Réduire les besoins
La définition du niveau de vie convenable est relative. Mais politiser la question du luxe est la meilleure voie pour élargir l’audience de l’écologie vers les classes populaires. La première contribution du dessinateur Wolinski paru en 1976 à la une du journal L’Humanité présentait deux dessins. Sur le premier, une bourgeoise affalée sur son divan explique à sa petite fille que le luxe, c’est les bijoux, les toilettes, le parfum, le champagne. Sur le deuxième, une prolétaire explique à son jeune fils que le luxe, c’est la viande, le café, les légumes, les fruits… La notion de besoin social déborde largement la notion de demande économique et il est légitime d’espérer une organisation socio-économique égalitariste. C’est l’objectif théorique de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires » (article 25). Pour être concrétisé, cet objectif présuppose des besoins simplifiés dans un monde unifié. Notre conception des besoins devrait suivre un principe de généralisation : généralisation dans l’espace (je ne peux satisfaire un besoin que dans la mesure où n’importe qui n’importe où sur notre planète peut accéder à un niveau de vie équivalent) ; généralisation dans le temps (je ne peux satisfaire un besoin que dans la mesure où cela n’empêchera pas les générations futures de satisfaire les leurs).
Des critères de « la vie bonne » devront être recherchés. En France aujourd’hui, les classes des écoles peuvent fermer si la température descend en dessous de 13 °C et la plupart des références médicales donnent 16 °C comme température normale d’une chambre (la nuit). Mais dans la France d’il n’y a pas très longtemps, les chambres n’étaient pas du tout chauffées. Les citoyens doivent accepter des contraintes opposées à leurs désirs (de déplacements sans limites, de puissance sans limites, de consommation sans limites). Au niveau gouvernemental, il s’agit de montrer que le sens des limites ne progressera dans les mentalités que s’il y a interaction entre les comportements individuels et les décisions collectives. Chacun doit faire preuve d’exemplarité en limitant sa consommation matérielle et énergétique. Rechercher la « simplicité volontaire » ne sert à rien s’il n’y a pas effet d’entraînement. L’État doit accompagner ce mouvement. Les prix doivent être dépendants des matières premières et des contraintes matérielles de fabrication, de leur rareté et de leur nuisance, et non pas simplement du coût du travail et du capital technique. Les prix, et plus particulièrement ceux des énergies, ne doivent pas être dégressifs en fonction des quantités mais au contraire progressifs. Programmer une hausse continue du prix des carburants permet par exemple à la population de changer ses comportements dans l’usage de la voiture.
On doit aussi promouvoir une économie du partage. Un grand nombre des produits que nous possédons sont peu utilisés ; une voiture reste 92 % de son temps à l’arrêt, une perceuse est utilisée une demi-heure par an en moyenne. 69 % des Français on déjà pratiqué le marché de l’occasion, 32 % le covoiturage, 25 % la location du logement entre particuliers pour les vacances… Au total, 71 % des Français se sont déjà abonnés à au moins une pratique collaborative. Ce mouvement accompagne le recul du niveau de vie de 0,3 % en moyenne annuelle entre 2007 et 2013. Mais au-delà des considérations financières, l’économie du partage est le signe d’une prise de responsabilité individuelle dans un monde en crise. Il s’agit de retrouver du lien social, s’éloigner de l’anonymat des marchés industrialisés. Les consommateurs changent leurs habitudes, le gouvernement doit promouvoir une sobriété partagée. Cela passe aussi par la lutte gouvernementale contre les inégalités de revenus.
2. Diminuer les inégalités de revenus
Les inégalités de revenu possèdent une forte composante environnementale, car plus une personne possède de richesse, plus elle consomme, plus elle consume la planète. Le revenu fait le pouvoir d’achat. Avec un pouvoir d’achat trop élevé, les hommes achètent des maisons plus grandes, multiplient les appareils domestiques, les gadgets électroniques et même les déplacements par avion. Les inégalités permettent en outre un processus en boucle. La différence entre riches et pauvres crée en effet un processus d’imitation et de différenciation qui est utilisé à fond par la publicité : regarde la belle voiture que j’ai, regarde la belle voiture qu’il te faut acheter ! En vertu de l’effet Veblen (imitation-ostentation), on considère en effet qu’il est normal de vouloir grimper dans l’échelle sociale, de rejoindre la classe sociale consumériste, en oubliant quel prix il faudra payer en termes de dégradation de l’environnement. Dans l’état actuel de la planète, affaiblie et épuisée, un travailleur devrait s’estimer heureux d’avoir un niveau de vie supérieur à celui de la moyenne mondiale, soit 840 euros par mois (10 000 euros par an, soit un peu plus de 11 000 dollars). À comparer avec ce qui forme le minimum en France : le RSA (revenu de solidarité active), qui s’élève à 524 euros par mois en 2016 pour une personne seule.
Pour réduire les inégalités de revenu, l’État devra définir un RMA ou revenu maximum acceptable. Le pouvoir politique, même socialiste, hésite pourtant à définir un plafond pour le revenu. Les partisans de la décroissance ont déjà leur projet, qu’il faudra concrétiser si l’on veut écologiser la société. Le RMA est un plafond de revenus ne pouvant être dépassé. Il est x fois l’équivalent du revenu minimum (nous préconisons un facteur 4). Au-delà de ce plafond, l’État prend tout. Il est important de rappeler que ce type de mesures a déjà existé après la crise de 1929 et au moment de la Seconde Guerre mondiale aux États-Unis. En 1942, Franklin Roosevelt déclarait : « Aucun citoyen américain ne doit avoir un revenu (après impôt) supérieur à 25 000 dollars par an. »
‘Le RMA est un moyen de réduire l’impact écologique insoutenable du mode de vie des plus riches. Il s’agit d’éviter de scandaleux gaspillages et d’outrancières pratiques, qui ne peuvent être généralisables et, surtout, qui ne peuvent plus être considérés comme un idéal à atteindre par le reste de la population. Mesure de justice sociale mais aussi de justice environnementale, nous estimons qu’au-delà de ces nécessaires bienfaits, le RMA contribuerait à participer à une décolonisation de nos imaginaires consuméristes en supprimant le mode de vie des plus riches, à la fois considéré comme quelque chose de normal et surtout comme modèle de vie et de bonheur à suivre et à atteindre. Il s’agit de rompre avec les effets pervers de cette rivalité ostentatoire. Ce modèle, vendu par la publicité et les médias, a pour effet de faire accepter la présence de telles inégalités, de frustrer toujours plus et ainsi de nous transformer en consommateurs compulsifs jamais rassasiés ».1
Les inégalités, qu’elles soient économiques, patrimoniales ou relationnelles, indiquent qu’une telle société fonctionne d’abord pour une élite. En fait, la contribution personnelle d’un individu est généralement inobservable car l’ensemble du travail social est collectif. L’écart de rémunération relève alors de la convention et non d’une mesure objective de la contribution de chacun à la production. La hiérarchie des salaires entre hommes et femmes, entre patrons et travailleurs, entre ouvriers qualifiés et non qualifiés reflète une inégalité de considération toujours instituée par une société donnée. Au pouvoir politique de déterminer l’éventail des revenus. Pour les écologistes, il doit être le plus resserré possible.
1. Collectif, Un projet de décroissance – Manifeste pour une Dotation Inconditionnelle d’Autonomie, Paris, Les Éditions Utopia, 2013.
Et vous pouvez m’expliquer pourquoi EELV les Verts votent Macron au second tour ? Car Macron est tout le contraire d’un Revenu Maximum ! Concernant les revenus Macron est bien plus inégalitaire que Marine Le Pen ! S’il y a un extrémiste sur l’échiquier politique c’est bien Macron !
Et toi, tu peux nous expliquer le rapport avec le Ministère de la Sobriété partagée ?
En attendant, je n’ai pas vu le Revenu Maximum dans le programme de ta Marine nationale. Et puis je doute qu’elle soit disposée à diviser ses revenus par dix. Ce qui la laisserait encore largement au dessus de ceux dont elle prétend se soucier.
– « Dans l’état actuel de la planète, affaiblie et épuisée, un travailleur devrait s’estimer heureux d’avoir un niveau de vie supérieur à celui de la moyenne mondiale, soit 840 euros par mois »
Hélas ce n’est pas si simple ou simpliste que ça. Bien sûr que nous devrions être parfaitement conscients de notre position sociale, aussi bien niveau national qu’au niveau mondial.
Parce qu’en effet beaucoup d’entre nous ne le sont pas. Regarder vers le bas provoque le vertige, qui n’est rien d’autre que la peur du vide. Je pense que c’est pour ça qu’on préfère regarder vers le haut, plutôt que dans le caniveau, d’autant plus que c’est ce qu’on nous apprend depuis le berceau. Ce sont les premiers de cordées qu’on nous a appris à admirer, à singer etc. pas les égoutiers. Et pourtant… qu’est-ce qui est le plus important ?
Ceci dit, allez donc dire à cette femme seule, qui bosse, pour nourrir ses gosses… qu’avec 840 euros par mois elle devrait s’estimer heureuse et comblée.
Je pense que nous aurions grand besoin d’un grand Ministère de la Décence (ou de la Lutte contre les indécences). L’indécence ce n’est pas seulement gagner en un mois ce que d’autres ne pourront jamais gagner, même en vivant mille ans, c’est avant tout vivre et penser comme des porcs. Sur l’échelle de cette « vie bonne » (dont les critères se doivent d’être recherchés…) l’indécence est au niveau du caniveau.
Reprenant avec son autorisation les écrits de Michel SOURROUILLE, notre blog biosphere présente pendant quelques jours des textes préparatoires à la présidentielle 2027. En effet les résultats de l’épisode 2022 montrent que cinquante ans après la publication du rapport Meadows sur les limites à la croissance, en 1972, l’écologie politique stagne électoralement. La simple idée qu’il puisse exister des limites écologiques à la croissance économique est restée minoritaire dans l’opinion publique, et carrément hérétique parmi les décideurs. L’idée de décroissance y est au mieux ignorée, au pire utilisée comme une invective facile pour disqualifier l’ensemble des écologistes.
Or le dernier rapport du GIEC est plus alarmant que jamais, une guerre en Ukraine fait craindre pour la sûreté des centrales nucléaires, la hausse des prix de l’énergie préfigure un choc pétrolier et gazier…
– « Les inégalités permettent en outre un processus en boucle. La différence entre riches et pauvres crée en effet un processus d’imitation et de différenciation qui est utilisé à fond par la publicité […] l’effet Veblen (imitation-ostentation) »
Entièrement d’accord. Je pense également à l’effet Papillon (« Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? ») Certains pensent que les ultra riches n’ont qu’un impact négligeable, du fait de leur faible nombre. Ils disent que les yachts de luxe, les jets privés, les Ferrari, les palaces etc. ne pèsent pas bien lourd comparés aux millions de vols low-cost, milliards de bagnoles, de smartphones etc. Ce qui bien sûr est vrai. Seulement ce n’est pas tenir compte de cet effet Veblen, dont je n’avais jamais entendu parler.
L’autre jour je disais qu’en Océania (1984) les gens se contentaient de quatre ministères. De toutes façons quatre ou quarante n’y changeait rien. Ici nous en avons donc douze.
Dont le Ministère de la Sobriété partagée et celui de l’Énergie et des Besoins, qui ont en commun le même objectif, celui de diminuer les besoins. A t-on vraiment besoin de tous ces ministères ? Je pense qu’il y a déjà là matière à faire quelques économies, notamment de KWh.
Je ne retiendrais donc que le Ministère de la Lutte contre les inégalités.