Les bénéfices climatiques de la “compensation carbone” sont au mieux exagérés, au pire imaginaires.Le système thermo-industriel a inventé la « neutralité carbone » pour persévérer dans son être : on pourra toujours émettre davantage de gaz à effet de serre, il suffit de compenser par ailleurs ses émissions de gaz à effet de serre grâce aux arbres. Est-ce possible ? Il y a des différences de temporalités entre le biologique et le géologique. Les arbres plantés aujourd’hui mettront plusieurs dizaines d’années pour séquestrer les émissions actuelles alors que le CO2 a une durée de séjour approximative de cent ans dans l’atmosphère. De toute façon il parait impossible qu’il y ait assez de surface à vocation forestière sans intérêt économique ni écologique actuel pour qu’on puisse fournir massivement de nouveaux puits de carbone ex nihilo. La forêt devient un alibi qui fait passer au second plan la priorité numéro un, c’est-à-dire la décarbonation de pans entiers de l’économie. Il faut en finir avec la voiture individuelle, l’avion pour touristes, le chauffage à gogo et les énergies fossiles.
Stéphane Foucart : vous êtes (ou avez pu être) exposé à une allégation rassurante de « neutralité carbone ».Derrière chacun de ces messages déculpabilisant se cache une mécanique technique, comptable et financière complexe : construction de projets forestiers (protection de la forêt, reforestation, afforestation) dans les pays du Sud, certification et calcul des crédits carbone générés par ces projets, vente de ces crédits à des entreprises qui souhaitent compenser leurs émissions. Le Green Deal européen, qui vise la neutralité carbone du Vieux Continent à l’horizon du milieu du siècle, repose largement sur cette mécanique compensatoire.
Du choix des zones à protéger aux méthodes de calcul des crédits carbone générés, les failles sont aussi nombreuses que le système est complexe, de surcroît miné par des conflits d’intérêts structurels – les organismes certificateurs sont rémunérés à la quantité de crédits qu’ils certifient. Ce système de compensation, coordonné par les Nations unies et baptisé Reducing Emissions from Deforestation and forest Degradation (REDD +), fait l’objet de nombreuses critiques depuis son ébauche au milieu des années 2000. Hélène Tordjman rappelle par exemple que la vente des crédits carbone, censée profiter aux populations, tombe plutôt, in fine, dans les poches « des exploitants de forêts et/ou des officiels locaux corrompus ». De tels projets nourrissent la spoliation et l’expropriation, les potentats locaux s’appropriant souvent la valeur monétaire du carbone séquestré par les forêts.
Le point de vue des écologistes
Sol : « les organismes certificateurs sont rémunérés à la quantité de crédits qu’ils certifient ». Fallait y penser ! L’imagination délétère des investisseurs dépasse la fiction.
Sigi Dijkstra : Les « compensations » et autres taxes carbones m’ont toujours fait penser aux « indulgences » autrefois vendues par les Papes ; la rémission totale ou partielle devant Dieu de la peine temporelle encourue en raison d’un péché se faisait généralement contre espèces sonnantes et trébuchantes.
El Cornichon : Le secteur aérien base son déni de la réalité climatique sur la plantation d’arbres, mais aussi, et c’est le top de la fumisterie, sur de futures machines qui retireront le CO2 de l’air. Après « demain on rase gratis », on a maintenant « demain on dépolluera, donc aujourd’hui on peut polluer ». Contrairement à certains autres commentateurs, je ne pense pas que le fond du problème soit le capitalisme. Le fond du problème est qu’il faut changer énormément de choses, très vite, et que peu acceptent de sortir de leur confort pour affronter un pareil défi. Alors la tentation est forte de noyer le poisson.
Andin du Pérou : C’est comme l’électricité verte, on en vends dix fois plus qu’on en produit aux riches gogos qui savent reconnaître les petits électrons verts qui sortent de leurs prises de courant !
Haïdouk : Quand on voit le peu de cas que les responsables font de la questions des déchets nucléaires, livrés sans plus de remord aux générations futures (qu’elles se démerdent avec nos crasses empoisonnées hein), on a déjà compris quelles sont les priorités.
Sauf qui Peut : Rien de neuf, sauf pour les naïfs. Il y en a qui veulent aussi nous faire croire que la technologie pourrait résoudre le problème. Ce rachat hypocrite, et à peu de frais, de notre bonne conscience ne changera rien, ou si peu, à l’engrenage infernal de l’ère anthropocène. Il faut accepter et gérer la décroissance avant qu’elle nous soit imposée sans pitié par l’écosystème. Tout le reste, c’est de la littérature, comme on dit.
Ngoupla : Pour limiter le réchauffement climatique, il n’y a pas d’autres voies que de limiter les émissions directes de GES. On le sait depuis longtemps.
Notre article antérieur sur ce blog biosphere,
Neutralité carbone, compensation, foutaises !,
Notre plus ancien article sur la question,
2 février 2008, compensation carbone ?
On ne compte plus les articles sur le sujet. J’en ai seulement sélectionnés trois.
1) La compensation carbone illusion ou solution ? ( Augustin Fragnière – 2009 – cairn.info)
2) La compensation carbone. Leurre ou réalité ? ( 15 juin 2017 – vertementdit.wordpress )
3) Les ONG épinglent à nouveau la compensation carbone ( 07.10.2021 – agra.fr )
Je n’ai pas trouvé à quand remontait exactement cette idée. Si quelqu’un peut me le dire je l’en remercie d’avance. En attendant, voilà donc au moins 14 ans qu’ON nous amuse (et abuse) avec cette fumeuse Compensation. Au début, ici et là on s’est seulement interrogé, pour essayer de savoir si c’était ou pas une bonne idée. Et puis vite il s’est avéré que ce n’était que du flan. On a alors parlé de leurre, de greenwashing, on a comparé ça au commerce des indulgences, etc. ( à suivre )
– « La compensation carbone est un leurre qui permet aux entreprises qui ne veulent pas réduire leurs émissions de verdir leur image », tranche Myrto Tilianaki, chargée de plaidoyer au sein de CCFD Terre solidaire à l’occasion d’une conférence de presse le 6 octobre »
(article du 07.10.2021 – agra.fr)
Les chiens aboient et la caravane passe.
Et, en attendant, le Gouvernement continue d’arroser.
– « La compensation des coûts indirects ou « compensation carbone » permet de rembourser une partie du coût du système européen de quotas carbone incorporé dans le prix de l’électricité. Elle contribue ainsi à lutter contre les risques de fuites de carbone.»
( Compensation carbone – Compensation des coûts indirects – Mise à jour 25.01.2023
Agence de Services et de Paiement – asp-public.fr )
Notons que c’est tout récent. (à suivre …)
Notons ensuite que ce pognon sert à lutter contre … les fuites.
Oui mais… il y a fuites ET fuites. Les fuites fiscales, par exemple.
Non ! Là ON parle de fuites de carbone. Késako ?
– « réduire le risque de fuite de carbone, c’est-à-dire la délocalisation d’activités industrielles hors de l’Union européenne […] Le gouvernement français soutient la compétitivité des sites industriels et lutte contre les risques de fuite de carbone, par une aide compensant à ces sites les coûts indirects dus au système d’échange de quotas CO2. »
( COMPENSATION DES COÛTS INDIRECTS : CAMPAGNE 2021-2022 )
Retenons seulement deux choses : 1) Business as usual ! 2) L’argent public sert d’abord à enrichir toujours plus les plus riches.
– « Pour rétablir l’équilibre et compenser les émissions de CO2 émises par les entreprises, deux dispositifs ont été mis en place : le quota carbone – pour équilibrer le droit à polluer des industries – et la compensation volontaire – pour participer à l’effort commun contre les émissions de GES.»
( Quota carbone et compensation volontaire : quelle différence ? sefe-energy.fr )
Blablabla ! Après les départs et la vaccination «volontaires», sans oublier bien sûr l’IVG et l’IVV… voilà donc la CCV ( la Compensation Carbone Volontaire).
Compensation, volontaire ou obligatoire on s’en fout, fuites, neutralité, marchés, cours de la tonne, quotas, crédits, bilans et autres certificats etc. etc. tout ce baratin dégoulinant de Carbone devrait largement suffire pour comprendre que la fumeuse Carte ne peut être que du même acabit. En espérant donc ne plus en attendre parler. On peut rêver. 😉