Quel était vraiment le message du rapport Les limites à la croissance (LC) de 1972 ? Et ce message a-t-il une quelconque pertinence aujourd’hui ‑ 50 ans plus tard ?
Jorgen RANDERS : LC avait observé que l’impact environnemental de la société humaine avait augmenté de 1900 à 1972 à cause de la croissance de la population mondiale, de l’utilisation des ressources et de l’impact environnemental par personne. Cette hausse s’est poursuivie depuis 1972, l’empreinte écologique humaine totale augmente encore, poussée par l’augmentation de la population mondiale et de la consommation matérielle.
Quand les limites approcheront, la société passera d’abord du temps à discuter de sa réalité mais pendant ce temps, la croissance continuera et mènera l’empreinte écologique en territoire insoutenable. Ceci est exactement ce qui s’est passé dans l’arène climatique mondiale (les COP). En résumé, LC avait déclaré que la croissance de l’empreinte écologique ne sera arrêtée qu’après le dépassement du niveau soutenable. Ce message de « dépassement causé par les retards de décision » n’a pas été retenu par le lectorat de LC. Mais en 2016, la demande humaine sur la biosphère avait déjà dépassé la biocapacité mondiale d’environ 50 %. Le monde d’aujourd’hui est en profond dépassement. L’humanité devra revenir en territoire durable. Soit par le biais d’un « déclin organisé » vers des niveaux d’activité durables, soit par un « effondrement » vers les mêmes niveaux, causé par le travail de la « nature » ou du « marché ». Un exemple de la première solution consisterait à limiter administrativement les pêches annuelles de poissons au niveau de la pêche durable, l’autre solution serait l’élimination des communautés de pêcheurs parce qu’il n’y a plus de poisson. L’exemple le plus célèbre d’« effondrement » est celui de la pêche à la morue au Canada après 1992, après deux décennies sans pêche, le stock de poissons ne s’est toujours pas reconstitué.
Onze des douze scénarios du LC exploraient diverses solutions au défi du dépassement. Le dernier scénario – l’équilibre global – montrait comment le dépassement et l’effondrement pouvaient être évités, du moins en principe. Traduit en politiques concrètes, cela signifie qu’il faut légiférer pour limiter la taille de la population et la consommation de matières premières par habitant. Or nous savons aujourd’hui qu’aucune action réelle visant à prévenir le dépassement n’a été mise en place (dans le monde réel) en 1975. Aucun effort majeur n’était non plus en cours en 2000. Au cours des 20 dernières années, le nombre de mesures statistiques indiquant que l’humanité a dépassé les limites planétaires et continue de s’en éloigner n’a cessé d’augmenter. Le terrain se prépare à l’effondrement ou à la contraction, ou idéalement, à la contraction planifiée. Le changement climatique apparaît comme le principal défi.
Le message de LC est-il pertinent aujourd’hui ?
Gaël Giraud travaille actuellement sur un modèle qui s’inspire de celui de l’équipe Meadows : « Ce rapport ne disait rien en ce qu’il advient en termes de dette, de chômage, d’inflation, etc. Or ce sont des signaux économiques dont nous avons besoin pour pouvoir prendre des décisions. De plus LC n’incluait pas le réchauffement climatique, à l’époque les données n’étaient pas disponibles. Nous essayons donc de faire un travail complémentaire qui inclut l’aspect économique et climatique. Les conclusions que nous obtenons sont assez similaires à celles du rapport Meadows.
Si nous ne changeons pas radicalement de trajectoire, des régions entières de la planète vont devenir inhabitables pour l’humanité avant la fin de ce siècle. Par exemple une combinaison de pics de chaleur et d’humidité est létale pour le corps humain : si vous êtes exposés pendant plus de six heures à une température de 40°C et à plus de 25 % d’humidité, vous mourez. Nous démontrons que dans le cas d’un scénario « business as usual », la totalité de l’Amazonie, une grande partie de l’Amérique centrale, tout le littoral indien et la quasi-totalité de l’Asie du Sud-Est deviennent inhabitables. Ce qui signifie des migrations colossales.
Le rapport Meadows est pleinement d’actualité dans sa méthode et dans ses conclusions. La dernière vérification en date des scénarios Meadows par Gaya Herrington suggère que la fenêtre qui nos permettrait d’échapper aux catastrophes est en train de se refermer au cours de cette décennie 2020.
(extraits du livre « Dernières limites », édition rue de l’échiquier, 2023)
Les raisons du refus de voir la réalité biophysique
- Nombreux sont ceux qui pensent que la croissance économique continue est la seule solution possible pour répondre aux trois besoins humains légitimes que sont a) un revenu décent, b) le plein emploi et c) la sécurité de la vieillesse pour tous.
- Beaucoup croient que le progrès technologique résoudra tous les problèmes de ressources et de pollution (à l’avance).
- Beaucoup ne comprennent pas que la croissance économique (croissance de la valeur ajoutée = croissance du PIB) puisse se produire sans croissance de l’empreinte écologique.
- Nombreux sont ceux qui considèrent toute interférence avec le moteur de la croissance économique comme une tentative, par les riches, de maintenir les plus pauvres à terre.
Il est vrai que ce qu’il faut faire n’est pas rentable du point de vue des investisseurs et nécessitera des changements structurels auxquels s’opposent ceux qui perdront leur emploi ou leur source de profit. Un État actif œuvrant pour le bien commun, cela ne sera pas facile dans un monde d’individualistes réfléchissants à court terme.
Parmi les raisons du refus de voir la réalité biophysique, en premier… je mettrais tout simplement le déni de réalité. C’est lui qui pousse les uns à croire que la croissance économique continue est la seule solution possible pour répondre aux trois besoins humains (sic), les autres à croire que le progrès technologique résoudra tous les problèmes, etc.
Bref, le déni nous pousse à croire ce qui nous arrange le mieux, il nous permet de survivre, en attendant. Hélas, le fait de savoir ça n’y change finalement pas grand chose.
Le capitalisme est le cancer qui mène le monde à sa perte, c’est l’origine de tous les mots.
Il faut un autre modèle économique qui accepte qu’on n’agisse plus pour la croissance, mais pour la vie, seulement la vie sur terre.