Non seulement les économistes ne sont plus capables de comprendre la « poly-crise » économique, sociale et surtout environnementale qui frappe l’humanité, et a fortiori d’y remédier, mais ils en sont en grande partie responsables !
Antoine Reverchon : La doxa, c’était la théorie économique néoclassique, née dans les années 1870 qui s’est installée depuis le début des années 1980 aux manettes des facultés. Or, l’expérience historique de la succession des krachs, des crises et des guerres, la persistance, voire l’aggravation, des inégalités tant entre pays qu’en leur sein, la destruction irréparable des ressources et des équilibres naturels, la simple observation psychosociologique des comportements humains irrationnels et imprévisibles ont montré l’inanité de la foi en l’existence d’un équilibre général vers lequel tendrait spontanément l’économie. Les économistes tendent à négliger un problème que les historiens connaissent bien : les données exploitées dans une expérience, naturelle ou pas, ne sont pas déjà données, elles sont construites, c’est-à-dire choisies et énoncées en fonction d’hypothèses de recherche elles-mêmes inscrites dans des modes de pensée, des cadres institutionnels et des outils techniques spécifiques à la recherche menée.
Deuxième problème, la science économique, comme toutes les sciences sociales, est par essence et par tradition anthropocentrée : elle s’intéresse aux comportements et aux interactions des humains, et n’inclut l’environnement dans sa démarche que comme… un environnement, ce qui est autour de l’homme dans la seule dimension de son interaction avec lui, laissant aux biologistes, aux climatologues, aux écologues, etc. le soin de découvrir ce qui se passe de l’autre côté. Les inégalités, la destruction de la nature, les crises économiques sont des « externalités » – c’est-à-dire des retombées négatives des échanges de marché sur ceux qui n’y participent pas : les pauvres, les pays du Sud, la biodiversité. Le défi des économistes – mais aussi des politistes, sociologues, psychologues, ethnologues – est d’intégrer dans leurs modèles ce que, faute de terme encore bien stabilisé, on appelle les écosystèmes. Faire dialoguer l’économiste et le vivant représente une rupture paradigmatique d’ampleur. Le nouveau défi de l’humanité est de retrouver les moyens d’habiter la Terre sans la détruire, de respecter ses besoins plutôt qu’elle ne serve aux nôtres. Faut-il par exemple rompre avec la notion de croissance indéfinie et préconiser la décroissance, étant donné le risque de dépassement de seuils irréversible dans le prélèvement de ressources non renouvelables ?
Il faudrait donc « réencastrer » l’économie non seulement dans toutes les autres dimensions de l’activité humaine – sociale, politique, sensible –, mais aussi dans toutes les dimensions du vivant. Il s’agit de penser une « économie écologique »qui permettrait de « transformer une “économie de la prédation” en une “économie de la coévolution” ».
Le point de vue des économistes écologistes
Neutrino : Merci pour cette synthèse, mais il me semble qu’il manque une contribution que je juge majeure, celle de Jean Marc Jancovici qui expliquer) les phénomènes économiques par les flux de matières et d’énergie sous-jacent
Michel SOURROUILLE : J’ai été professeur de SES toute ma carrière depuis les années 1970, époque où j’avais lu le rapport sur les limites de la croissance (1972) qui me paraissait incontournable. Pourtant le contenu de mes programmes a été maintes fois manipulé par les pontes de l’université, adeptes du croissancisme à tout va. Le côté transversal a été systématiquement rogné pour correspondre à l’économie orthodoxe (business as usual). Je rappelle un sujet de bac réellement posé en 1975 : « La poursuite de la croissance, telle que l’ont connue depuis la deuxième guerre mondiale les économies capitalistes développées, semble poser de plus en plus de problèmes. Vous présenterez la crise actuelle et ses mécanismes et vous tenterez de déterminer dans quelle mesure et pour quelles raisons un changement d’orientation parait devoir s’imposer. »(aux lendemains du 1er choc pétrolier). Depuis nous avons complètement régressé et nos jeunes ne sont pas préparés à la nécessaire rupture écologique. Inquiétant !
Jacques Py : Un philosophe qui se fit économiste, ce fut bien Marx. Et comme il comprit l’inanité à penser dans le vide de la théorie, pour changer le monde, il se fit analyste de sa réalité ; celle d’un système capitaliste et du caractère implacable de sa logique. Il resta toutefois philosophe en considérant l’économie comme la science du vivant, vivre, travailler, se créer, se battre pour. la question du climat est aussi la science du vivant et de ses urgences. Et si elle nous est existentielle, c’est ainsi qu’elle doit se penser, nous y jouons notre survie, et il n’est plus temps de finasser. La logique économique devient une logique politique, elle porte ce nom de l’extrême où le politique domine: c’est donc de politique et de politique économique qu’il faut parler, et qui peut se résumer par une économie de survie ou de guerre. Quelle évolution de cette crise climatique, ses dégâts, nos capacités à s’y adapter ? Que la théorie est loin, jouer sa vie exige une rupture.
IdéPa : Pour être complet il faudrait tout de même rappeler que depuis au moins 50 ans les économistes sérieux recommandent la taxe carbone redistributive comme outil pour intégrer les émissions dans la régulation par les prix, et que cette recommandation est largement ignorée par les politiciens et la société dans son ensemble – trop contente de se goinfrer d’énergie fossile à faible prix.
Critique civilisée, empathique de l’Economie…. Au nom de La Nature, L’Humanité, La Vie, L’Energie, La Croissance…… C’est bien Beau, Bon, un peu Grand, Compliqué,…, pour 7 milliards de pygmées locaux mais bien chanceux d’être éclairés par la science diffuse d’une sphère d’avant-garde globale.
Chaleureusement. Evremond
“La science économique sommée de se réinventer”
Il n’y a pas besoin de réinventer quoi que ce soit ! Puisque la mécanique de l’économie actuelle est déjà très bien connue ! Que ce soit les ménages, les entreprises ou les pouvoirs publics, dans les 3 cas ils sont surendettés ! Or tant que tout ce beau monde aura de la dette et vivra à crédit, alors le modèle économique ne sera pas remis en question ! Tout ce beau monde voudra continuer de vendre des trucs en tout genre pour pouvoir rembourser leurs crédits ! Alors l’activité extractiviste de ressources naturelles et le mercantilisme continuera ! D’ailleurs même les économistes l’affirment eux-mêmes ! Puisque les économistes disent que pour que les dettes soient soutenables alors il faut que le taux de croissance soit supérieur aux taux des crédits pour pouvoir rembourser ! Bref, tant qu’il y aura de la dette, alors la croissance sera souhaitée par tous finalement !
En l’occurrence, pour faire la vraie écologie efficacement et rapidement,afin de diminuer la pollution et la dégradation de l’environnement, il n’y a qu’une chose à faire, interdire les crédits ! Et stopper la création monétaire par la voie de crédit ! Si vous stopper le créditisme, alors les économistes, les industriels, les pouvoirs publics et les marchands n’ont plus aucun prétexte d’alimenter la croissance de manière excessive puisque nous n’aurions plus de dettes à rembourser ! Puisque les économistes disent que pour que les dettes soient soutenables alors il faut que le taux de croissance soit supérieur aux taux des crédits pour pouvoir rembourser ! Autrement dit s’il n’y a plus de dette alors il n’y a plus besoin de croissance ! Tant qu’il y aura de la dette le modèle économique ne sera ni réinventé ni réformé, et c’est bien pour ça qu’il faut combattre la dette pour faire de l’écologie !
– « Il n’y a pas besoin de réinventer quoi que ce soit ! Puisque la mécanique de l’économie actuelle est déjà très bien connue ! »
Entièrement d’accord. Et finalement tu aurais dû t’arrêter là.
Quitte à rajouter que la seule chose à faire c’est de se débarrasser de la DOXA.
( doxa : du grec dokéo = sembler, paraître, avoir l’apparence… )
En économie le courant néoclassique représente l’orthodoxie. Le dogme de la religion des économistes orthodoxes repose donc sur des apparences. Ou sur une illusion. On peut déjà là se référer au mythe de la Caverne de Platon.
Le défi, le Yaka, des économistes comme de nous tous, c’est donc de se libérer de toutes ces illusions, de ces idées reçues fausses et toxiques. C’est ce que Serge Latouche (économiste) appelle «décoloniser les imaginaires». ( à suivre )
Là encore, il n’y a pas besoin de réinventer quoi que ce soit.
D’autant plus que notre «mécanique» cérébrale est déjà très bien connue.
Et toujours plus, grâce notamment aux récentes découvertes en neurosciences.
Mais pour rester dans le domaine de l’économie, il n’y a rien à réinventer puisque cette doxa a déjà été mise à mal depuis longtemps.
Exemple la Dette, l’Argent. Bernard Maris nous a dit que ce n’est que du VENT ! Serait-ce trop dur à supporter, comme idée ? Et le Crédit… c’est quoi le crédit ?
(du latin «credere» = croire) Le crédit c’est un prêt, un service rendu, qui repose sur la confiance, sans laquelle tout s’écroule. Les intérêts, l’usure, c’est autre chose.
Là encore, tout ça a été analysé, pensé, jugé… depuis longtemps.
– « Les préoccupations des économistes en matière de protection de l’environnement vont suivre en définitive l’évolution de l’industrie. […]
Mais, à ce stade de notre analyse, une question majeure doit être mise en exergue : les économistes (quel que soit le courant auquel ils se rattachent) ne sont-ils pas prisonniers d’un principe : la marchandise. Une chose ou un être existent parce qu’ils sont marchandises, parce qu’ils font l’objet d’un échange dans un cadre mercantile. Une marchandise existe parce qu’elle est évaluée en termes monétaires. Les forêts, les océans, les plages, les montagnes… toutes les richesses de la nature peuvent être converties en prix. L’intérêt témoigné par les touristes pour les parcs naturels […] parce que la protection de la nature est devenue une marchandise. […] »
( Les économistes et l’écologie, enseignements historiques
Par Sophie Boutillier – Dans Innovations 2003/2 – cairn.info )