Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », sera éditée chaque jour par épisode tout au cours des mois de juillet et août sur ce blog biosphere.
Une pensée en avance sur son temps
Le bureau de la société des agrégés (Sud-Ouest du 8 mars 1971) dénonce publiquement l’ouvrage : « Le petit livre rouge des écoliers et lycéens ». C’était à les en croire une œuvre ni littéraire ni idéologique mais de destruction et de démoralisation qui, de plus, « porte une grave atteinte à l’immense majorité des élèves et des maîtres ». Je me suis empressé de me procurer ce livre rouge. On y trouve des choses très intéressantes : « Suivant les directives ministérielles, les professeurs doivent faire participer activement leurs élèves à l’enseignement. Vous (les lycéens) devez donc être actifs, c’est-à-dire agir et parler pendant la classe. Si vous ne faites qu’écouter le professeur et si vous vous ennuyez, vous ne respectez donc pas les directives ministérielles. Essayez d’expliquer tout cela à votre prof. ».
Le Petit Livre Rouge a été interdit par le ministre de l’intérieur Marcellin, « Raymond la matraque » ! Je fournis à qui veut la bonne adresse pour se le procurer illégalement (Etienne Bolo, Paris 15ème). J’en achète en nombre, je diffuse.
Un assistant de fac me trouve inclassable, échappant totalement à la grille de notation ordinaire. Dans les devoirs que je lui remets, j’exprime mon approche personnelle des choses et non l’idéologie théorisée d’Hicks ou d’Untel. Quand je fais un exposé oral, j’instaure tout de suite débat et non-directivité. Quand je ne suis pas d’accord, je le dis, même dans un amphi de 200 étudiants ! Avril 1971, je pose publiquement la question à mon professeur Merigot : « La majorité de l’auditoire, me semble-t-il, trouve votre cours profondément ennuyeux. Que pensez-vous de votre propre cours ? » A l’économètre Lagoueyte : « Que pensez-vous de la phrase de Sauvy : la poussée actuelle d’économétrie est une fuite devant la réalité de notre temps. » A Robine : « Que faut-il faire devant la non prise en compte par les entreprises privées de la détérioration de l’environnement ? ».
L’enseignement ne fait que perpétuer un ordre établi sur des bases fausses. Petit Livre Rouge p.12 : « Quand on n’a qu’un droit, celui d’obéir, on apprend inévitablement à ne jamais chercher à savoir pourquoi on fait ce qu’on fait. On apprend à ne jamais se poser de questions, on apprend à ne plus penser. » Face à cela, notre esprit critique ne vient pas spontanément, il faut le cultiver, il faut s’entraîner, il faut changer de comportement.
La mode est alors au short pour les filles. Très peu en portent dans ma fac. Faut pas nous confondre avec la fac de socio ! J’ai mis plusieurs mois à me convaincre à partir en short à la fac, j’y vais souvent en vélo. Le 8 juin 1971, c’est fait : un garçon en short à la fac de sciences éco, un seul, c’est moi ! En fin d’année estudiantine, un assistant de fac m’a asséné : « On peut te prendre pour le meilleur élève d’une classe Freinet, mais tu n’as strictement rien à faire en fac d’éco ». Ainsi donc dans notre société policée, la pédagogie s’arrêterait à 10-11 ans, toute participation active à son enseignement étant interdite au-delà ? Mais le blocage ne vient pas seulement des instances officielles. Ceux qui distribuent Rouge et LO ne comprennent pas plus les avantages de l’apprentissage permanent, celui qu’on apprend en marchant de ses propres jambes. Notre liberté d’agir ne vient pas spontanément, il faut résister, il faut s’entraîner. C’est à ce prix qu’on obtient son autonomie.
10 juin 1971. Je loupe la première session de l’examen de fin d’année. Normal, vu mon état d’esprit. J’ai acquis un tempérament si critique que je suis en perpétuel déphasage avec ce qui m’est scolairement demandé. J’ai pu me débrouiller en TP parce que les assistants pouvaient tester mon niveau de sincérité ; il ne peut en être de même dans une copie d’examen. Mais je réussis la deuxième session de rentrée. Il suffit d’apprendre par cœur et de réciter : le prof est content. Ce n’est plus l’économie qui va motiver mon existence, c’est l’écologie et l’enseignement. (à suivre demain)
Si tu ne veux pas attendre demain, à toi de choisir ton chapitre :
Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE
01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion
02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas
03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !
04. Premiers contacts avec l’écologie
05. Je deviens objecteur de conscience
06. Educateur, un rite de passage obligé
07. Insoumis… puis militaire !
08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales
09. Du féminisme à l’antispécisme
10. Avoir ou ne pas avoir des enfants
11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs
12. Ma tentative d’écologiser la politique
13. L’écologie passe aussi par l’électronique
14. Mon engagement associatif au service de la nature
15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience
16. Ma pratique de la simplicité volontaire
17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes
18. Techniques douces contre techniques dures
19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie
21. Ma philosophie : l’écologie profonde
– « Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE […] sera éditée chaque jour par épisode tout au cours des mois de juillet et août sur ce blog biosphere. »
Puisque l’écologie est elle aussi en vacances, et puisque nous (les 4 pelés et 1 tondu) avons désormais tous les billes pour lire cette passionnante histoire… pourquoi ne pas faire plutôt une pause (estivale), et nous donner RDV au 1er septembre ? Nous ferions ainsi quelques économies d’énergie, du coup nous réduirions nos émissions néfastes, pour le Climat et tout le reste.
Michel C., nous ressentons que tu as besoin comme nous de grandes vacances, loin de ton ordinateur et du brouhaha insipide de l’actualité immédiate.
RdV donc au 1er septembre, en espérant qu’il y aura encore quelques Ukrainiens en (sur)vie
pour nourrir la saga sans fin de nos vilenies et l’écume de nos commentaires.