Fragments de vie, fragment de Terre (suite)

Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », est éditée chaque jour par épisode sur ce blog biosphere tout au cours des mois de juillet et août.

Ma pratique de la simplicité volontaire

Quelques idées générales : La manière dont personnellement je vis et consomme a des répercussions tant sur la vie des autres personnes que sur celle des non-humains et des générations futures. Selon la doctrine keynésienne (dans son livre de 1936), il fallait consommer toujours plus pour échapper à une grande crise comme celle de 1929 : ainsi on lutterait contre l’équilibre de sous-emploi (le chômage structurel). Ford avait déjà mis en pratique la consommation de masse avec la Ford T. Aujourd’hui la croissance de la consommation est devenue une fin en soi, sans souci de l’avenir ni du respect de la biodiversité.

La simplicité volontaire est une tentative d’enrayer ce mécanisme keynésien (et fordiste). Cela consiste à choisir un autre mode de vie que celui de la société de consommation et du spectacle. Contre le gaspillage des ressources fossiles, il s’agit de cultiver la sobriété énergétique, contre la dictature des objets, il s’agit de privilégier les relations directes avec les autres humains tout autant qu’avec la Nature. Le bonheur n’est pas dans le système marchand.

Je suis né en 1947. En ce temps-là du début des Trente Glorieuses, les casseroles s’achetaient encore avec des tickets de rationnement et on prenait la vie comme elle venait. Il n’y avait pas de préoccupation écologique, juste le souci de reconstruire après-guerre une société encore traditionnelle. Je suis donc personnellement préparé à vivre de peu. Depuis qu’il m’en souvient j’ai toujours vécu le plus simplement possible. Je suis un enfant d’après-guerre, élevé dans un contexte de pénurie, avec un père artisan–tailleur qui avait des mortes saisons, sans beaucoup de client. Il fallait faire attention à tout, je faisais au minimum. Je voulais faire du piano dès le plus jeune âge, j’ai attendu mes 17 ans pour en avoir un. Je n’ai jamais souffert du manque, nous étions élevés à ne recevoir de l’argent de poche qu’en échange de notre travail… manuel. Il n’y avait pas de télévision, pas de téléphone accessible aux enfants du foyer, bien sûr ni ordinateur ni téléphone portable. C’était le bon temps, je ne me suis jamais ennuyé.

Aujourd’hui, dans une société de surconsommation, nous devons nous entraîner à vivre de peu, à vivre comme un Amish, la religion en moins. Arne Naess écrivait dans Ecologie, communauté et style de vie :

« En définitive, toutes nos actions et toutes nos pensées, même les plus privées, ont une importance politique. Si j’utilise une feuille de thé, un peu de sucre et de l’eau bouillante, puis que j’en bois le produit, je soutiens le prix du thé et du sucre et, plus indirectement, j’interfère dans les conditions de travail au sein des plantations de sucre et de thé dans les pays en voie de développement. Pour chauffer l’eau, j’ai probablement utilisé du bois ou de l’électricité ou un autre type d’énergie, et ce faisant, je prends part à la grande controverse concernant l’utilisation de l’énergie. J’utilise de l’eau et prends aussi part à une myriade de problèmes politiquement brûlants qui concernent les réserves d’eau. J’ai donc une influence politique quotidienne. Je peux par exemple penser que les pays en voie de développement ne doivent pas exporter le thé, mais plutôt produire plus de nourriture… »

Dans les années 1970, j’adhère à la philosophie de la non-violence puisque je deviens objecteur de conscience. Je suis interpellé par le raisonnement de Gandhi: « La civilisation au vrai sens du mot, ne consiste pas à multiplier les besoins mais à les réduire volontairement, délibérément. Même à l’ashram, nous possédons beaucoup de choses dont on ne saurait prouver la nécessité et ainsi nous soumettons notre prochain à la tentation de voler. Il faut nous rappeler que la non-possession est un principe applicable aussi bien aux pensées qu’aux choses. Celui qui emplit son cerveau de connaissances inutiles viole ce principe inestimable. »

Mais je prends en même temps mes distances (écrit le 27 décembre 1970) car l’humilité ne peut être une règle en soi, elle ne se prête guère à ce qu’on la pratique volontairement dans une société d’abondance. D’où l’impasse dans laquelle s’engage notre société consumériste, la pression du confort dont nous aurons tant de mal à sortir. (à suivre, demain)

Une vision d’ensemble de cette autobiographie :

Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE

00. Fragments préalables

01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion

02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas

03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !

04. Premiers contacts avec l’écologie

05. Je deviens objecteur de conscience

06. Educateur, un rite de passage obligé

07. Insoumis… puis militaire !

08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales

09. Du féminisme à l’antispécisme

10. Avoir ou ne pas avoir des enfants

11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs

12. Ma tentative d’écologiser la politique

13. L’écologie passe aussi par l’électronique

14. Mon engagement associatif au service de la nature

15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience

16. Ma pratique de la simplicité volontaire

17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes

18. Techniques douces contre techniques dures

19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie

20. Une UTOPIE pour 2050

21. Ma philosophie : l’écologie profonde

22. Fragments de mort, fragment de vie

23. Sous le signe de mon père