LE MONDE* le dit, Golden Holocaust de Robert Proctor paraît ces jours-ci aux Etats-Unis. Ce livre puise dans les « tobacco documents ». Le Master Settlement Agreement en 1998 ordonne la mise dans le domaine public des secrets de l’industrie du tabac ; un vaste complot depuis un demi-siècle pour tromper le public.
Au cours de la réunion de Paris qui a mis en mouvement le plan Marshall le 12 juillet 1947, il n’y avait aucune demande des Européens spécifique au tabac. Cela a été proposé et mis en avant par un sénateur de Virginie. Au total, pour deux dollars de nourriture, un dollar de tabac a été acheminé en Europe. Les populations européennes sont alors devenues accros au tabac blond flue-cure. Ce procédé permet de rendre la fumée moins irritante, donc plus profondément inhalable ; or plus l’afflux de nicotine dans l’organisme est rapide, plus les dégâts occasionnés sur les tissus pulmonaires sont importants. Plusieurs centaines de composés – accélérateurs de combustion, ammoniac, adjuvants divers, sucres, etc. – sont ajoutés au tabac. Ils rendent la fumée moins irritante, plus inhalable. Tout est fait pour rendre les fumeurs le plus accro possible. A cause du polonium 210, un paquet et demi par jour équivaut à s’exposer annuellement à une dose de rayonnement équivalente à 300 radiographies du thorax.
Le 14 décembre 1953, les grands patrons du tabac se retrouvent discrètement à l’hôtel Plaza de New York. Quelques mois auparavant, des expériences menées sur des souris ont montré que le produit qu’ils vendent est cancérigène. Les géants du tabac se lancent alors dans une entreprise d’instrumentalisation du doute scientifique qui retardera la prise de conscience des ravages de la cigarette. Ce n’est qu’en 1964 que les autorités sanitaires américaines commenceront à communiquer clairement sur le lien entre tabac et cancer du poumon. Les mensonges d’une demi-douzaine de capitaines d’industrie provoqueront la mort de plusieurs millions de personnes. Mais pour cela, il faut fabriquer le consentement.
Philip Morris a formalisé ce projet en 1987 sous le nom de Project Cosmic – un plan destiné à créer un réseau extensif de scientifiques et d’historiens partout dans le monde. Créer de toutes pièces des réflexes mentaux dans la population est à la fois fascinant et inquiétant. Convaincre les adolescents que fumer tient de la rébellion, voilà un tour de force marketing. C’est le fruit d’investissements lourds, à coups de millions de dollars. Sylvester Stallone a touché 500 000 dollars pour fumer dans cinq films. Mais le passage enfumé à l’écran de Paul Newman, Sean Connery, Clint Eastwood ou Mickael Blomkvist résulte d’un processus similaire. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a été infiltré par les cigarettiers grâce à des associations écrans ou à des scientifiques secrètement payés par eux. Celui qui examinait les dossiers de la National Science Foundation (principale agence fédérale de financement de la recherche américaine) touchait de l’argent du tabac. Même l’American Civil Liberties Union, l’équivalent de la Ligue des droits de l’homme, a fait campagne au début des années 1990 pour la « liberté » de fumer sur le lieu de travail après avoir reçu des centaines de milliers de dollars de l’industrie du tabac. Une cinquantaine d’historiens – la plupart financés ou secrètement payés par les cigarettiers – ont formulé lors des procès du tabac des témoignages favorables aux industriels. Les chiens de garde du Project Cosmic avaient infiltré toutes les institutions. Pour quel résultat ?
Le plaisir procuré par la cigarette est une pure fabrication de l’industrie. Contrairement à l’alcool et au cannabis, la cigarette n’est pas une drogue récréative : elle ne procure aucune ébriété, aucune ivresse. Fumer, c’est devenir directement accro. Parmi ceux qui aiment le vin, seuls 3 % environ sont accros à l’alcool. Alors qu’entre 80 % et 90 % des fumeurs sont dépendants. C’est une forme d’esclavage. Chaque année la combustion des cigarettes déposera quelque 60 000 tonnes de goudron au fond de poumons humains. Chaque année, la cigarette tue plus que le paludisme, plus que le sida, plus que la guerre, plus que le terrorisme. Et plus que la somme des quatre. La cigarette est l’invention la plus meurtrière de l’histoire de l’humanité.
Merci à Stéphane Foucart de nous donner tous ces éléments de réflexion. La cigarette est inutile, pernicieuse, dangereuse. Mais n’oublions pas que ce sont les fumeurs qui donnent aux cigarettiers les moyens de financer leur aliénation et de programmer leur propre mort. Un peuple écolo est un peuple exemplaire, il ne fume pas.
* LE MONDE culture & idées | 25.02.12 | Les conspirateurs du tabac
Au delà de l’évidente manipulation qui permet de créer de faux besoins, j’ai tendance à penser que le funeste succès du tabac ne pourrait avoir lieu à une telle échelle s’il ne venait pas également combler un manque. De quelle nature exactement, je ne sais… mais il me parait évident que la cigarette, comme la drogue en général, révèle un mal être profond, individuel et collectif. Avoir à ce point besoin de compenser, de calmer ou de s’évader est la preuve que Edward Bernays* et consorts répondent aussi à un vrai besoin et qu’ils manipulent peut-être une population qui n’attend que ça…
* http://www.dailymotion.com/video/x9wv2w_edward-bernays-propaganda-1-2-vostf_news
« Mais n’oublions pas que ce sont les fumeurs qui donnent aux cigarettiers les moyens de financer leur aliénation et de programmer leur propre mort. Un peuple écolo est un peuple exemplaire, il ne fume pas. »
Cette remarque est très juste et elle tranche avec intelligence avec tout un discours écolo qui veut rendre responsables des problèmes quelques boucs émissaires. En réalité c’est à nous tous de nous prendre en main. Si l’on veut une planète écolo, en effet, il ne faut pas fumer. Ce sera de plus une marque de respect envers les non fumeurs qui n’ont pas à subir partout l’odeur insupportable des cigarettes ainsi que les mégots et la cendre que l’on retrouve partout. Quelqu’un a t-il calculé la quantité de polluants émis sur la planète par les cigarettes ? Il serait bon de remonter encore fortement le prix du tabac pour décourager absolument tous les jeunes de commencer. Il y en a assez de ce poison omniprésent.