industrie de la viande, massification de l’homme

Fabrice Nicolino* en résumé : « L’industrialisation de la viande a commencé avec la loi sur l’élevage de 1966. Ce texte ouvre la voie à la sélection génétique et à l’adjonction de quantité de médicaments vétérinaires. Avec la viande industrielle, on a changé de monde. Le maître-mot de la viande industrielle, c’est productivité. Pour cela, il existe des techniques qui sont bien connues, efficaces pour doper la croissance des muscles d’un animal : des anti-parasitaires, des antibiotiques, des hormones de croissance et quantité de produits dont on connaît très mal la toxicité à long terme. Il fallait aussi des débouchés pour écouler la viande produite massivement. Depuis les années 1950, ma consommation de viande a doublé en France. Cette augmentation de la consommation de viande n’a rien de spontané. Je rappelle que dans les années 1960, il y avait à la télévision française un programme quotidien d’incitation à la consommation de viande qui s’appelait « Suivez le bœuf ». Et maintenant, dans un univers mondialisé, les règles nationales sont impuissantes à contrôler réellement les flux de viande. Il y a des bureaux de lobbyistes par dizaines à Bruxelles qui défendent la cause de la viande.

La responsabilité des consommateurs est une question centrale. Pour de multiples raisons, morales, écologiques, de santé publique, il faut absolument réduire massivement notre consommation de viande. Mais beaucoup d’entre nous préfèrent disposer de trois, cinq, sept téléphones portables dans une famille que de payer le prix juste et nécessaire de la viande que l’on consomme. Ce que l’on pourrait imaginer, c’est un très vaste débat national qui pourrait durer un, deux, voire trois ans, suivi d’un pacte de confiance qui passerait par la disparition progressive de l’élevage industriel. Si l’on revient à une consommation modérée de la viande, il est clair que l’on pourra consacrer l’argent nécessaire à une viande de qualité. Un animal d’élevage, avant l’industrie, était un être vivant, sensible. Il pouvait être maltraité, mais la vision sociale de l’animal n’avait rien à voir avec celle imposée par l’industrie de la viande. Aujourd’hui, non seulement l’animal d’élevage est constamment maltraité pendant sa courte existence terrestre, mais en outre, on ne le voit plus que comme un assemblage de morceaux à découper. Son identité est totalement niée. Et je pense que les humains que nous sommes, que les hommes s’honoreraient à repenser radicalement leurs relations avec des animaux qui leur ont tant donné. »

Présentation de Fabrice Nicolino par lui-même : « Je suis né dans le sous-prolétariat urbain de la banlieue parisienne. Ma mère préparait le dimanche midi un rosbif farci à l’ail qui déclenchait chez nous tous, les enfants de cette pauvre nichée, une émeute de papilles. Oui, j’ai mangé beaucoup de viande. Mais je dois ajouter que, chemin faisant, j’ai changé d’avis et de goût. Modifier ses habitudes est l’une des vraies libertés qui nous sont laissées. Derrière une côte de bœuf, j’ai fini par voir un bœuf. Derrière un gigot, un agneau. Derrière un jambon, un cochon. Je mange encore de la viande. De moins en moins, et désormais j’entrevois le moment où je cesserai de le faire. Je ne suis pas un exemple. Je suis exactement comme vous. Mais ce livre vous convie à une plongée dont vous ne sortirez pas indemne. » (Bidoche, l’industrie de la viande menace le monde)

* Le Monde.fr | 21.02.2013, La viande est devenue une marchandise industrielle (Chat)