La publicité ne relève pas de la liberté d’expression

 « Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser informations et idées, quelle qu’en soit la nature, par le moyen de la publicité, d’enseignes et de préenseignes, conformément aux lois en vigueur. » Qui pourrait aller contre cette liberté d’expression ! Sauf qu’il s’agit de l’article 1 de la loi N° 79-1150 du 29 décembre 1979 (modifiée en février 1995, décret de janvier 2012) relative à la publicité par affichage. La publicité commerciale peut-elle relever de la liberté d’expression ?

Le fondement constitutionnel de la liberté d’expression en France repose sur l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789  : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». Le Constituant entendait favoriser un débat d’idées. Il ne visait explicitement que la libre communication « des pensées et des opinions », certainement pas des informations ordinaires et encore moins de la publicité commerciale qui n’existait pas à l’époque. La publicité n’a nullement pour objectif de transmettre des idées mais plutôt de faire vendre des produits. Elle a donc plutôt pour fondement la liberté d’entreprendre ou la liberté du commerce et de l’industrie, des libertés dont la portée est susceptible de limitations dans l’intérêt général.

D’une façon générale « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas autrui » est-il écrit à l’article 4 de la Déclaration de 1789, laquelle précise, dans son article 5, que la loi peut défendre les « actions nuisibles à la société ». Or, l’affichage publicitaire porte fréquemment atteinte à des droits fondamentaux et en premier lieu à la conception libérale de la liberté d’expression. La liberté d’expression apparaît, en effet, comme la liberté de celui qui s’exprime, qui parle, qui écrit… mais on ne saurait oublier qu’elle doit être totalement conciliée avec la liberté de celui qui est susceptible de recevoir le message. Nul ne peut être contraint, sauf abus, d’entendre, de lire, de voir un message contre son gré. Même si la Déclaration de 1789 mentionne explicitement la liberté de l’émetteur, elle ne néglige pas pour autant la liberté du receveur. C’est ainsi que l’a d’ailleurs lue le Conseil constitutionnel dans sa très célèbre décision des 10-11 octobre 1984 sur les entreprises de presse. Il estime que « l’objectif de la libre communication des pensées et des opinions est que les lecteurs soient à même d’exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions ni qu’on puisse en faire l’objet d’un marché  ». Le juge constitutionnel donne, en cas de conflit, la préférence à la liberté du receveur sur celle de l’émetteur.

Dès lors que l’affichage publicitaire extérieur s’impose aux passants, la liberté la plus élémentaire de ces derniers n’est plus respectée. On peut noter l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 26 octobre 1984 à propos d’une affiche de film : cette publicité est située « en des lieux d’important passage public forcé » et constitue un « acte d’intrusion agressive et gratuite dans les croyances » sur la « voie publique ». La liberté d’expression ne saurait en aucun cas se confondre avec une quelconque liberté d’agression. La liberté de recevoir ne peut qu’aller de pair avec une liberté de ne pas recevoir.

A cet égard, les demandes tendant à revendiquer une réduction de la dimension des panneaux publicitaires, de façon à ce qu’ils respectent la liberté des usagers de la voie publique, semblent en parfaite conformité avec les exigences du droit constitutionnel français. Dans ces conditions, est-il légitime de s’opposer aux affichages publicitaires qui enfreignent des principes constitutionnels essentiels ? Il paraît logique de répondre affirmativement. Il y a une sorte de légitime défense face à une agression, un « droit de réponse » face à un message imposé (surtout lorsque les actions sont non-violentes). Les actions antipub des déboulonneurs semblent donc justifiées. http://www.deboulonneurs.org/

NB : ce texte s’appuie sur la réflexion de Jean Morange (17 avril 2007)

http://www.deboulonneurs.org/article146.html