Le monsieur qui offre un cadeau à sa femme après l’avoir trompée, c’est vieux comme l’adultère ! L’hypocrisie morale ou stratégie de la compensation se retrouve dans beaucoup de domaines, malheureusement aussi du côté de l’écologie. Ainsi cet article du MONDE* : « Nous sommes bombardés de messages nous encourageant à adopter des comportements plus vertueux : recycler nos déchets, utiliser plus les transports en commun ou le vélo… Des chercheurs ont trouvé que certains consommateurs, du fait de leurs achats verts, s’octroient une sorte de « crédit moral » qui les rend par la suite plus enclins à des comportements peu vertueux … Une voiture hybride pourrait nous décomplexer de parcourir de nombreux kilomètres… Des consommateurs ayant diminué leur consommation d’eau grâce à une campagne pro-environnementale ont vu en parallèle leur consommation d’énergie augmenter significativement… Cet effet de compensation morale par lequel une « bonne action » permet de se sentir autorisé à en faire une « mauvaise » n’est pas forcément conscient… »
Cet « effet de compensation morale » est déjà connu sous l’expression « effet rebond » : le rebond de l’efficacité technique concerne par exemple une voiture plus efficace énergétiquement, mais qui voyage sur une plus longue distance. Le rebond lié à la frugalité : un billet d’action pour Dakar sera acheté avec les économies sur les frais de chauffage réalisés en réduisant la température d’une maison l’hiver. Chaque fois que nous économisons de l’énergie à un endroit, nous ne manquons pas d’en consommer un peu plus ailleurs. Contre l’effet rebond, ils nous reste à pratiquer l’effet débond. Il s’agit par exemple d’allouer plus de temps à la rencontre humaine, à la relation avec la nature, plutôt qu’à produire et consommer. La seule manière politique de conjuguer effet rebond et effet débond est de faire croître le prix de l’énergie plus vite que le pouvoir d’achat.
La compensation morale peut aussi découler du fait d’avoir commis un acte répréhensible et se traduire par le désir de se rattraper dans un autre domaine. Cela permet de jouir plus longtemps de ce qui est contestable. Au niveau écologique, l’expression la plus employée est celle de « compensation carbone ». Mais contrebalancer ses propres émissions de gaz à effet de serre par le financement de projets destinés à en réduire d’autres est-il cohérent ? Prenons l’exemple d’une personne en partance pour un long voyage, en plein dilemme, seule face à sa conscience d’écocitoyen. Cet individu doit partir en Amérique Latine : prend-t-il ou ne prend-t-il pas l’avion ? Mais oui, bien sûr, il suffit de s’acheter une indulgence : compenser son émission excessive de gaz à effet de serre en payant quelques arbres, en contribuant à la reforestation de pays dévastés. Ce genre de « compensation carbone » est un luxe que seuls les très riches peuvent se permettre. Il est donc logique d’en conclure qu’éviter l’hypocrisie de la compensation morale passe par l’appauvrissement drastique des riches. « Plus riche » est relatif. Même le smicard français doit subir une diminution de son pouvoir d’achat, il est bien plus consommateur de ressources fossiles que la plupart des habitants de cette planète…
* LE MONDE du 4 novembre 2013, L’hypocrisie morale, face cachée de la consommation durable