« sortir de la pauvreté protège la nature », idée fausse

Quand on est profondément écolo, il faut avoir le cerveau bien accroché et ne pas se faire d’illusion sur notre avenir commun. Un des pays le plus en pointe sur les déclarations d’intention en matière environnementaliste, l’Equateur, sombre dans le reniement. Tout un chapitre de la Constitution Équatorienne de 2008 est dédié aux droits de la Nature ; son article 71 dispose que la « Nature ou Pacha Mama, où se reproduit et réalise la vie, a le droit à ce que soient intégralement respectés son existence, le maintien et la régénération de ses cycles vitaux, sa structure, ses  fonctions et ses processus évolutifs.  » Or le président de l’Equateur, Rafael Correa, avait demandé au Congrès le jeudi 15 août 2013 l’autorisation d’exploiter le pétrole dans une importante réserve écologique du Parc Yasuni.

Dans un amphithéâtre de la Sorbonne, Rafael Correa confirme ses illusions.  Pour lui, « l’opulence détruit le plus la planète (…). Mais, la pauvreté aussi porte atteinte à l’environnement. Le principal danger pour la forêt amazonienne, ce n’est pas le pétrole, c’est l’extension des terres agricoles et de l’élevage. Les paysans colonisent la forêt, il faut des hectares pour nourrir de petits troupeaux. Sortir de la pauvreté, c’est ce qui la protège véritablement la nature ». Il ne perçoit pas la contradiction entre lutte contre la pauvreté avec du pétrole et protection de l’environnement : la santé de l’économie équatorienne fluctue au gré des cours du pétrole, principale source de revenus du pays (environ 30 % des revenus de l’Etat et 60% des exportations). Ce sont les ressources pétrolières qui ont permis de développer les programmes sociaux et de réduire les inégalités. Pire, il envisage de suivre le même modèle de développement que les pays riches. Correa mise sur l’économie de la connaissance pour « changer la matrice productive équatorienne » et accompagner la mutation du pays vers une société de services. Société de services, la pire organisation sociale qui soit en matière d’environnement.

Le confrère de Correa, le président de la Bolivie Evo Moralès, milite aussi pour la reconnaissance de Pacha mama, nom de la Terre mère dans les cultures indigènes. Mais il accuse clairement la source de tous nos maux : « Pour guérir Mère Terre, continue Moralès, il est nécessaire de comprendre que sa maladie a un nom : le système capitaliste mondialisé. Il n’est pas suffisant de dire que le changement climatique est le résultat de l’activité humaine. Il est nécessaire de dire que c’est un système, une façon de penser et de sentir, une façon de produire la richesse et la pauvreté, un mode de « développement » qui nous conduisent au bord de l’abîme. Afin de préserver la planète, la vie, et l’espèce humaine, nous devons en finir avec le capitalisme. »

Ce qui veut dire aussi, mais Moralès en a-t-il conscience, qu’il faut revoir à la baisse le standard de vie de la population humaine et qu’il est par exemple nécessaire d’arrêter le plus rapidement possible l’extraction du pétrole (et du charbon, sans oublier le gaz). L’usage d’une voiture individuelle est une atteinte directe à Pacha Mama.

* LE MONDE du 17-18 novembre 2013, Equateur : pour Rafael Correa, « sortir de la pauvreté protège la nature »

4 réflexions sur “« sortir de la pauvreté protège la nature », idée fausse”

  1. Bonjour biosphère,
    peux-tu développer « Société de services, la pire organisation sociale qui soit en matière d’environnement » ?
    merci d’avance

  2. Bonjour biosphère,
    peux-tu développer « Société de services, la pire organisation sociale qui soit en matière d’environnement » ?
    merci d’avance

    1. Julien,
      La division entre secteurs primaire, secondaire et tertiaire (les services), suit une évolution historique qu’on croit normale. C’est un surplus dans l’agriculture qui permet de développer une activité industrielle. La richesse ainsi créée entraîne une profusion monétaire qui facilite la création des métiers de service rendus par des spécialistes qui éliminent les services de proximité rendus par les familles (ou les communautés vernaculaires) en matière d’éducation, de soins aux mourants, etc. Nous quittons une société conviviale pour entrer dans une société d’anonymes ; le tissu social devient flou, l’exercice de la solidarité s’émiette. Là n’est pas le plus grave.
      Le passage au tertiaire s’est complètement éloigné des réalités physiques comme les ressources alimentaires ou la disponibilité en énergie concentrée. Il s’agit donc d’une société trop complexe qui échapper à ses contradictions par plus de complexité encore (multiplication des services), ce qui la rend d’autant plus fragile. Qu’un blocage financier arrive, et c’est la crise généralisée (2008) dont on n’est sorti que par la planche à billet, ce qui veut dire que l’effondrement n’est que retardé. S’il y a choc pétrolier (augmentation brutale du baril), ce qui est inévitable, tout l’empilement des métiers du tertiaire s’effondrera comme un château de carte. Mais entre-temps la nature aura été saccagée, vidée de toutes ses ressources sur terre et sous terre pour faire vivre le plus longtemps possible les activités tertiaires, caractéristique des pays riches et des pays corrompus.
      En résumé, plus on s’éloigne des réalités physiques de proximité, plus on court à sa perte. En d’autres termes, mieux vaudra bientôt savoir cultiver son lopin de terre que sortir de l’ENA.

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