L’or noir issu des champs pétrolifères de la mer du Nord, dénommé brent, est la principale composante d’un indice du même nom qui détermine le prix d’une bonne moitié de la production planétaire de pétrole. Or la compagnie Total dénonce « des prix inexacts » du brent physique « qui ne reflètent en rien notre propre expérience quotidienne ». Le cours du brent publié quotidiennement est fondé sur les déclarations volontaires des traders d’hydrocarbures*. En clair, le cours du brent a de fortes chances d’être manipulé. Pourtant cet indice pétrolier façonne le panier de la ménagère et le moral des entreprises. Pourtant tout cela n’est que du spéculatif et du court terme. Mieux vaut s’interroger sur un avenir sans doute assez proche, la fin du pétrole.
Le pic du pétrole conventionnel (le maximum de baril facile à extraire) est déjà derrière nous, Le coût pour l’extraction, donc pour les ménages, va forcément s’en ressentir. Cela annonce forcément un choc pétrolier (une augmentation brutale du prix du baril). Un expert du FMI donne sa version de l’évolution du cours du pétrole : « Avec un déclin de 2 % par an des extractions, le prix du brut grimperait de presque 800 % au bout de 20 ans ! L’économie mondiale serait incapable de faire face à quelque chose comme ça. L’effet des prix du pétrole sur le PIB a de fortes chances d’être non-linéaire. Cela signifie qu’au-delà de, mettons, 200 dollars le baril, beaucoup de secteurs pourraient être incapables de faire face. On peut penser aux transports : le fret routier, les compagnies aériennes et toute l’industrie automobile souffriraient très gravement d’un prix aussi élevé. Et puis il y aurait un effet domino sur d’autres secteurs de l’économie. Avec un prix du baril supérieur à 200 dollars, on entre dans un monde inconnu. »
Donnons maintenant la parole à un des rares sages du monde d’aujourd’hui. Ramus Hansson est le premier et le seul élu des Verts au parlement norvégien. Pour lui, il ne fait pas de doute que le pétrole norvégien doit rester là où il est : « Il est évident que les nouveaux gisements en mer de Barents ne doivent pas être exploités. Le pétrole est une ressource fabuleuse qui peut être utilisée pour beaucoup de choses, comme la pétrochimie. Il serait donc primitif de simplement le brûler. » Ramus Hansson s’appuie aussi sur l’argument climatique : « Si nous voulons rester sous la barre des deux degrés en termes de réchauffement climatique, nous devons laisser les deux tiers des réserves de pétrole et de gaz connues dans le sol. Dans le cas norvégien, si tout ce qui est déjà trouvé est consommé, nous exploserons nos objectifs. La conclusion est que nous devons arrêter maintenant. » Plus nous préparerons la civilisation de l’après-pétrole à l’avance, mieux nous pourrions amortir les dégâts. Pourtant la Norvège a réaffirmé sa volonté d’être un producteur d’hydrocarbures aussi longtemps que possible et le Parlement a voté en faveur de nouvelles activités pétrolières et gazières. Pourtant toutes nos élites et les automobilistes rêvent de croissance économique et de réserves inépuisables d’hydrocarbures. Mais le dieu pétrole fera comme les autres dieux, il n’entendra pas nos plaintes… « du brent, du brent ».
* LE MONDE du 12 mars 2014, Le brent est « détraqué »