Un exposé ancien de Pierre Radanne* que nous avons exhumé de nos archives et qui garde un sens bien actuel :
– Alors que l’homme mettait l’économie au centre tout au cours du XIXe siècle, le XXe siècle a considéré plus particulièrement le social. Aujourd’hui, nous sommes en face d’une crise environnementale, c’est donc l’environnement qui doit être le principal pilier de nos préoccupations. Cela met en cause notre relation de prédation vis-à-vis de la nature. La constitution de réserves naturelles sans circulation des espèces ne résout pas fondamentalement le problème.
– Il y a des crises locales auxquelles on peut répondre par la recherche-développement, les subventions, la réglementation et les sanctions. Il y a des risques technologiques qui sont plus difficiles à résoudre : trop de molécules chimiques, des polluants persistants, l’amiante, le risque nucléaire. Il nous faut anticiper les effets de chaque innovation. Les pollutions globales remettent en cause beaucoup plus profondément nos choix technologiques : destruction de la couche d’ozone, changement climatique. Dans le cadre de l’ONU, le rapport Brundtland de 1987 a fait un effet « panique à bord ». On s’aperçoit dorénavant que l’économie et l’écologie parlent de la même chose, sauf que l’économie se cantonne au court terme alors que l’écologie envisage le long terme. Si on condamne l’environnement, on condamne les possibilités de développement.
– Il nous faut aider les gens à s’inscrire dans leur époque, à aimer leur siècle. Le développement durable est source de cohésion sociale, il permet aux différents acteurs, y compris les salariés, de s’inscrire dans une vision élargie de l’intérêt général, dans un prolongement des droits de l’homme. Le réchauffement climatique par exemple est la première cause planétaire obligatoire, elle engage tous les pays et chaque individu. C’est comme si à Bali nous avions voté sur l’évolution du climat terrestre. On estime qu’un réchauffement de plus de 2°C entraînerait une catastrophe agricole et des famines. Venir en voiture à ces Assises contribue au CO2 pour 120 ans ; en effet cette molécule a une durée de vie dans l’atmosphère de 120 ans. Globalement la vie privée entraîne déjà la moitié des émissions de gaz à effet de serre. Mais notre changement de comportement nécessite notre adhésion. Tout va se jouer dans la vie des gosses d’aujourd’hui. Il s’agit d’un changement de civilisation, mais ce n’est sans doute pas dans le sens que lui donne Nicolas Sarkozy. Nous devrons sortir de l’ère des combustibles fossiles. Nous allons vivre autant de bouleversements qu’un homme né en 1760, qui a connu la machine à vapeur, le papier-monnaie, la république. Nous sommes à une pliure de l’histoire humaine, le climat est dorénavant en cogestion entre la nature et l’humanité. Le développement durable n’est qu’un doudou, un objet transitionnel vers un autre projet de civilisation.
– La dérégulation libérale est terminée, nous allons vers un rationnement, ce qui est difficile à mettre en œuvre. Après s’être affranchis de la rareté à partir du XIXe siècle, nous sommes confrontés depuis décembre 1997 (protocole de Kyoto) à des limites : la capacité d’absorption de nos polluants par la planète. Nous franchissons le pic pétrolier, il ne reste plus que la moitié des réserves de pétrole. De plus ce qui reste est très difficile à extraire. Voici venu le temps du rapport à la catastrophe, vécue non comme une fatalité naturelle, mais comme une responsabilité humaine. Le catastrophisme ne résout rien, il ne fait qu’accroître notre angoisse. Si on ne voit pas de sortie de crise, il y aura déni comme celui d’Allègre ou repli sur soi : ne nous privons pas, achetons un 4×4. La déprime peut aussi entraîner la violence. Il nous faut donc changer de perspective par étapes.
– Il est d’abord nécessaire de constater une prise en charge sérieuse du problème par les différents acteurs. Or notre société envoie encore des messages contradictoires, : on voit des tempêtes, mais on fait de la pub pour les voitures. Alors pourquoi agir personnellement ! Il faudrait aussi bénéficier d’un réel effort d’explication alors qu’il y a un désinvestissement des jeunes vis-à-vis de la culture scientifique. Nous devrions être par exemple capables de mesurer nos propres émissions de CO2 dans notre vie quotidienne. Il s’agit de définir un nouvel équilibre entre notre recherche personnelle du plaisir et les condition de stabilisation du climat. Notre vie nomade va se ralentir, nos maisons progresseront vers l’énergie positive. Il y aura innovation politique, production d’utopies nouvelles, nécessité de refonder l’idéal démocratique. La promesse d’avenir doit nourrir notre imagination, les élèves devront raisonner à long terme. Nous ne pouvons pas en rester sur cette clôture d’avenir qui entraîne la souffrance des jeunes : « Je vais payer vos retraites, je vais avoir des problèmes d’emploi, y’aura plus de pétrole, le climat sera désastreux ». Non, ce n’est pas foutu, il nous faut s’engager dans une société relationnelle, donner le goût des autres. L’ouverture aux autres ouvre sur l’infini mieux que l’utilisation du portable. Il nous faut aussi arrêter le gaspillage, réduire notre consommation de ressources. Avec un budget carbone pour chaque ménage, il y aura conscience des limites, mais usage de sa liberté à l’intérieur de ces limites. Au lieu de donner notre argent à l’extérieur en important du pétrole, on va créer des emplois pour l’isolation des bâtiments
En définitive, je vais faire parce que tu fais, parce que nous faisons tous ainsi.
* Exposé de Pierre Radanne, Assises académiques de l’éducation au développement durable (Poitou-Charentes -17 janvier 2008)
NB : Pierre Radanne a été président de l’ADEME, l’agence de la maîtrise de l’énergie, jusqu’en 2002. Il devient par la suite consultant indépendant, expert auprès des institutions et conférencier dans de nombreuses réunions publiques.
@JCC
C’est Schopenhauer qui a le mieux résumé notre condition : « l’homme peut certes faire ce qu’il veut, mais il ne peut pas vouloir ce qu’il veut ».
Encore une bonne vision de gauchiste. Il se passe la même chose pour l »écologie que ce qui est arrivé à la justice sociale au 19ème et 20ème siècle. On ne ne peut être que d’accord avec ce monsieur lorsqu’on a saisi l’enjeu et qu’on a une vision superficielle des choses. Mais hélas, la réalité est là. La majorité des humains ne sont que des bœufs ou des moutons. En conséquence, rapidement, une seule alternative se présentera aux « écolos »: soit ils se résignent à accepter l’inéluctable destruction de la planète, soit ils décident de créer un homme nouveau, temporairement, en zigouillant tous les connards. Puis, après un certain temps, spontanément, le nombre de connards sera revenu à son niveau d’avant révolution. La supervision qu’ a permis de procurer à quelques uns le saut technologique qu’a engendré la découverte des énergies fossiles n’est que temporaire. Les lois biologiques mais surtout physiques sont indépassables et déterminantes. Alors! C’est vrai. On peut accommoder sa vie en imaginant qu’il est possible de changer les choses puisque le tunnel de probabilité laisse imaginer que l’on peut en infléchir le cours mais finalement l’espèce humaine se comportera comme une colonie de bactéries dans une boite de Pétri, jusqu’à son extinction.