Parler d’urgence démographique, une vérité qui dérange

 Rencontre de Causes toujours (19 septembre 2014) avec Michel Sourrouille*

Julie van der Kar : Selon la plupart des experts (écologistes, agronomes, démographes), la population ne pose pas un problème en soi. Les pressions exercées sur les ressources naturelles et l’environnement ne proviennent pas du nombre d’habitants mais de leurs habitudes de consommation. La planète pourrait accueillir 10 milliards d’individus, voire plus, ce n’est qu’une question de mode de vie et de partage. Qui plus est, l’Europe est globalement en voie de dénatalité et non d’accroissement démographique. Pourtant vous nous alertez sur les dangers d’une évolution démographique incontrôlée. Vous affirmez que « le dépassement des capacités de charge de la planète exige une réduction volontaire de la population humaine » et que « l’expansion illimitée d’une espèce dans un milieu limité aboutit à sa réduction inéluctable. Les humains ne peuvent pas faire exception à cette règle ». Sommes-nous vraiment trop nombreux sur terre ?

Michel Sourrouille : Il y a beaucoup de choses avant d’en arriver à la question proprement dite. Parlons d’abord des « experts ». La démographie ne pose aucun problème pour ceux qui, enfermés dans une discipline particulière, n’ont pas de vision globale des choses. Les démographes ne raisonnent qu’en termes de transition démographique, donc tout ira mieux demain puisque la fécondité va baisser comme par miracle. Les agronomes croient que des prouesses agricoles (incertaines) vont pouvoir nourrir la population demain, même à plus de 10 milliards de personnes. Les « écologistes » institutionnels, je pense à ceux qui courent après les places grâce à un parti, ne veulent pas faire de vagues puisqu’ils désirent être élus. Ensuite réduire les pressions sur l’environnement par une réduction de la consommation est exact en soi, mais incomplet. C’est là le raisonnement partial de personnes comme le rédacteur en chef du mensuel français La décroissance : il y aurait trop d’automobiles, peu importe le nombre d’hommes. Mais le nombre d’automobiles dépend forcément du nombre d’automobilistes. Il s’agit de considérer la formule I = PAT. A technologie constante T, l’impact écologique dépend de la multiplication de la population P par le niveau A d’affluence (le pouvoir d’achat mis en acte). Un expert ou un objecteur de croissance qui n’envisagerait qu’un seul terme de cette équation ne peut pas analyser la réalité telle qu’elle est. Si on applique ce raisonnement à l’Europe, peu importe qu’il y ait baisse de fécondité si le nombre de couches utilisées par un bébé (j’utilise là une image symbolique) est une source de pollution non négligeable.

Tout considéré, et pour en arriver à votre question, je peux affirmer qu’il y a en effet dépassement de la capacité de charge de la planète. Ce n’est pas moi qui le dit, cela résulte des calculs faits pour mesurer l’empreinte écologique de l’activité humaine. Le jour du dépassement (de la capacité de charge) a lieu pendant nos grandes vacances ; à partir de cette date on vit à crédit, ou plutôt on épuise le capital naturel de la planète. Encore faut-il remarquer que l’empreinte écologique ne calcule que l’impact de la sphère humaine sans tenir compte des besoins de toutes les autres espèces ! Nous sommes donc vraiment trop nombreux, que ce soit au niveau mondial ou au niveau européen. Une pratique malthusienne de maîtrise de notre fécondité est absolument nécessaire.

Notre humanisme serait anthropocentriste ?

Michel Sourrouille : Notre humanisme est en effet vécu comme un anthropocentrisme, « l’Homme avant tout », a abouti à l’impasse actuelle, aux crises financières, socio-économiques et écologiques que nous connaissons. Une surpopulation nous entraîne dans des situations qui peuvent même devenir inhumaines.

Je me positionne en faveur d’un humanisme élargi qui prend aussi en considération les générations futures et les non-humains. Toute personne engagée dans une délibération démocratique devrait aussi se faire le porte-parole des acteurs absents, tous ceux qui ne pouvaient participer directement à cette délibération mais qui sont concernés par leurs conséquences. Par exemple une décision qui ne respecte pas la biodiversité et/ou l’avenir de notre société ne peut pas être une bonne décision.

Notre surpopulation est-elle la vraie vérité qui dérange ? Pourquoi cet ostracisme généralisé envers la question démographique d’après vous ?
Michel Sourrouille :
L’ostracisme est particulièrement prononcé en France pour des raisons historiques. Tout au cours du XIXe siècle, il y a eu une volonté de suprématie géopolitique par le nombre pour essayer de transcender nos différentes défaites militaires. N’oublions pas que la loi répressive de 1920 interdisant la contraception et l’avortement a été votée toutes étiquettes confondues, de la gauche à la droite. Comme la pensée politique est une pensée qui en reste souvent à la ligne Maginot, le terme même de malthusien est devenu une insulte.

Que répondez-vous alors aux critiques voire aux insultes ? Il semblerait qu’il soit difficile impossible de discuter sereinement du sujet sans soulever des protestations et des amalgames.

Michel Sourrouille : Je suis assez souvent traité d’ayatollah de l’écologie ou d’écofasciste en herbe. Je ne prends pas cela pour une insulte mais comme une invitation au débat. Il y a trop souvent des controverses inutiles qui reposent le plus souvent sur des approximations à propos des termes utilisés. Ainsi le mot néo-malthusien est-il actuellement utilisé dans un sens de « restrictions économiques ». Ce n’est pas ma définition. Les néo-malthusiens comme Paul Robin ont oeuvré à la fin du XIXe siècle pour la libération de la femme et l’accès aux moyens de contraception. Ces ancêtres du planning familial se sont vus interdits de parole après la loi de 1920 dont nous avons parlé précédemment. Ceux qui à l’heure actuelle militent pour le respect de la vie (interdiction du préservatif, mouvement anti-avortement, etc.) relèvent de l’intégrisme et pas du libre débat. Ils sont cependant les bienvenus quand je participe à une conférence…

Êtes-vous parfois invité dans les médias ? Ressentez-vous un parti pris ou un discrédit de leur part ? Quelle est la « force de frappe » de votre militance sur Internet ?

Michel Sourrouille : Les malthusiens, dont je ne suis pas l’unique représentant, ne sont pas assez invités dans les médias. Mais l’association « Démographie responsable » commence à être audible. J’ai personnellement participé à une émission de RFI pendant une heure et je suis invité un peu partout en France, Paris, Lyon, Bordeaux… Je n’ai pas ressenti de discrédit, seulement une méfiance extrême des journalistes et producteurs d’émissions envers cette thématique malthusienne. On estime à ce niveau qu’il est dangereux de se lancer sur un terrain glissant. Comme pour toute idée d’avant-garde, il faut savoir affronter l’ignorance, puis le déni, auquel succède le rejet avant de commencer à faire sujet de société. Quant à l’audience précise du site que je gère, www.biosphere.ouvaton.org, je n’y accorde pas beaucoup d’importance. Il s’agit d’un réseau de documentation des écologistes, et c’est là l’essentiel : permettre à chacun de progresser dans sa réflexion personnelle. Pour ma part, j’aurai fait ce que j’estimais devoir faire… en sortant de la rubrique « faits divers » dans laquelle se complaisent la quasi-totalité des médias.

Vous avez coordonné l’ouvrage collectif Moins nombreux, plus heureux. L’urgence écologique de repenser la démographie (Ed. Sang de la Terre) avec les contributions d’Annaba, Didier Barthès, Yves Cochet, Théophile de Giraud, Alain Gras, Alain Hervé, Corinne Maier, Jacques Maret, Jean-Claude Noyé, Pablo Servigne, Michel Tarrier et Jean-christophe Vignal. Quel accueil les médias lui ont-ils réservé ?

Michel Sourrouille : Percer la barrière invisible que présente l’univers médiatique à tout ce qui n’est pas déjà connu est un exercice extrêmement difficile. Comme la décroissance démographique n’est pas dans l’agenda politique, comme il ne s’agit pas de sensationnalisme ou de court-termisme croustillant, cela n’intéresse pas. Si j’ai eu une recension dans le journal Libération, c’est uniquement parce que je connaissais personnellement la journaliste qui a fait l’article. Malgré mes contacts au journal Le Monde, j’attends toujours, même une simple phrase ! Il n’y a plus actuellement de grands médias de référence, juste des médiateurs de la société de consommation et du spectacle. Nous savons tous que la société croissanciste va dans le mur de plus en plus vite, mais nous préférons nos œillères.

* Michel Sourrouille est membre de l’association des journalistes-écrivains pour la nature et l’écologie (JNE) et gestionnaire d’un réseau de documentation des écologistes activistes (biosphere.ouvaton.org). Il a également coordonné l’ouvrage collectif Moins nombreux, plus heureux