« Le doute scientifique a jusqu’à présent plus bénéficié à la prospérité industrielle qu’aux enfants à naître, et il n’y a pas beaucoup de raisons à cela. » Ce n’est pas un politique qui dit cela, ni un syndicaliste, ni un scientifique. L’article du journaliste Stéphane Foucart sur les méfaits du bisphénol n’a d’ailleurs attiré que 9 commentaire seulement sur lemonde.fr* : ce qui nous empoisonne n’intéresse pas les gens. Voici un résumé d’une controverse faussement scientifique à une époque où la plus grande partie des experts dépendent peu ou prou de l’industrie.
– l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) : « aux niveaux actuels d’exposition », cette molécule « ne présente pas de risque pour la santé des consommateurs de tous les groupes d’âge ». Pour calculer la dose journalière tolérable (DJT) de BPA, les experts de l’EFSA utilisent les résultats d’une unique étude menée sur des souris, financée par l’industrie chimique et publiée en 2008. Non seulement elle est entachée de conflit d’intérêts, mais elle a subi une réfutation publiée sabre au clair par près d’une quarantaine de spécialistes dans l’édition de mars 2009 de la revue Environmental Health Perspectives. De cela, nulle mention dans le rapport de l’EFSA.
– l’Agence de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) estime pour sa part que le BPA n’est pas anodin et que les enfants exposés in utero ont notamment un risque accru de développer un cancer du sein plus tard dans leur vie. Plusieurs centaines d’études, en particulier sur des animaux de laboratoire, suggèrent que l’exposition à des faibles doses de BPA peut conduire à des effets indésirables sur le développement de la glande mammaire, du cerveau, de la prostate et du testicule, sur le métabolisme des graisses, sur la reproduction, sur l’immunité, etc. Les effets les plus notables surviennent plus tard dans la vie, lorsque l’exposition s’est produite dans les périodes-clés du développement (période fœtale, petite enfance).
Pourquoi cette fatale contradiction ? Une seule réponse : de quel coté se trouve l’argent ? Du coté des grands groupes industriels bien sûr, face à des associations sans grands moyens ou des journalistes qui crient dans le désert. Le schéma est le même que celui de l’amiante, des dizaines de milliards venant des industriels contre des bénévoles qui n’ont pas eu la faveur des médias pendant trop longtemps. Pour en savoir plus, lisez notre article précédent, « La fabrique du mensonge (comment les industriels manipulent la science et nous mettent en danger) » et le livre « Marchands de doute » de Noami Oreskes et Erik Conway.
* LE MONDE du 3 février 2015, Bisphénol, à qui profite le doute ?