En janvier 1972 le manifeste* « un programme de survie » fut le premier écrit médiatique valorisant l’idée de « communauté protégée ». Les gouvernements doivent faire cesser la croissance démographique ; cet engagement devrait inclure un arrêt de l’immigration. Dans son article de 1974, « Lifeboat Ethics : The Case against Helping the Poor », Garrett Hardin comparait les Etats-Unis à un canot de sauvetage où l’espace vient à manquer : « Une immigration sans restriction revient à faire venir les populations là où est la nourriture, cela accélérant la destruction de l’environnement des pays riches. » Paul et Anne Ehrlich publièrent en 1979 un ouvrage sur la question frontalière américano-mexicaine, The Golden Door : « Le nombre accru d’Américains résultant de l’immigration accroîtra l’impact total des Etats-Unis sur les ressources du globe et sur l’environnement, tout comme un accroissement naturel le ferait. » Ils reprenaient l’argument en 1990 dans The Population Explosion : « Dans la mesure où la migration sert de soupape pour empêcher les pays pauvres de faire face à leurs propres problèmes démographiques, tout en gonflant le nombre de consommateurs à revenu élevé, elle grève nos chances d’instaurer la durabilité mondiale. »
Le livre** qui reprend ces textes historiques en tire la conclusion que c’est une « écologisation de la haine », rejetant la responsabilité de la dégradation environnementale sur le dos des populations démunies et de couleur. L’argument anti-immigration se fonde selon Ian Angus et Simon Butler sur l’idée que la transformation des modes de vie du Nord est un objectif moins facile à atteindre que d’empêcher les autres d’adopter ces mêmes modes de vie. Les programmes anti-immigration mineraient les efforts visant à ériger des mouvements démocratiques de masse pour affronter et neutraliser les véritables causes de la destruction environnementale.
Cette argumentation des écosocialistes est simplificatrice à l’extrême. Il faut nettement distinguer le racisme qui rejette la différence avec une maîtrise des flux migratoires pour raison écologique : un territoire ne peut raisonnablement dépasser sa capacité de charge. L’impact écologique d’une population résulte à la fois du nombre de consommateurs et du niveau de consommation : il faut agir sur les deux causes à la fois sans vouloir protéger le niveau de vie des riches. Notons d’ailleurs qu’il est aussi difficile d’agir sur la démographie que d’agir sur le consumérisme. De toute façon ce n’est pas parce qu’on agit dans un domaine que cela empêche le volontarisme dans d’autres domaines. Il est enfin illusoire de compter sur « des mouvements démocratiques de masse » pour faire la révolution ; cela ressemble fort à l’idéologie du Grand Soir prôné par les mouvements marxistes. Nous savons historiquement que les pseudo mouvements de masse débouchent quasi-inéluctablement sur une dictature « socialiste » allergique à l’urgence écologique.
* A blueprint for Survival », manifeste inséré dans The Ecologist de janvier 1972
** Une planète trop peuplée ? (le mythe populationniste, l’immigration et la crise écologique) de Ian Angus et Simon Butler