Certains frémiront peut-être à l’idée que le portable comble les interstices de la vie sur un mode obsessionnel. Exit les ultimes espaces de solitude d’où peuvent émerger une rencontre avec soi-même, la construction d’une réflexion ou simplement d’une attente (cf. chronique du 14-15 décembre sur le portable). Mais ce n’est pas « peut-être », c’est certain ! Il faut frémir de la généralisation mondiale du portable. En France, 79 % des personnes de plus de 12 ans sont déjà équipés, la quasi-totalité des jeunes générations. Dans les transports collectifs, on subit les conversations lointaines au plus près de nos oreilles. Il n’y a pas une réunion qui ne soit interrompue par la sonnerie stridente d’un portable. Même les randonneurs ne peuvent plus se passer du coup de fil qui n’a aucune importance. Et quand un élève dans une classe a les mains sous la table, ce n’est pas pour se tripoter, c’est pour jouer électroniquement avec lui-même ou passer un sms. Obsession rime avec addiction, un jeune sans portable se trouve démuni à ne plus savoir quoi faire de ses dix doigts ; il faut d’ailleurs remarquer que l’usage du portable est un bon entraînement pour le pouce qui relègue tout le reste du corps à un simple poids mort.
Abandonnons le portable et lisons de toute urgence le livre que tout le monde attendait, L’effondrement du système technologique de Theodore Kaczynski, alias Unabomber : « Je m’étais fixé comme objectif de parvenir à une autonomie complète (…) En vivant au contact de la nature, on découvre que le bonheur ne consiste pas à chercher toujours plus de plaisir. Il réside dans le calme. Une fois que vous avez apprécié le calme suffisamment longtemps, vous développez vraiment à la seule évocation de plaisirs excessifs un sentiment de rejet (…) L’ennui est quasiment inexistant dès lors que vous êtes adaptés à la vie dans les bois. Vous pouvez parfois rester assis pendant des heures à ne rien faire, à écouter les oiseaux, le vent ou le silence, à observer les ombres qui se déplacent avec la course du soleil. Et vous ne connaissez pas l’ennui. Vous êtes seulement en paix (…) Je reste debout pendant quelques minutes à admirer la neige d’une blancheur immaculée et les rayons de soleil filtrant au travers des pins. Je laisse entrer en moi le silence et la solitude (…) Mes plus beaux souvenirs ? Les ragoûts d’automne faits de viande de cerf avec des pommes de terre et des légumes de mon jardin. Ces moments où je restais assis ou allongé à ne rien faire, sans même réfléchir, baignant seulement dans la sérénité (…) La chose la plus pénible de ma vie ? La pire chose que j’ai connue au cours de ma vie dans les bois fut l’envahissement progressif de la nature par la civilisation moderne ».
NB : les droits d’auteur de ce livre seront offerts à la Croix-rouge, l’auteur est le prisonnier le plus célèbre des Etats-Unis.