Cette revue est dans la continuité du livre « Nos limites (pour une écologie intégrale) » de Gaultier Bès, Marianne Durano et Axel Norgaard Rokvam*. Que de jeunes intellectuels plutôt cathos montrent la nécessité de la sobriété dans un monde fini, parfait. Mais ce livre avait nié tout limite démographique : « Il faut non pas, comme le prétendent certains malthusiens anthropophobes, diminuer drastiquement la population (en commençant par les plus pauvres, toujours suspects d’être irresponsables), mais bien plutôt diminuer drastiquement notre production et notre consommation. » Le trimestriel confirme ce parti pris, ressassé dans le dossier « Produire moins pour se reproduire plus ».
Gaultier Bès : « Castrer chimiquement les pauvres pour qu’ils s’arrêtent de pulluler ? Ou bien attendre qu’une bonne vieille pandémie réguler tout ça ? Et si une bonne part de la solution était là, sous nos yeux ? Décroître, réduire notre consommation plutôt que notre fécondité, le nombre de bagnoles plutôt que le nombre de gosses ».
Comme si les gosses ne voulaient pas conduire plus tard une automobile, une Tata Nano de préférence quand ils ne sont pas bien riches ! Comme si population, consommation et techniques utilisées étaient séparables ! Une voiture ne peut se concevoir sans un automobiliste au volant… même si certains voudraient tout automatiser pour rendre les gens encore plus dépendants.
Richard de Seze : « La perspective malthusienne révèle son fondement injustifiable : il ne s’agit pas tant d’améliorer le sort de l’espèce humaine en restreignant les naissances que de garantir un niveau de vie acceptable à la classe dominante, avec des standards de vie consumériste toujours en hausse. »
Mahaut Herrmann : « Le malthusianisme n’est pas la décroissance. C’est l’égoïsme se donnant bonne conscience pour continuer à se goinfrer de gâteau en espérant que les convives seront moins nombreux… Loin de l’individu unidimensionnel du modèle croissanciste, la décroissance permet à l’espèce humaine de se perpétuer sans craindre la surpopulation. »
Le procès d’intention est flagrant. Comme si les néomalhusiens ne savaient pas qu’il faut à la fois décroître les consommations ET la population quand le gâteau commence à se réduire au rythme de l’épuisement des ressources naturelles. Les auteurs de cette revue devraient lire le rapport de 1972 au club de Rome sur les limites de la croissance : quand il y a évolution exponentielle, on ne peut séparer l’action sur l’industrialisation, la population, l’alimentation, les ressources naturelles non renouvelables et la pollution. Mais les auteurs de cette revue préfèrent la phrase choc au raisonnement complexe.
Marianne Durano : « ça te fait quoi, petite jouisseuse des temps modernes, d’être obligée de bouffer docilement ton médoc tous les matins pour pouvoir baiser tranquille le soir ? De laisser ton ventre aux mains des spécialistes, pour qu’ils y enracinent des bouts de ferraille ? … Le malthusien préfère ligaturer les trompes de sa femme plutôt que se serrer la ceinture … Je préfère dépenser en soupes pour bébés bios ce que vous gaspillez en condoms irresponsables. » Je laisse à Marianne la responsabilité de ses propos !
Par contre on ne récuse pas complètement dans cette revue la maîtrise de la fécondité, sauf qu’il faut user de méthodes « naturelles »
Magali Girard : « L’enfant est signe de bénédiction pour ses parents. Mais on n’est pas plus béni parce qu’on a plus d’enfants ! Une régulation naturelle des naissances est possible. Une femme est fertile certains jours dans le mois et en permettant la transmission de cette connaissance, on permet que les femmes adaptent le nombre de leur grossesses à leurs capacité et leur désir. » Magali devrait faire connaissance avec ma mère qui avait une périodicité des règles très variables dans le temps et qui a usé de trois avortements.
En fait ces chrétiens ont une vision idyllique de l’existence qui transparaît dans leur critique du livre « No Kid. 40 raisons de ne pas avoir d’enfants »** de Corinne Maier : « Aux Childfree, il faut répondre que la liberté authentique ne jaillit pas du confort mais de l’amour. C’est ainsi que de consommateurs, nous deviendrons procréateurs, fidèles à l’inépuisable fécondité divine. » Quand ils deviennent un peu plus politique, ils s’appuient sur le livre anti-malthusien de Ian Angus et Simon Butler, « Une planète trop peuplée ? »***. Ce livre révélait le point de vue écosocialiste. Il s’agissait de répondre à la nouvelle vague de malthusianisme vert tel qu’il s’exprime notamment dans les pays anglo-saxons. Pour que survive la civilisation humaine, il faudrait remplacer ce capitalisme antiécologique par un système proécologique qui défende un développement humain et durable. Selon eux les arguments malthusiens entravent cette cause. Gaultier Bès reprend leur leitmotiv : « Limiter les naissances des gueux signifie préserver les privilèges des riches. » Et il en rajoute : « Elitiste, raciste, eugéniste, sexiste. Le contrôle des naissances, c’est vraiment bonne ambiance… Le « cancer », ce n’est pas la croissance démographique, mais la croissance illimitée du capital. »
Le seul moment réfléchi sur la question démographique résulte d’un entretien avec Olivier Rey, l’auteur d’un livre incontournable, « Une question de taille »**** : « Ce n’est pas le nombre d’humains à lui seul qui change la situation planétaire. C’est le nombre combiné à la multiplication et à l’accélération des déplacements et à la diffusion de certains modèles de vie et de consommation… Encore une fois, ce ne sont pas les sept milliards d’humains sur la terre qui sont la source de nos difficultés actuelles, mais le couplage de ce nombre avec des modes d’organisation sociale et de consommation destructeurs. Un signe parmi d’autres de ce caractère destructif est que la multiplication des êtres, loin de promouvoir la diversité humaine, entraîne d’innombrables génocides culturels et uniformise… Je ne crois pas que les hommes doivent s’efforcer d’être le plus nombreux possible. Dans la Genèse, Dieu invite Adam et Eve à croître et multiplier. Mais à ce moment, l’humanité se résume à deux personnes. Dieu leur demande d’emplir la terre, non de la submerger et de la ravager… Quoi qu’il en soit, la terre étant de dimension finie, il est clair que le nombre des hommes ne saurait croître sans mesure sans entraîner de graves difficultés. »
* éditions le centurion 2014, 114 pages, 3,95 euros)
** éditions Machalon 2007
** éditions Ecosociété 2014, 304 pages, 20 euros
Première édition 2011, Two Many People ? Population, Immigration and the Environmental Crisis
*** éditions Stock 2014, 280 pages, 20 euros
Ce qui est extraordinaire chez les anti-malthusiens c’est leur incapacité à adapter leur discours au changement des réalités matérielles. Ils disent la même chose qu’en 1970, quand il y avait sur la Terre deux fois moins d’hommes qu’aujourd’hui, mais encore deux plus fois d’animaux.
Que diront-ils en 2100 quand nous serons 11 milliards ? La surface disponible par être humain ne cesse de baisser mais c’est une donnée qui ne leur inspire aucune réflexion, peut-être aiment ils être serrés, peut-être n’ont-ils aucune commisération pour le reste du monde vivant.
Gardez-moi de mes amis…