Trois morceaux choisis sur la décroissance (3/4)

Voici trois textes significatifs à connaître de toute urgence. Pour recevoir gratuitement notre bimensuel BIOSPHERE-INFO sur la décroissance, envoyez un mail à biosphere@ouvaton.org

– Herman E.Daly : Lorsque l’économie croît, elle devient plus grande. Et donc, cher économiste, à quel point ce quelque chose pourrait-il être grand à l’avenir ? Cette question n’est pas du tout posée. Le mérite de Prospérité sans croissance est de contribuer à combler cette lacune. Car qu’est-ce qui grandit exactement. Il y a certes le flux de biens et de services (le PIB), mais il y a également le flux métabolique des matières et d’énergie qui part de sources environnementales, traverse le sous-système économique de la production et de la consommation et qui revient dans l’environnement sous forme de déchets. Les économistes se sont focalisés sur le PIB, ils ont négligé ce « throughput ». Le sous-système économique a donc acquis une taille réellement grande quand on le réfère à l’écosystème sur lequel il s’appuie.                Si nous étions de vrais économistes, nous mettrions un terme à la croissance du « throughput » avant que les coûts sociaux et environnementaux qu’elle provoque ne dépasse les bénéfices qu’elle génère. Il y a fort à parier que certains pays sont désormais entrés dans une ère de croissance non économique qui accumule plus rapidement ses impacts négatifs qu’elle n’accumule de la richesse. C’est la raison pour laquelle on ne peut faire appel à la croissance pour combattre la pauvreté. Bien au contraire, elle rend plus difficile la lutte contre la pauvreté !

(Préface du livre 2010 de Tim Jackson, Prospérité sans croissance (la transition vers une économie durable))

Stefano Bartolini : Le nœud du problème est relationnel. Dans les sociétés occidentales, la tendance longue est celle d’une dégradation des relations entre les individus. L’explication principale du paradoxe du bonheur est que les effets positifs sur le bien-être, fruits de l’amélioration des conditions économiques, ont été annulés par les effets négatifs d’une dégradation des relations humaines. Il y a des biens libres ou gratuits que l’on en peut acheter mais qui sont indispensables au bien-être ; or l’économie marchande possède une grande capacité à fournir des substituts coûteux aux biens libres ; la croissance économique réduit en conséquence la disponibilité des biens libres. Ce sont les hypothèses sur lesquelles repose la modèle de croissance endogène négative NEG (Negative Endegeneous Growth). Personne ne nous vend l’amitié, l’air qu’on respire et une ville sans criminalité. Mais la piscine remplace la rivière polluée, le téléviseur et Internet nous protègent d’une ville trop dangereuse, la baby-sitter nous remplace auprès des enfants. La croissance économique favorise la dégradation des conditions environnementales et relationnelles. Pour financer des dépenses défensives, nous devons travailler plus. En d’autres termes, les efforts que nous déployons pour nous défendre contre la dégradation des biens libres contribuent à l’augmentation du PIB. Par conséquent, la dégradation favorise la croissance, qui favorise la dégradation. La croissance économique fonctionne comme un processus de substitution sans fin. La croissance est alimentée par son propre pouvoir de destruction. Les biens gratuits pour une génération deviennent des biens rares et coûteux pour la génération suivante, puis des biens de luxe pour celle d’après : le silence, l’air pur, l’eau non polluée, des quartiers sans criminalité…

(Manifeste pour le bonheur (1ère édition 2010, publication en français aux Liens qui libèrent en 2013))

– Philippe Gruca : contrairement à ce qui est prétendu tacitement dans le discours développementiste, ce n’est pas à leurs propres efforts que les habitants des pays prospères doivent leur prospérité mais à l’organisation, à ce jour globale, qui repose sur l’acheminement permanent de ressources vers les « intérieurs » de ces territoires. Nous croyons pouvoir continuer à vivre comme nous vivons, perpétuer une existence distendue car dépendante de millions d’autres personnes. C’est pourquoi il est absolument erroné de prétendre que le développement est généralisable. Et c’est bien parce que dans les bulles des empires tout s’améliore que dans leur « en dehors », tout empire… C’est pourquoi je rejoins résolument Kirkpatrick Sale dans son intention d’aller dans la voie de l’humilité et non celle de l’hubris. Entre le projet d’une unification des macrosociétés du monde et celui de leur fractionnement en une myriade de sociétés, j’opte sans hésiter pour la seconde. Ce n’est pas l’homme qui doit « s’augmenter » (ndlr, transhumanisme) jusqu’à atteindre la mesure d’une macrosociété générale mais bien les sociétés humaines qui doivent décroître jusqu’à rejoindre la mesure de l’homme.

(Entropia n° 8, printemps 2010 : Territoires de la décroissance, le principe immanence)