Le terme « décroissance » avait été utilisé en 1994 par Jacques Grinevald pour intituler en français un recueil d’essais de Nicholas Georgescu-Roegen sur l’entropie, l’écologie et l’économie. Cette idée de décroissance a été reprise comme un slogan provocateur en 2001-2002 pour dénoncer l’imposture du « développement durable », cet oxymore qui fait croire à la poursuite indéfinie de la croissance économique. Cependant les idées véhiculées par le mouvement des objecteurs de croissance possèdent une histoire et des racines culturelles plus anciennes. Il y a donc des « précurseurs de la décroissance »*. Voici quelques éléments de réflexion sur l’apport de Simone Weil :
– Il semble que l’homme ne puisse parvenir à alléger le joug des nécessités naturelles sans alourdir d’autant celui de l’oppression sociale, comme par le jeu d’un mystérieux équilibre ;
– C’est uniquement l’ivresse produite par la rapidité du progrès technique qui a fait naître la folle idée que le travail pourrait un jour devenir superflu ;
– Si l’on devait entendre par liberté la simple absence de toute nécessité, ce mot serait vide de toute signification concrète ;
– La complète subordination de l’ouvrier à l’entreprise et à ceux qui la dirigent repose sur la structure de l’usine et non sur le régime de propriété ;
– L’essor de la grande industrie a fait des forces productives la divinité d’une sorte de religion dont Karl Marx a subi malgré lui l’influence en élaborant sa conception de l’histoire (le matérialisme dialectique) ;
– Quoi qu’il en soit, dès qu’on jette un regard sur le régime actuel de la production, il semble assez clair non seulement que ces forces d’économie (la productivité) comportent une limite au-delà de laquelle ils deviennent facteurs de dépense (contre-productivité), mais encore que cette limite est atteinte et dépassée.
Selon Simone Weil, pour s’opposer à la division du travail et à la subordination de l’ouvrier, il faut un enracinement qui repose sur l’organisation de communautés autonomes, de petites unités de production reliées entre elles. Cela suppose une éducation qui, dès le plus jeune âge, habitue les enfants à mépriser le rapport de forces, jusque dans les cours de récréation. Ce sont les affects qu’il faut toucher car la force a sa racine dans la fascination qu’elle exerce, comme le montre l’engouement des masses pour Hitler. Simone Weil refuse cependant les formes conservatrices de l’enracinement ; elle remplace la Terre par le champ, le Peuple par l’amitié, la Patrie par la culture. Il s’agit d’une relocalisation des solidarités. L’enracinement suppose des devoirs permettant de développer une spiritualité capable d’apercevoir que le moi fait obstacle à l’amour du monde.
* Les précurseurs de la décroissance, une anthologie (Éditions le passager clandestin 2016, 272 pages pour 15 euros)
Bonne année à tous
Oh que oui ! toutes les réflexions fondamentales ont été faites depuis longtemps, et bien avant Simone Weil. La sagesse a en effet une longue histoire, et il semble bien que nous ayons un sacré problème avec ça.
Admettant que l’Homme en soit capable… puisse cette année être celle de l’acceptation de la réalité et d’un véritable élan vers la joie de vivre dans la simplicité volontaire.
Comme en beaucoup d’autres domaines ils semblent que toutes les réflexions fondamentales aient été faites depuis longtemps, Simone Weil en est une preuve de plus.