Le gouvernement avait annoncé en juin 2016 sa volonté d’alléger le programme de SES (sciences économiques et sociales) en classe de seconde : exit le marché. La question « Comment se forment les prix sur un marché ? » devenait facultative. Le 30 juin, le Medef publiait un communiqué : « Halte à la braderie ! » L’organisation patronale dénonce une « erreur dramatique », un « contresens total ». Dans les journaux, des grands patrons du CAC 40 mettent les SES au pilori : enseignement « biaisé », « marxiste », « déconnecté de la réalité économique »… L’Académie des sciences morales et politiques – dont la section économie est principalement composée de dirigeants d’entreprise – adopte une motion demandant au ministère de revenir sur une décision qui lui semble « inconcevable »*. Le 30 janvier un colloque de l’Académie des sciences morales et politiques sera consacré à « l’enseignement de l’économie dans les lycées ». Michel Pébereau, ancien dirigeant de BNP Paribas et actuel président de l’Académie, avait été l’un des commanditaires d’un rapport cinglant en 2008 sur l’enseignement des SES**.
Le communiqué de presse de l’APSES (Association des professeurs) à l’époque était clair : « Qui sont les idéologues ? Notre enseignement est notamment accusé de démoraliser les jeunes français. Faire porter ce genre de responsabilités à l’enseignement de SES paraît pour le moins grotesque. Faut-il rappeler que l’intérêt des SES consiste à permettre aux élèves de se saisir des questions contemporaines auxquelles ils sont confrontés pour sortir du registre des idées reçues ou des opinions en s’appuyant sur des raisonnements économiques et sociologiques et en les confrontant à des données empiriques ? Elle est décidément curieuse cette association qui condamne sans nuance des programmes scolaires élaborés par d’autres experts (eux aussi universitaires de renom) ! En revanche, elle est parfaitement claire la volonté d’écarter de l’enseignement au lycée toute question économique ou sociale un tant soit peu controversée. Il y a de quoi s’inquiéter bien au-delà de l’avenir des seules SES au lycée. » La discipline avait vocation dès son origine (1966) à donner aux jeunes des clés pour comprendre les enjeux économiques, sociaux, politiques de leur monde, dans le but de former des citoyens éclairés et critiques. Ses concepteurs avaient fait le choix d’en faire une discipline extra-ordinaire, transversale, mêlant économie, sociologie, histoire et science politique. Mais les partisans d’un enseignement de la « science économique » à l’état brut, faite d’abstractions et fortement formalisée, avaient gagné une manche, le programme avait été dénaturé par la réforme de 2010.
Les critiques des chefs d’entreprise et des « experts » à leur service reposent sur un postulat : l’enseignement devrait avoir les mêmes finalités et utiliser les mêmes moyens au lycée et dans le supérieur. La sociologie serait une approche pseudo scientifique ; la science économique serait à même d’apporter des réponses indiscutables aux enjeux qui traversent nos sociétés !!! C’est complètement idiot, il n’y a qu’à voir le résultat concret du marché, une planète livrée au pillage et des relations sociales détériorée dans des proportions immondes. Ce n’est pas le marché qu’on devrait glorifier en seconde, ce sont tous les rapports officiels sur les limites de la croissance qui devraient être étudiés par nos lycéens… même si cela les démoralise… pour mieux les mobiliser.
* LE MONDE 28 janvier 2017, Sciences économiques et sociales : l’allégement des programmes en seconde a ravivé la discorde
** LE MONDE 28 janvier 2017, Sciences éco et patrons : la guerre est (re)déclarée
@ Michel C
Pas sûr qu’un doctorat ait suffi à Mme Merkel pour appréhender ces notions.
Que mettre dans les programmes de lycée ? D’une manière plus générale, que devrait-on enseigner à nos jeunes , et ce depuis le plus jeune âge ?
Déjà, je pense à l’esprit critique, à savoir faire la différence entre vraies sciences et sciences humaines, pseudo-sciences. Et puisque l’écologie est au centre de nos préoccupations (du moins, devrait-elle l’être) leur enseigner ce qu’est l’énergie, l’entropie, les limites. Les limites aussi bien en terme de ressources disponibles, renouvelables, recyclables… qu’en terme de lois physiques.
Déjà, nous ne pouvons que regretter que la philosophie soit aussi peu considérée. Cette discipline qui apprend à réfléchir, qui permet d’analyser les idées, de les classer dans différentes cases (théories ou vérités scientifiques, croyances, idéologies, dogmatismes, etc).
Il est littéralement désespérant d’observer qu’une grande majorité de gens, qu’ils soient dirigeants d’états ou d’entreprises, simples citoyens, puissent encore croire qu’une croissance infinie (noire, verte, brune peu importe) soit possible dans un monde fini.
« Le manque de pluralisme dans les universités en France est un phénomène global. On constate un décalage une déconnexion avec le monde réel, et surtout un manque de recul contrairement au contenu des cours de sciences économiques et sociales (SES)… Les plus grands économistes du monde se livrent à des débats contradictoires montrant des désaccords tant sur le fond que sur les préconisations de politiques économiques, et pourtant les manuels d’économie du niveau licence ont tendance à vouloir nous présenter des théories comme des vérités indiscutables ! » (Maria Roubtsova dans LE MONDE du 28 janvier 2017).
La crise économique est aussi une crise de l’enseignement de l’économie.
commentaire perspicace sur lemonde.fr de M.P. :
La réforme Châtel a fait passer le volume horaire en seconde de SES de 3h à 1,5h, n’est-ce pas plutôt là le problème ?
commentaire perspicace sur lemonde.fr de « Peut-on parler d’enseignement sans avoir vu un élève ? » :
Il s’agit du programme de 2nde. Le marché est de toute façon étudié en 1ère. Ce qui est reproché à ce chapitre, c’est que les universitaires qui ont fait ce programme ont justement pensé comme vous: c’est important, donc il faut le faire. Mais force est de constater à l’usage, qu’à part pour les meilleurs, il est trop tôt en seconde, surtout que ce n’est qu’un « enseignement d’exploration »
commentaire perspicace sur lemonde.fr de Nicolas Portebois sur lemonde.fr :
Le thème du marché, en secondes, était sommaire, assez théorique, et surtout orienté, puisque par simplification il fallait se contenter de présenter les cas où « tout va bien », où l’on arrive à l’équilibre pour le bonheur de tous. Il n’était pas prévu de présenter les imperfections de marché, ou les stratégies de concentration par exemple, dont ces chefs d’entreprise sont pourtant habitués.
commentaire perspicace sur lemonde.fr de Nicolas Portebois sur lemonde.fr :
Le thème du marché, en secondes, était sommaire, assez théorique, et surtout orienté, puisque par simplification il fallait se contenter de présenter les cas où « tout va bien », où l’on arrive à l’équilibre pour le bonheur de tous. Il n’était pas prévu de présenter les imperfections de marché, ou les stratégies de concentration par exemple, dont ces chefs d’entreprise sont pourtant habitués.