A destination de Rennes ou Bordeaux, voici un événement que l’on n’est pas près de revoir de sitôt en France : la mise en service simultanée de deux grandes lignes ferroviaires à grande vitesse (LGV). Cette double inauguration est un chant du cygne. Il n’est pas certain que la France ait encore les moyens d’un tel investissement (plus de 12 milliards d’euros). Construire une voie de communication pour 24 millions d’euros du kilomètre ne semble à la portée ni d’un pays épinglé par la Cour des comptes pour dérapage des finances publiques, ni d’une entreprise – la SNCF – dont la dette globale court allègrement vers les 55 milliards d’euros cette année.*
Le président de la République Emmanuel Macron veut à juste titre donner la priorité aux « transports du quotidien ». Cela change des projets pharaoniques de ses prédécesseurs à l’Elysée. Lors de l’inauguration de la nouvelle ligne Paris-Rennes le samedi 1er juillet 2017 il précisait qu’il n’entendait pas « relancer de grands projets nouveaux mais s’engager à financer le renouvellement des infrastructures essentielles à notre attractivité qui sont insuffisamment entretenues» (…) Je suis en train de vous dire : le rêve des cinq prochaines années ne doit pas être un nouveau grand projet comme celui-là ». Rappelons que les trains du quotidien transportent huit passagers sur dix en France. Cela tranche avec le point de vue de son homme au perchoir, François de Rugy : « Mon goût pour le TGV, tout à la fois mode de transport écologique, de masse, confortable, n’a jamais été altéré par ses défauts. Or certains écologistes dénoncent les TGV et se lancent dans un éloge de la lenteur. On se dit que soit des rendez-vous ne les attendent pas, soit ils ne prennent jamais le train. » Encore un vaste débat qu’EELV avait occulté. Faut-il des trains à grande vitesse dont l’effet tunnel est reconnu depuis longtemps (désertification des villes intermédiaires), ou un réseau dense de voies ferrées comme ce qui existait au début du XXe siècle ? De Rugy critique l’éloge de la lenteur alors qu’un autre député écolo, Yves Cochet, disait que notre slogan devrait être : « Moins vite, moins loin, moins souvent. » Pour un écologiste, il faut inverser la courbe d’artificialisation des sols : limiter le droit à construire aux seules zones déjà artificialisées et l’interdire pour les terres agricoles et forêts, préserver les réserves ferroviaires et leurs infrastructures existantes, arrêter toute construction ou extension de LGV… La France, très touchée par l’artificialisation, fait face à la perte de capacité agricole et à la perte de biodiversité. Les grands projets inutiles et imposés, c’est fini.
Mais que ce soit les LGV (Lignes à grande vitesse) ou les EPR (Evolutionary Power Reactor), ce n’est pas le débat idéologique sur les vertus et limites du progrès technique qui va l’emporter, mais le strict décompte financier. Partons pour Bordeaux. Alors que le temps de trajet se réduit de 30 à 35 % entre Paris et l’Aquitaine, le prix des billets augmente de 15 %. Pourtant on anticipe déjà une perte d’exploitation de 90 millions d’euros pour la LGV Tours-Bordeaux au second semestre. L’investissement est démesuré : 7,8 milliards d’euros, six ans de travaux et 340 kilomètres pour la LGV Sud-Europe Atlantique, sans compter les aménagements complémentaires (gare, aiguillages…). En moyenne, un TGV roule à 281 km/h vers Bordeaux. Encore faut-il pouvoir aller sans délai à la gare de départ et partir sans détour pour son lieu de destination finale. Les distances entre lieu de domicile et lieu de travail s’accroissent, ce qui est gagné d’un côté est perdu de l’autre. « Plus on veut aller vite, plus on va lentement » s’exclamait Ivan Illich dans les années 1970.
* LE MONDE du 2 juillet 2017, Derrière les performances du TGV, un modèle à bout de souffle
** A quoi peut bien servir un député écolo ? de François de Rugy (éditeur LesPetitsmatins, 2012)