Blade Runner, l’indifférenciation homme/machine

« Blade Runner 2049 est un film cauchemardesque, immersion toxique dans un univers qui distille les résultats cataclysmiques des choix malheureux de l’humanité. La frontière entre l’humain et l’inhumain s’est faite poreuse ; nous surveillons nos téléphones avec inquiétude, at­tendant le moment qui le verra prendre définitivement le contrôle de nos vies. Ce film est empreint d’une tristesse fataliste. Les désastres écologiques et militaires ont plongé la Californie dans un crépuscule automnal permanent. Pour un Terrien de la fin du XXe siècle, cette planète-là serait inhabitable, et pourtant l’espèce se maintient : si les enfants sont au travail, l’Etat ne ­garantit plus la paix qu’à une ­minorité. Ces quelques privilégiés utilisent la souffrance des autres pour mieux asseoir leur position. Les îlots de population, généralement misérables, sont entourés de déserts jonchés de ruines, qui s’étendent vers l’est jusqu’à Las ­Vegas, figuration de l’enfer sur Terre. Cette nouvelle mouture de Blade Runner est comme un requiem pour une humanité aveuglée par son orgueil. »

C’est le point de vue du MONDE*, un futur qui nous paraît réaliste, sauf que la thématique du film, la différenciation entre androïdes et humains commence déjà à s’effacer aujourd’hui.

Dans un autre article du MONDE** le même jour, on fait l’éloge sur une page entière de la robotisation de l’homme : « Son billet de chemin de fer se trouve dans une puce électronique implantée sous la peau, entre le pouce et l’index… Les puces électroniques sous-cutanées, utilisées dans le monde entier pour le bétail et les animaux domestiques, commencent à se répandre chez les humains. En Suède, elles se sont diffusées au-delà du milieu pionnier des adeptes du piercing… Ida Thermaenius s’est fait implanter une puce par « discipline », parce que c’était la nouvelle politique de l’entreprise… Pour Clara Grelsson, il s’agit d’un choix stratégique, nous devons être à l’avant-garde de ces technologies qui facilitent la vie des employés et accroissent leur productivité. Elle se dit persuadée que les puces vont bientôt séduire l’ensemble de la population… On invite les clients à Stockholm pour une « implant party »… Des infirmières vont se procurer un certificat de pierceur professionnel afin de proposer cette prestation à leurs patients… »

La puce, c‘est vachement pratique, quand vous vous présenterez à l’abattoir, vous n’aurez même pas besoin de présenter votre convocation ! On peut déconnecter son ordinateur, payer en liquide et rouler sans GPS. Bref, on peut encore se fondre dans la foule anonyme et circuler sans être tracé si on le souhaite. Avec une puce dans le corps, ça deviendra très compliqué. La laisse devient biologique, endogène, là est la rupture. Quant à se dépuceler, cela signifierait une mort sociale ! Mais jamais l’article du MONDE ne prendra ses distances envers ce phénomène de puçage encore très marginal. L’innovation fait vendre, même celle qui nous transforme en machine.

La généralisation du va-et-vient entre homme et machine est le rêve des transhumanistes dont LE MONDE fait souvent la publicité ; on rêve de l’homme « augmenté » par la symbiose entre l’objet humain, les biotechnologies et l’informatisation. Un livre récent nous avertit : « Le Meilleur des mondes, c’est la Silicon Valley, c’est notre futur présent. Les sauvages sont les Chimpanzés du futur, les descendants de ceux qui n’ont pas pu, ou pas voulu, s’augmenter. On les a laisse vivre, allez savoir pourquoi, préservation d’un stock génétique à toues fins utiles ? Ces Chimpanzés du futur qui continent de naître et non pas d’être produits, végètent dans des réserves ceintes de clôtures haute tension… Les touristes augmentés des métropoles y viennent parfois en safari pour voir ces déchets humains dans leur habitat naturel… »***

Blade Runner, c’est de la science fiction douce, qui veut encore croire à la distinction entre l’homme et la machine. Mais sur ce blog, nous ne faisons pas trop d’illusion sur le futur prévisible. Quand l’énergie deviendra très chère, trop chère, on oubliera le rêve robotique et on se contentera des humains transformera en esclaves de chair et de sang pour quelques maîtres toujours aussi omnipotents.

* LE MONDE du 4 octobre 2017, « Blade Runner 2049 » : requiem hypnotique pour humains et robots

** LE MONDE du 4 octobre 2017, En Suède, des puces électroniques dans la peau

*** Manifeste des Chimpanzés du futur (contre le transhumanisme) par Pièces et main d’œuvre (éditions service compris)