Mourir de faim à la campagne et dans les grandes villes

Un postulat fréquent parmi ceux qui anticipent l’effondrement est qu’il vaudra mieux être dans les campagnes que dans les villes, de la « solution survivaliste » clef en main aux communautés solidaire permacoles. Je ne discute pas de l’insoutenabilité des grandes métropoles. Je veux montrer que dans certaines situations de crise, famines ou d’effondrement, les villes peuvent présenter des avantages. En France, lors des grandes famines de 1693-1694, la situation des riches régions céréalières du Bassin parisien est dramatique : les réserves et jusqu’aux semences sont saisies dans les campagnes pour assurer l’approvisionnement de Paris, « mégapole » de 500 000 habitant, par un pouvoir dont la première préoccupation et d’éviter les « émotions populaires » d’une ville dont la révolte déstabiliserait la monarchie. Dans l’ensemble, « l’on meurt de faim plus sûrement encore dans les campagnes que dans les villes ». À l’inverse, une considération importante pour la sécurité alimentaire des villes est que celle-ci dépend fortement des réseaux de transport disponibles et de l’existence de bassins d’approvisionnement disposant d’un surplus agricole exportable. Les hydrocarbures nous permettent jusqu’à présent de nous affranchir de ces contraintes (fertilisants de synthèse et transports à bas coût). Toutefois dans un monde de déclin pétrolier, de telles questions peuvent redevenir cruciales.

Dans le monde ancien et médiéval, les rares villes atteignant le million d’habitants, comme la Rome impériale ou la Bagdad abbasside dépendaient du drainage des productions agricoles de vastes ères géographiques. En dehors de ces cas exceptionnel, la taille des villes était étroitement limitée : dans l’Europe médiévale seuls Paris et quelques villes italiennes approchaient les 100 000 habitants. Sans pétrole, une ville de plusieurs dizaines de million d’habitant est donc difficile à envisager. Les approvisionnements sont fragiles : lors des famines de 1693, les péniches porteuses de céréales envoyées vers Orléans par la Loire sont ainsi arrêtées de force par les habitants de Blois qui refusent de voir partir ces approvisionnements. Ainsi, on peut supposer en cas d’effondrement une mosaïque de régions juxtaposant des villes qui continuent à centraliser une entité de complexité restreinte, et d’autres où les formes urbaines, incapable de maintenir la complexité nécessaire à leur existence, disparaîtraient. Les premières se maintiendraient en pressurant toujours d’avantage les ressources et les campagnes. Une répression sera d’autant plus violente qu’une population réduite facilite les massacres par soldats et mercenaires en rupture de solde, mieux armées et aguerris que les paysans. Les villes apportent au contraire une relative sécurité du fait de l’organisation de milices défensives urbaines ou de forces armées. En résumé, les villes sont les lieux où ils est le plus facile de conserver ou de reconstituer sécurité, pouvoir et concentration de ressources ; dans le même temps elles sont dangereuses car les phénomènes d’effondrement y sont exacerbés et car leur stabilité dépend d’un pouvoir qui maintienne la sécurité.

La violence est omniprésente et ambivalente dans les discours sur l’effondrement. D’un côté, on redoute une guerre de tous contre tous, de l’autre, certains espèrent des révoltes et des révolutions plutôt qu’un scénario d’appauvrissement général accompagné d’un durcissement de la domination des élites. Dans l’ensemble, plusieurs millions de personnes meurent de faim sans protester pendant les famines de 1693 et 1706. De même, les terribles famines irlandaises du XIXème siècle, malgré la disparition de près de la moitié de la population, ne suffisent pas à faire rejeter la domination anglaise. Il faut se garder de toute lecture mécaniste qui lierait nécessairement le passage sous un seuil de subsistance et l’émergence de révoltes. On peut d’ailleurs supposer que plus que les conditions objectives, c’est leur dégradation qui produit une conscience de la misère, et donc de possibles révoltes par comparaison. Ces révoltes populaires sont hélas souvent récupérées par des démagogues qui manipulent les pauvres ou par des prédicateurs. En effet les révoltes produisent souvent un déchaînement des eschatologies religieuses. Autant dire que le retour à l’intransigeance religieuse n’est pas une spécificité liée à une quelconque essence de « l’Islam » mais un phénomène qu’on peut s’attendre à retrouver.

Jean Autard, texte de septembre 2017 pour l’institut Momentum

5 réflexions sur “Mourir de faim à la campagne et dans les grandes villes”

  1. Difficile de dire si on s’en tirerait mieux à la ville qu’à la campagne. Tout dépend déjà de la forme de l’effondrement. Si nous avions demain une panne généralisée des réseaux (électriques, Internet) ce serait la paralysie immédiate. Les magasins ne seraient plus approvisionnés et en quelques jours ils seraient vides. Les distributeurs de monnaie ne marcheraient plus, l’argent aurait vite fait de perdre de sa valeur, les pompes à carburant, à sec …
    Ceux qui vivent à la campagne pourraient toujours se nourrir des fruits et légumes, et autres veaux, vaches, cochons. Les pommes ne pourriraient plus par terre comme aujourd’hui, les châtaignes non plus. Mais alors, les ruraux devront probablement défendre férocement tout ça… Quant à survivre dans un blockhaus, je laisse ça aux autres.
    Bref, quel que soit le scénario qu’on puisse imaginer, ce sera la grosse merde.

  2. « Autant dire que le retour à l’intransigeance religieuse n’est pas une spécificité liée à une quelconque essence de « l’Islam » mais un phénomène qu’on peut s’attendre à retrouver. »
    Brrr, on tremble d’ effroi à la seule évocation des fanatiques chrétiens , denrée aussi rare que des cheveux sur la tête de Yul Brynner . L’ Islam est une religion expansionniste , violente , arrierée… L’ auteur serait -il un séide de la fameuse religion d’ amour , paix , tolérance (RATP) ?

  3. Didier Barthès

    Il est difficile de faire une comparaison avec les temps passés (même la seconde guerre mondiale) car les conditions sont vraiment différentes.
    – Les mégapoles sont beaucoup plus grandes et plus éloignées des centres de production agricole (Paris était encore largement entouré de maraichers il y a quelques dizaines d’années).
    – Ces mégapoles sont elles-mêmes fragilisées par leur dépendance aux réseaux notamment électriques. Il y a encore 120 ans les grandes villes vivaient sans électricité, aujourd’hui sans ce fluide magique, ce serait le chaos en quelques heures.
    – Les campagnes ne sont plus vivrières mais bien organisées pour faire une agriculture intensive et mécanisée qui résistera très mal à l’effondrement.
    – La population a presque perdu tout savoir faire en matière agricole sauf une toute petite minorité (et encore peut-être pas au type de savoir nécessaire en ces conditions).
    Enfin désaccord avec l’auteur sur le dernier point qui semble mettre toutes les religions dans le même panier.

  4. Didier Barthès

    Il est difficile de faire une comparaison avec les temps passés (même la seconde guerre mondiale) car les conditions sont vraiment différentes.
    – Les mégapoles sont beaucoup plus grandes et plus éloignées des centres de production agricole (Paris était encore largement entouré de maraichers il y a quelques dizaines d’années).
    – Ces mégapoles sont elles-mêmes fragilisées par leur dépendance aux réseaux notamment électriques. Il y a encore 120 ans les grandes villes vivaient sans électricité, aujourd’hui sans ce fluide magique, ce serait le chaos en quelques heures.
    – Les campagnes ne sont plus vivrières mais bien organisées pour faire une agriculture intensive et mécanisée qui résistera très mal à l’effondrement.
    – La population a presque perdu tout savoir faire en matière agricole sauf une toute petite minorité (et encore peut-être pas au type de savoir nécessaire en ces conditions).
    Enfin désaccord avec l’auteur sur le dernier point qui semble mettre toutes les religions dans le même panier.

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