« Qu’est-ce qu’un animal ? C’est une conversation ininterrompue avec la terre dont il provient. qu’est-ce qu’un humain ? C’est une conversation ininterrompue avec la terre dont il provient, mais plus guindée, plus bégayante que celle des animaux sauvages. J’ai beaucoup plus en commun avec un renard qu’avec un intégriste. Chaque être vivant crée à l’intérieur de son cerveau un monde bien à lui et vit dans ce monde-là. Nous sommes entourés de millions de mondes différents. Les explorer, c’est relever un défi neuroscientifique et littéraire palpitant. Ce livre* est une tentative de voir le monde à hauteur de renards, de blaireau, de loutres, de martinets et de cerfs. J’ai passé une bonne partie de ma vie à essayer de tuer des cerfs, j’avais ma rubrique mensuelle dans The Shooting Times. J’en ai tiré une insensibilité qui a mis longtemps à s’estomper. J’ai déposé mon fusil et me suis mis au tofu. Un des chapitres est une autre sorte de chasse : une tentative de s’immiscer dans la tête de l’animal plutôt que de lui loger une balle en plein cœur à deux cents mètres. Je veux savoir quel effet ça fait d’être un animal sauvage. Dans presque tous les livres consacrés à la perception animale, on trouve cette phrase du philosophe Thomas Nagel : « Quel effet cela fait-il d’être une chauve-souris ? » La citation est ironique, car Nagel entendait mettre en évidence les problèmes insurmontables que pose l’écriture d’un livre prétendument traiter de la conscience d’une créature non humaine. Ma méthode consiste à m’approcher de la frontière entre l’animal et moi aussi près que possible et à utiliser tout instrument à ma portée pour jeter un coup d’œil de l’autre côté.
L’observateur ordinaire ne s’intéresse pas à la question vertigineuse d’Anaximandre : « Que voit un faucon ? » Avec la cognition (pas seulement avec la puissance brute de traitement de l’information) vient la théorie de l’esprit, la faculté de se mettre à la place des autres. Il n’y a aucun raison de limiter la théorie de l’esprit à l’aptitude à se mettre à la place d’autrui ; cette capacité peut aussi bien concerner nos cousins à pattes, nageoires ou ailes. Ceux qui écrivent sur la nature commettent deux péchés : celui anthropocentrisme et celui anthropomorphisme. Je me suis efforcé d’éviter ces deux écueils et j’ai bien entendu échoué. J’avais espéré un livre dans lequel il n’y ait rien de moi ou presque. Espoir naïf. Mon livres s’est révélé parler à l’excès de mon propre ré-ensauvagement, de la reconnaissance de mon côté sauvage auparavant ignoré, et des pleurs versés sur sa perte. Mais si nous renonçons à comprendre ma nature, nous devenons de minables constructeurs de rocades, des tourmenteurs de blaireaux, ou des citadins renfermés sur eux-mêmes. »
En fait Charles Foster, l’auteur de ces phrases, a écrit un livre sur son impossibilité d’entrer dans la peau d’une bête ! Voici quelques-unes de ses conclusions : « Devenir un martinet ? Autant essayer de devenir Dieu… L’intimité avec des martinets à trois ou quatre kilomètres est plus grande que celle que je peux connaître avec des animaux de n’importe quelle espèce parce que je sais ne pas pouvoir me rapprocher d’eux par quelque moyen que ce soit… Je ne suis pas parvenu à me rapprocher des cerfs, ni dans l’Exmoor, ni en Écosse. J’aurais été plus proche d’eux en dormant entre deux cartons sous une porte cochère. » Dommage, nous avons montré sur ce blog la possibilité humaine de l’empathie qui permet de parler comme un lynx ou un requin !
* « Dans la peau d’une bête (Quand un homme tente extraordinaire expérience de la vie animale) » de Charles Foster