Le sexe ne rejette pas de carbone dans l’atmosphère

Pour changer les choses, il faut des mouvements sociaux. Pour qu’il y ait des mouvements sociaux, il faut des cibles physiques. Et pour qu’un récit d’opposition fonctionne, il faut déterminer un ennemi. J’ai passé une grande partie de ma vie dans le mouvement écologiste, menant des campagnes contre les gouvernements, les grosses entreprises et la finance internationale. C’était une lutte contre des intérêts privés, distincts et identifiables. Mais le réchauffement climatique, c’est différent. Nous tirons volontairement profit de ce que les multinationales proposent et des modes de vie incroyable que les combustibles fossiles permettent. La vérité est que, dans les sociétés gourmandes en énergie, tout le monde contribue aux émissions à l’origine du problème ; tout le monde a dont une bonne raison d’ignorer le problème ou de s’inventer un alibi. Mon ami Mayer Hillman, un écologiste convaincu, était à table avec d’autres gauchistes à la retraite. Les convives se remémoraient leurs dernières vacances… Mayer ne put s’empêcher de parler du réchauffement climatique et des incidences pour les générations à venir de tous ces trajets en avion. Le silence se fit d’un coup. Puis l’une des invités se décida à briser la glace : « Dites donc, cette tarte aux épinards est un délice. » Et tout le monde de renchérir avec empressement, ça oui, quel délice ! Ils passèrent les dix minutes suivants à parler de ladite tarte, des épinards frais et de la recette. Si la problématique actuelle a fait naître quelques récits où pointe la culpabilité, il n’en existe aucun pour nous inciter à accepter pleinement notre responsabilité individuelle. Un engagement devient problématique s’il ne rapporte que des pertes et pas de gains.

Pour mobiliser les gens, il faut que la question revête un aspect émotionnel. Elle doit être immédiate et faire le poids. Une menace distante, abstraite et contestée comme le réchauffement climatique n’a tout simplement pas les caractéristiques nécessaire pour mobiliser sérieusement l’opinion publique. Les psychologue qui travaillent sur la prise de décision qualifient souvent le réchauffement climatique de problème parfait, tellement parfait qu’on pourrait facilement en conclure qu’il ne nous laisse aucune chance. Il est parfaitement conçu pour mettre à l’épreuve les limites des capacités de réaction de n’importe quelle société. Des économistes comme Nicholas Stern le décrivent comme le « parfait échec du marché », tandis que pour le philosophe Stephen Gardiner, c’est « la tempête morale parfaite ». Pourtant ! Nous sommes parfaitement capables de nous rappeler à quoi correspondait le quotidien dans une société qui n’émettait pas autant de carbone et nous savons pertinemment que ce n’était pas si terrible. A certains égards, c’était même mieux. Tous les indices montrent que le bonheur, dans les pays développés, a atteint un pic au début des années 1970. Les choses les plus importantes, la famille, les amis, la joie, la beauté, l’esprit de communauté… ne pourraient qu’être accentuées dans une société peu gourmande en énergie. Et le sexe, lui, ne rejette pas de dioxyde de carbone dans l’atmosphère.

Je suis de plus en plus convaincu que la vraie bataille ne pourra pas être remportée à l’aide d’histoires de lutte et que nous devons au contraire trouver des récits fondés sur la coopération, sur nos intérêts mutuels et sur notre humanité commune. Si par contre nos récits s’appuient sur l’existence d’ennemis, il y a de fortes chances pour que, à mesure que les indices du dérèglement climatique s’aggravent, de nouveaux récits d’opposition bien plus vicieux surgissent, en se fondant sur des divisions religieuses, générationnelles, de nationalismes… L’histoire nous a par trop montré que les récits de batailles nous préparent à la violence, à la désignation de boucs émissaires ou aux génocides qui s’ensuivent.

Synthèse de différentes pages du livre de George Marshall, Le syndrome de l’autruche (Actes sud/colibris 2017), traduit de Don’t Even Think About It, 2014