Lu, dans le mensuel la Décroissance*, ces trois points de vue sur la sexualité. En résumé :
Nathalie Heinich : La différence n’est pas la discrimination. Vouloir traiter toute différence entre les sexes est l’équivalent de ne pas vouloir faire de différence entre des pommes de terre et des carottes au motif que reconnaître ces différences aboutirait à faire une hiérarchie entre elles. Cela fait partie d’une certaine dérive du féminisme. Dans cette volonté de vouloir modifier les réalités biologiques, par exemple les conditions physiologiques de la procréation, se niche une forme de volonté de toute-puissance. Les enfants-rois devenus des adultes réclament la même toute-puissance au niveau de la procréation que celle qu’ils ont pu obtenir dans leur enfance au niveau de la satisfaction de leurs plaisirs immédiats. Le problème est que l’État tend à leur donner satisfaction, et notamment de toute-puissance d’un parent unique sur un enfant potentiel. Si vous faites un enfant à deux, votre puissance sur l’enfant est nécessairement limitée par l’autre parent. Le fait que notre monde biologique, imaginaire et symbolique repose sur une catégorisation en deux sexes est constitutif de notre rapport au monde, et c’est aussi la garantie d’une certaine limitation du fantasme de toute-puissance. C’est pourquoi la différence des sexes est, à mes yeux, une valeur qu’il faut défendre, en tout cas en matière de filiation.
Jean-Pierre Winter : Ce qui est irréductible, c’est que l’homme c’est génétiquement XY, la femme XX, et que ça a des conséquences, c’est-à-dire qu’il y a un réel qu’on ne peut pas nier. Dans la différence des sexes est la loi réelle, c’est-à-dire biologique, mais aussi fantasmée. Le mouvement constant à nier les sexes aboutit aujourd’hui à ceci : tout se passe comme si l’inconscient passait dans la loi, comme si le fantasme faisait la loi. Nous sommes tous pris dans les fantasmes des personnes qui nous ont élevés, mais est-ce que le fantasme de l’autre doit s’instaurer comme loi au détriment de la réalité à la fois symbolique et biologique ?
Tülay Umay : Un sexe peut-il exister sans l’autre ? Les différentes réformes installant « le mariage pour tous », la légalisation de la PMA (procréation médicalement assistée) et, dans d’autres pays, celle de la GPA (gestation pour autrui), répondent par l’affirmative. Pour ces différentes législations, le Réel de la différence des sexes est dénié. La volonté individuelle suffit pour assurer la reproduction. Le désir laisse la place à une pure volonté qui se passe du corps. La procréation est séparée de la relation sexuelle. La femme, ainsi « libérée », s’aliène dans la machine médicale qui lui garantit son « autonomie », c’est-à-dire la négation de l’autre sexe. La place du désir, du manque de l’autre, est renversée par la volonté de jouissance. La conséquence en est l’impossibilité de construire un « nous ».
* La Décroissance n° 145, décembre 2017 – janvier 2018