Il convient d’insister particulièrement sur cette vérité, que ce n’est point pour l’homme un devoir de travailler à la propagation de l’espèce, mais bien de contribuer de tout son pouvoir à propager le bonheur et la vertu. Si l’on veut obtenir des classes inférieures le degré de prudence nécessaire pour contenir les mariages dans de justes bornes, il faut faire naître parmi elles les lumières et la prévoyance. Le meilleur moyen de parvenir à ce but serait d’établir un système d’éducation paroissiale semblable à celui qui a été proposé par Adam Smith. Outre les sujets ordinaires d’instruction, je voudrais qu’on exposât fréquemment, dans ces écoles, l’état des classes inférieures relativement au principe de population, et l’influence qu’elles ont à cet égard sur leur propre bonheur. On aurait soin de faire remarquer que le mariage est un état désirable, mais que pour y parvenir c’est une condition indispensablement requise d’être en état de pourvoir à l’entretien d’une famille. Si dans la suite on pouvait joindre dans ces écoles quelques-uns des principes les plus simples de l’économie politique, il en résulterait pour la société un avantage infini. Adam Smith propose d’enseigner les parties élémentaires de la géométrie de la mécanique. Je ne puis m’empêcher de croire que l’on pourrait également mettre à la portée du peuple les principes communs sur lesquels se règlent les prix d’achat et de vente. Ce sujet intéresse immédiatement la classe du peuple et ne pourrait manquer d’exciter son attention.
On a répandu en Angleterre des sommes immenses en assistance, et il y a lieu de croire qu’elles n’ont servi qu’à aggraver les maux de ceux qui les ont reçues. On a trop peu fait au contraire pour l’éducation du peuple ; on a négligé de l’instruire de quelques vérités politiques qui touchent de près à son bonheur, qui sont peut-être le seul moyen par lequel il pourrait améliorer son état. Il est peu honorable pour l’Angleterre que l’éducation des classes inférieures du peuple ne se fasse que par quelques écoles du dimanche, entretenues par des souscriptions particulières, et qui même n’ont été fondées que fort récemment.
Je pense entièrement comme Adam Smith ; je crois qu’un peuple instruit et bien élevé serait beaucoup moins susceptible qu’un autre d’être séduit par des écrits incendiaires, et saurait mieux discerner et apprécier à leur valeur les vaines déclamations de quelques démagogues qu’anime l’ambition et l’intérêt. Les écoles serviraient à instruire le peuple de sa vraie situation ; qu’une révolution, si elle avait lieu, ne ferait point changer en leur faveur le rapport de l’offre de travail à la demande, ou celui de la quantité de nourriture au nombre des consommateurs. Ce serait le vrai moyen de relever la partie inférieure du peuple, de la faire sortir de son état d’abaissement, de la rapprocher de la classe moyenne. Le bienfait d’une bonne éducation est du nombre de ceux dont tous peuvent jouir. Et comme il dépend du gouvernement de le mettre à la portée de tous, il est sans contredit de son devoir de le faire.
Malthus en 1803, Comment il faudrait s’y prendre pour corriger les opinions erronées sur la population
in Essai sur le principe de population (Flammarion 1992, tome 2, page 267 à 273)
Dans un autre article j’ai parlé de l’intérêt d’éduquer les peuples, et dit que d’autres penseurs (Condorcet, Marx, Proudhon et d’autres) misaient eux aussi sur l’éducation.
Sur ce domaine, Malthus n’a donc rien révolutionné, il tenait juste à ce qu’on enseigne certaines choses au plus grand nombre. Si la télé avait existé à son époque, je suppose qu’il aurait imposé des programmes sur « la contrainte démographique » sur toutes les chaines. J’ai fait remarquer que le pas pouvait être vite franchi entre éducation et conditionnement, formatage.
Ainsi Malthus souhaitait qu’on enseigne » l’état des classes inférieures relativement au principe de population, et l’influence qu’elles ont à cet égard sur leur propre bonheur » . Malthus souhaitait donc qu’on enseigne ce qu’est le bonheur … et ça c’est plutôt une bonne chose, sauf que le bonheur selon Malthus n’est pas universel.
Il souhaitait aussi que « quelques-uns des principes les plus simples de l’économie politique » … et ça c’est bien du bourrage de crânes.
Principe N°1 (tout simple, à la limite simpliste) : Le bonheur c’est d’avoir, des avoirs plein nos armoires !
Principe N°2 (carrément simplet) : La réussite c’est la Rolex à 50 ans !
Il disait aussi » je crois qu’un peuple bien élevé serait beaucoup moins susceptible qu’un autre d’être séduit par des écrits incendiaires… »
Et il avait raison. Les petits soldats « bien élevés », autrement dit dressés dans les écoles d’un système quel qu’il soit, ne peuvent pas digérer les idées à contre-courant.
Finalement Malthus voulait dresser des petits toutous à être heureux dans son meilleur des mondes, l’abstinence pour les pauvres, l’opulence pour les riches.
Le message de Malthus est fondamental pour l’humanité (et même plus généralement pour chaque humain), il a enseigné la nécessaire prise de compte des limites. Il a donc dit exactement le contraire que ce que notre société enseigne dans les discours comme dans les faits depuis quelques décennies.
Nous n’avons pas voulu l’écouter, l’avenir remettra les choses en ordre puisque notre sagesse aura fait défaut.
Le message de Malthus est fondamental pour l’humanité (et même plus généralement pour chaque humain), il a enseigné la nécessaire prise de compte des limites. Il a donc dit exactement le contraire que ce que notre société enseigne dans les discours comme dans les faits depuis quelques décennies.
Nous n’avons pas voulu l’écouter, l’avenir remettra les choses en ordre puisque notre sagesse aura fait défaut.