Un seul petit kilowatt-heure, c’est beaucoup beaucoup. Roland Lehoucq nous donne quelques indications : « Un terrassier pelletant 12 fois par minute pendant huit heures, chaque pelletée ayant une masse de 3 kilogrammes et montant de 1 mètre, ne produit que 0,05 kWh d’énergie mécanique avec ses bras. Par comparaison, l’énergie libérée par la combustion de 1 litre d’essence est d’environ 10 kWh. Le salaire minimal horaire fixe le coût du kWh d’énergie mécanique humaine à plusieurs centaines d’euros, contre 0,6 euro pour le kWh issu de la combustion de l’essence. Vu le différentiel de prix, les tâches nécessitant beaucoup d’énergie mécanique sont faites par des machines. En France, la consommation énergétique annuelle par habitant est de l’ordre de 24 000 kWh, environ 240 fois supérieure à celle qu’un humain peut produire pendant la même durée avec sa seule puissance musculaire. Le formidable pouvoir de l’humanité sur la biosphère terrestre résulte de sa capacité à mettre en œuvre les grandes quantités d’énergie nécessaires aux transformations qu’elle réalise. Quand cette période d’abondance finira, le réveil risque d’être difficile. »* Quand cette période d’abondance finira, le réveil risque d’être difficile !
« L’homme, combien de kWh ? », s’interroge Jean-Marc Jancovici : « En fait, l’unité d’énergie que chacun d’entre nous connaît le mieux n’est pas le kWh, mais probablement… la Calorie. En effet, presque chacun d’entre nous sait qu’une personne sédentaire a besoin d’environ 2.000 Calories par jour, qui nous sont fournies par notre alimentation. Par équivalence, un humain au repos absorbe environ 2,3 kWh par jour. Un être humain effectuant un travail très « physique » consomme de l’ordre de 5 kWh par jour. C’est là que nous commençons à mesurer le « saut de puissance » fantastique qui est arrivé à notre espèce en domestiquant les énergies fossiles : avec 1 euro, je m’achète 1 litre d’essence, qui contient 10 kWh d’énergie (à peu près), soit l’équivalent de la consommation de 2 « esclaves » pendant une journée complète. Qui avait les moyens, avant que charbon, pétrole et gaz – et marginalement le reste – n’envahissent nos vies, de se payer avec le seul fruit de son travail « normal » l’équivalent de cinq cent domestiques pour se déplacer, se nourrir, se divertir, faire sa cuisine et sa vaisselle, et j’en passe, ce qui est maintenant la condition de M(me). « tout le monde » ? Le roi, et encore ! Et le pétrole vaudrait cher ? Combien d’esclaves dans la vie moderne ? Pour produire la nourriture aujourd’hui consommée par les français, il faudrait une population agricole de… 1,8 milliards de personnes (pour 65 millions de français) si nous avions le même régime alimentaire et pas d’énergie fossile ou fissile. Un autre parallèle peut être utilisé : sachant qu’un cheval de puissance (environ 0,7 kW) pour une voiture représente réellement un cheval attelé en termes de puissance de traction, cela signifie que le moindre smicard, aujourd’hui, a les moyens de se payer un attelage de 60 chevaux pour le prix de 6 à 8 mois de salaire. Et l’énergie vaudrait cher (bis ou ter) ? La conclusion de cette affaire est évidemment indicible en démocratie : ce n’est pas seulement le mode de vie de M. Dassault ou de la Reine d’Angleterre qui est devenu « non durable » si nous nous mettons sur le terrain de la physique, mais bien celui de chacun(e) d’entre nous, ouvrier(e)s d’usine, agents de nettoyage et caissier(e)s de supermarché compris. Les « modestes » des pays industrialisés contribuent déjà à dépasser les possibilités physiques de la planète. »** Sans énergie fossile ou fissile, on va souffrir…
Il y a de quoi être inquiet. Nous avons relaté sur ce blog en 2011 un exposé de Jean-Marc Jancovici dans les locaux de l’Assemblé nationale : « Je commence par une question, combien de parlementaires dans cette salle ? 1,2 3, on va dire sept ou huit ! Au niveau de l’énergie, c’est le serpent qui se mord la queue : les parlementaires n’ont pas conscience de l’urgence du problème, donc ils ne viennent pas s’informer, donc ils n’ont pas conscience du problème ! Quelle est la martingale qui permettrait à 200 parlementaires de se tenir tranquille dans une salle pendant trois heures pour écouter un cours ? Si quelqu’un a une réponse, je prends ! Car c’est une bonne partie de la stabilité politique de la France dans les vingt ans qui viennent qui en dépend. Comme les politiques sont interrogés par des journalistes qui n’y connaissant rien non plus, cela tourne en vase clos, à aucun moment il n’y a d’issue. L’idée qu’on va pouvoir trouver des substituts à l’énergie fossile ou à l’uranium, c’est une chimère, ça n’existera pas. Aujourd’hui, pour faire un baril jour de pétrole conventionnel, il faut mettre sur la table 20 000 dollars de coût en capital. Pour les hydrocarbures non conventionnels, coal to liquids ou sables bitumineux, il faut 200 000 dollars. Dix fois plus de capital nécessaire, le coût en capital du déplacement des ressources fossiles représente des sommes astronomiques. Il faut donc investir massivement dans les économies d’énergie sinon le problème social sera dramatique. Parce que nous avons déjà beaucoup trop attendu, les investissement de transition qu’il va falloir faire dans un contexte récessif posent problème. L’inertie des systèmes énergétiques du côté de la consommation (parc de logements, de voitures…) fait que le changement ne se fait pas en une semaine, mais plutôt en 30 ans. La faute est collective, il n’y a pas droite ou gauche sur la question, il n’y a pas électeurs ou élus, on s’est tous vautrés, on a beaucoup trop attendu pour faire les choses en douceur. Mais si nous en le faisons pas maintenant de manière extrêmement musclée, ce qui nous attend n’est pas du tout ce que conçoivent les politiques dans leurs programmes électoraux pour 2012. »***
Nous sommes fin février 2018, nous n’avons rien fait. Penser en termes de catastrophe à venir paraît plausible !
* LE MONDE science du 31 janvier 2018, Peut-on ressentir ce qu’est 1 kWh ?
** https://jancovici.com/transition-energetique/l-energie-et-nous/combien-suis-je-un-esclavagiste/
*** http://biosphere.blog.lemonde.fr/2011/02/14/le-pic-petrolier-vu-par-jm-jancovici/
Je nous compare souvent à des canards d’élevage, qui ont grandi bien au chaud sous la lampe chauffante, qui ont la mangeoire bien remplie et alimentée automatiquement, qui sont incapables de voler parce que trop gras, et qui pataugent dans la merde. Et qui n’ont bien sûr plus rien à voir avec les canards sauvages.
Très intéressante cette analyse de J M Jancovici
Bien sur que nous allons souffrir… Je suis un travailleur manuel et pourtant si je me compare a mes grands parents paysans nés au début du 20 siècle j ai de quoi être inquiet
Mon grand père soulevait 100 kgs comme moi j en soulevé 50 , et j ai encore gravé dans ma mémoire ma grand mère de 70 ans essorant à la main un lourd drap de coton de deux personnes , je parle meme pas de la tolérance au froid et au mal .
Nous sommes effectivement « des petits bourgeois » avec des petits organismes .
Jean-Marc Jancovici ne mâche pas ses mots, il dit à juste raison : « on s’est tous vautrés ».
Sa leçon sur l’énergie est pourtant claire, même un gamin comprendrait. Janconvici n’est pas le seul à dire que l’énergie devrait être enseignée à tous dès la maternelle, parce qu’en effet il est désespérant de voir le niveau d’ignorance qui règne sur ce sujet. Dans la tête de beaucoup trop de monde, ce sont les euros qui font avancer les bagnoles, et c’est le pognon qui nous remplit le ventre et nous fournit notre énergie vitale. C’est pour ça que le pékin moyen appelle « gros » ceux qui disposent d’un revenu cent fois, mille, dix-mille fois, plus gros que son modeste salaire ou sa petite allocation.
Je rejoins Jancovici dans sa conclusion qui est « évidemment indicible en démocratie : ce n’est pas seulement le mode de vie de M. Dassault ou de la Reine d’Angleterre qui est devenu « non durable » si nous nous mettons sur le terrain de la physique » … autrement dit, nous sommes devenus des petits seigneurs, des petits-bourgeois, et nous ne sommes pas fichus de le comprendre, donc de l’admettre.