L’essai de Jacques Testart, à qui profitent les OGM ? s’organise en trois parties. La première consiste en une critique des PGM. « L’affaire Séralini » en deuxième partie complète la démonstration. Le tout permet, dans une troisième partie, de déboucher sur une remise en cause du système actuel d’expertise. Voici sur ce denier point une tentative de dialogue entre l’auteur, Jacques Testart, et un membre de l’AFBV (association française pour les biotechnologies végétales), Alain Deshayes :
Alain Deshayes : La conclusion du deuxième chapitre pourrait s’intituler « il faut sauver le soldat Séralini ». Elle tendrait à conforter une interrogation récurrente : et si, conscients de la faiblesse scientifique du travail publié, les responsables de cette « médiatisation exceptionnelle » n’avaient pas eu pour seul objectif de faire un coup médiatique ? Cela afin d’être en mesure de demander la « répétition de l’expérience », la mise « à plat des systèmes d’évaluation des OGM… » et une nouvelle « évaluation de la balance bénéfices/risques ».
Jacques Testart : La prochaine période permettra à GE Séralini d’approfondir l’analyse de son travail. Déjà une nouvelle publication confirme la toxicité de composants cachés mais nécessaires à l’action des herbicides, dont le « fameux » Round up ( pas plus dangereux que le sel selon un membre de l’AFBV…), ce poison dont la commercialisation justifie la plupart des PGM, puisqu’elles furent inventées dans le but de le tolérer.
Alain Deshayes : Il n’en reste pas moins que ce dernier chapitre, intitulé « Mettre les OGM en Démocratie », pose un certain nombre de questions avec lesquelles je me sens parfaitement en phase, même si je n’en partage pas toutes les réponses. Il est tout d’abord pertinent d’affirmer qu’il serait a priori erroné de « postuler que toute innovation est potentiellement bénéfique… » et « …forcément un progrès ». Il faut reconnaître que nombre de scientifiques et d’ingénieurs manquent souvent de réflexion critique à ce propos. A partir de cette constatation, il est logique de s’interroger sur les processus de décision aboutissants à la mise en œuvre des politiques de développement technologique.
Je partage donc les préoccupations de Jacques Testart sur la nécessité de repenser le système d’expertise, de redéfinir les notions de conflit d’intérêt, de définir un statut des lanceurs d’alerte et de mieux prendre en compte des opinions exprimées par les citoyens. Mais si toutes ces questions font globalement consensus et sont simples à formuler, aucune n’appelle de réponse univoque. Il est, par exemple, regrettable que les responsables politiques montrent si peu d’empressement à s’interroger sur la signification concrète qu’il faudrait donner à la « participation des citoyens ». Jacques Testart affirme son attachement aux « conférences de citoyens » comme outil de débat public, mais d’autres formes de participation existent qu’il faudrait mettre en débat.
Jacques Testart : Alain Deshayes m’accorde donc une convergence de vues sur la démocratisation nécessaire de l’expertise et des innovations. Pour en savoir plus, lire mon article, Convention de citoyens (CdC) : Points importants pour la qualité et la crédibilité de la procédure.
Source : article présenté sur le site JNE dans sa rubrique « le dossier OGM »
Quelques indications complémentaires d’Alain Deshayes :
« J’ai créé en 1986 à l’INRA la première commission – en France et en Europe – d’évaluation des projet de mise au champs d’OGM : la Commission « génie génétique et environnement ». Elle a été supprimée en 1992 par Guy Paillotin.
Un gène de résistance à un herbicide ou de résistance à un insecte n’a pas pour but « d’augmenter le rendement », mais de limiter les pertes de rendement en cas de développement de mauvaises herbes ou d’attaque d’insecte.
Le fait que des plantes résistantes à des herbicides ou des insectes résistants à Bt soient apparus (avec des fréquences faibles) étaient « prévues ». La question n’est pas liée à quelque PGM que ce soit. On savait, avec l’expérience des années de développement intense de l’agriculture (1950-70), que cela devait arriver, et pas besoin de remonter à Darwin !!! Nous avions à l’époque discuté de diverses stratégies pour en limiter l’occurrence, mais les semenciers ont « préféré » aller à la facilité.
Des raisons « non scientifiques » peuvent justifier de limiter les PGM aux conditions confinées. C’est d’ailleurs pour cela que la Commission européenne avait proposé aux Etats de pouvoir refuser une variété GM pour des motifs « éthique ou social » voire pour des raisons « d’ordre public » (par analogie avec une clause qui existe pour les brevets : ils ne doivent pas porter atteinte à l’ordre public), une fois les expertises scientifiques réalisées. Tout le reste n’est que verbiage. Par contre en fonction du gène introduit et de l’espèce considérée, on peut soupçonner a priori que des effets négatifs pourraient survenir.
De toute façon, qui s’inquiète que toutes les variétés de blé (qui cumulent les génomes de trois graminées sauvages) possèdent des gènes (résistance à des pathogènes principalement) qui proviennent de diverses graminées mauvaises herbes du blé, à la suite de croisements « forcés » par l’homme. Qui s’inquiète que l’homme ait, par exemple, créé un nouvelle espèce végétale, le Triticale, en croisant un blé (Triticum aestivum, espèce héxaploïde), et un seigle (Secale cereale, espèce diploïde). Et dans les deux exemples cités, ce sont des milliers de gènes qui sont en cause, et non 2-3 comme dans les cas de transgenèse.
Il est facile d’ironiser sur le fait qu’il n’y ait pas de variétés GM qui apporte un bénéfice pour le consommateur (je suis sensible à ce type d’argument et j’ai eu de nombreuses occasions de dire aux managements des grandes multinationales des semences que le soutien de l’industrie agro-alimentaire au développement des plantes GM nécessitait que cela apporte un plus pour l’industriel et pour le consommateur. Autrement dit nous ne nous sentions « pas très motivés » pour utiliser du sucre d’une betterave GM résistante à un herbicide) quand on détruit toutes les cultures. Ceci étant, sans parler des USA, les chinois, les brésiliens, (même les indiens) qui n’ont pas les même critères que nous avancent notablement dans ces domaines. Dans quel état sera notre agriculture quand tous ces pays émergents domineront les marché agricoles?
Si je comprends bien, mieux valaient les conditions des agriculteurs sous Louis XIV : les rendements étaient incertains, le développement des phyto-maladies non contrôlées, les famines fréquentes ou les conditions de travail harassantes.
Un correspondant nous a posé cette question, nous y répondons avec plaisir.
3/3 – Quelles sont les raisons scientifiques qui te poussent à dire que les seules plantes GM acceptables sont celles qui sont cultivées en milieu confiné?
Biosphere : Il existe trois catégories d’OGM qui ne sont pas comparables en termes d’intérêt pour les populations. Les OGM cultivés en fermenteur (incubateur clos) sont des levures ou des bactéries, ou encore des cellules d’organismes pluricellulaires. Par transgenèse, on leur fait acquérir la propriété de synthétiser des molécules d’intérêt médical ou industriel. C’est un système qui a démontré son efficacité sans provoquer de désagréments. Une autre catégorie d’OGM est constituée par des organismes animaux ou végétaux qu’utilisent les laboratoires de recherche. On peut par exemple induire génétiquement une maladie humaine chez une souris qui deviendra l’objet d’études. Ces OGM sont contenues dans des espaces protégés et ne sont contestés que par des personnes opposées à toute expérimentation animale. Puisque leur apport à la recherche scientifique et médicale est important, on considère qu’ils profitent à l’humanité. Il ne sera donc question dans cette réponse que des PGM destinées à remplacer les plantes traditionnellement cultivées. Elles sont par conséquent disséminées dans les champs où elles sont capables de filiations inédites et susceptibles et risquent d’interagir de façon largement imprévisible avec les autres êtres vivants. La diminution du recours aux pesticides n’existe réellement que durant les 3 premières années puisque de nouveaux parasites apparaissent ensuite, comme Darwin l’avait prévu.
Je souligne à nouveau que les considérations non « scientifiques » ont aussi leur validité. Les PGM modifient fortement l’économie agricole (brevets, productivisme…) et le rapport à la nature (fonction du paysan, biodiversité…). Les PGM profitent un peu à des gros agriculteurs (surtout par économie de main d’œuvre) et beaucoup aux firmes qui les fabriquent et les vendent. En l’absence d’intérêts démontrés des PGM pour les populations, la balance bénéfice/risque leur est clairement défavorable. Une étude de la Commission européenne* affirmait dès 2006 que les PGM n’ont d’intérêt que pour économiser le temps de travail et) mais absolument pas pour augmenter les rendements.
2/3 – Comment expliques-tu le développement exponentiel (x100 entre 1996 et 2012) des PGM dans le monde? Alors que tout le monde s’accorde pour constater qu’aucune innovation concernant l’agriculture ne s’est développée avec une telle rapidité. Est-ce à dire que, dans certains pays, on a mis un militaire derrière chaque agriculteur pour être sûr qu’il achète des semences GM?
Biosphere : Le problème de nos sociétés, c’est l’intoxication mentale. A une époque les gens étaient aliénés par l’emprise de la religion, à l’heure actuelle ils sont manipulés par l’idéologie croissanciste et les notions apparentées, le progrès humain, le progrès technique, le bien-être par la possession matérialiste, le consumérisme, l’emprise de la publicité, etc. Dans ce contexte, la diffusion de l’innovation se fait à une vitesse jamais observée auparavant ; il y a un phénomène d’accélération dans tous les domaines que ce soit le domaine de la culture sociale (l’intrusion du numérique dans nos vies) ou dans la culture des sols. Le monde agricole, qui n’est déjà plus paysan, ne peut pas échappe pas à l’ambiance générale. Le militaire n’a pas besoin d’être derrière toi quand il est dans ta tête.
Les entrepreneurs agricole deviennent victimes consentantes de l’obsolescence programmée de ce qui faisait leurs pratiques antérieures. Leur syndicat principal, la FNSEA, n’est pas en reste, cul et chemise avec le tournant productiviste induit au niveau européen. La mascarade actuelle au niveau européen d’un verdissement avorté de la PAC (politique agricole commune) est significatif : la commission agriculture, composé principalement de soutiens à l’agriculture productiviste, dénature toute tendance à considérer l’urgence écologique.
Au niveau plus spécifiquement PGM, ce sont les Etats-Unis qui ont été les maîtres d’œuvre de cette dénaturation du vivant. L’industrialisation, la technicisation et la concentration des pratiques étaient déjà bien instaurées dans ce pays, les PGM ont pu connaître un développement exponentiel qui s’est diffusé dans les pays dominés comme l’Amérique du Sud. N’oublions jamais le rôle de l’argent des firmes mondialisées agro-industrielles, le lobbying politique intense de ces firmes, l’écrasement de toute résistance, y compris scientifiques.
Un correspondant nous a posé cette question, nous y répondons avec plaisir.
1/3 – Quels sont les signes de « déstabilisation du monde paysan » du fait des PGM, spécifiquement ?
biosphere : Il est vrai que les hybrides ont précédé les Plantes Génétiquement Modifiées. Ces innovations, de même que la mécanisation, l’irrigation à grande échelle, les engrais préfabriqués, participent du même mouvement d’industrialisation de l’agriculture. Ce processus nécessite moins de travail et plus de capitaux, il pousse à la concentration des terres et donc à déstabilisation du monde paysan, puis à l’exode rural. Les PGM ne sont que la concrétisation finale de la dépossession des paysans de leur outil de travail, en ajoutant le fait que ce sont des conglomérats comme Monsanto ou Bayer qui contrôlent à la fois les semences et les intrants. En clair, les PGM sont significatives de tout un système destructeur, elles ne sont pas la cause première ; c’est la cerise qui trône sur un gâteau empoisonné.
Il semble préférable pour l’avenir de l’humanité, qui a besoin d’employer les chômeurs et de désurbaniser les bidonvilles, de retourner à des méthodes plus traditionnelles, intensives en main d’œuvre : semences fermières, compostage, polyculture, etc.