Dans les transports publics, on ressent souvent une impression de morbidité, entouré de passagers qui ont leurs yeux rivés sur leur iPhone. Privé du contact physique avec ses semblables, l’être humain s’expose à des troubles mentaux et affectifs. Si on accepte d’expérimenter cette technologie innaturelle, c’est qu’elle nous donne une illusion de toute-puissance. La télécommunication nous affranchit des limites spatiotemporelles. Au niveau du temps, la technologie flatte l’exigence d’immédiateté de l’individu postmoderne. Mais le sms et l’absence de contexte réel fait disparaître les nuances humaines du discours, celles qui rendent possible la communication des émotions. L’illusion de se connecter à des personnes à l’autre bout du monde empêche l’amour ; à toutes les époques, la distance a toujours représenté un obstacle à l’affectif. La télécommunication, initialement conçue pour rapprocher les personnes, exerce aujourd’hui une fonction opposée.
Le temps consacré à des interlocuteurs lointains, c’est le temps que l’on soustrait à ses proches. Entre 1987 et 2007, les heures quotidiennes passées en Grande Bretagne à parler avec des humains en chair et en os se sont réduites de 6 à 2, les heures consacrées chaque jour aux moyens de communication sont passées de 4 à 8. Les paroles virtuelles sont devenues plus nombreuses que celles réelles. Ce n’est qu’un exemple de la privation sensorielle à laquelle nous exposent les nouvelles technologies.
Il y a un siècle à peine, plus de 90 % des gens vivaient dans les campagnes, y compris dans les pays occidentaux. On ne connaissait guère plus de 200 à 300 personnes. Nous sommes conçus pour reconnaître, mémoriser et accueillir avec bienveillance un nombre restreint de présences. L’explosion actuelle du nombre de gens que nous contactons par nos mobiles ou d’inconnus que nous croisons quotidiennement dans les transports publics et les villes plonge nos mécanismes cérébraux dans un état d’alerte permanent. Il en découle absence de sourires, stress et méfiance. Pour se rassurer, on allume la télévision. Les sourires impersonnels des vedettes de l’écran constitue une nouvelle famille, technologisée et impersonnelle. D’où la nécessité d’être vigilants face aux technologies qui rendent nos mains passives.
(Propos résumés de Luigi Zoja, psychanalyste italien, initialement parus dans le journal des objecteurs de conscience suisses « Moins », repris par le mensuel La décroissance de septembre 2013)
C’est vrai que le journal est parfois « contre-productif » dans ses critiques
http://www.partipourladecroissance.net/?p=6720
NB : le mensuel La Décroissance nous apporte des éléments de réflexion comme le texte de Luigi Zoja ci-dessus. Mais ce journal, qui se revendique explicitement de l’écologie politique, a le tort de tirer à boulets rouges sur tout ce qui est écolo.
Dans ce numéro de septembre, Denis Baupin est égratigné, les « dindons labellisés » d’EELV ne sont que des « bureaucrates verts », Patrick Viveret est un écotartufe, Pierre Rabhi dépolitise le débat, Edgar Morin est un philosophe sénile, le manifeste convivialiste désarme la potentialité critique de la décroissance, Noël Mamère est traité d’opportuniste menteur, Rob Hopkins et ses territoires de transition est accusé d’oublier de participer aux luttes d’opposition, « Nicolas Bertrand » (Nicolas Hulot et Yann Arthus Bertrand) sont comme d’habitude dénigrés, Dany Cohn-Bendit (en commençant une chronique sur Europe 1) est un « agent de la police de la pensée qui va être embauché par le marchand d’armes Arnaud Lagardère ». Même Yves Cochet, qui essaye pourtant d’unifier les décroissants d’EELV, est ridiculisé.
Nous pensons qu’un tel systématisme anti-écolo fait le jeu du croissancisme…