Marc Ambroise-Rendu, né en 1929, vient de mourir le 24 juin dernier. Il avait assuré au journal LE MONDE à partir de 1974 la rubrique nouvellement créée « Environnement ». Je l’avais interrogé en 2011, voici ma transcription de ses souvenirs sur mon blog biosphere :
Marc Ambroise-Rendu est arrivé au MONDE en mars 1974. Son directeur, Jacques Fauvet, n’avait aucune idée de la manière dont il fallait traiter la nouvelle rubrique environnement, mais comme il y avait un ministère du même nom depuis le 7 janvier 1971, un ministre (Robert Poujade), des officines diverses, des salons de l’environnement et des réactions patronales, il fallait « couvrir ». Ambroise-Rendu a proposé de nourrir la rubrique avec 50 % de nouvelles institutionnelles et 50 % d’infos provenant de la vague associative en train de monter. Fauvet a dit OK.
Les reportages d’Ambroise-Rendu sur les protestations et propositions associatives de terrain convenaient bien au service « Equipement et régions » dont il dépendait et l’audience était là. Mais ses collègues des autres services étaient étonnés, et même, pour certains, scandalisés qu’on donne dans leur journal « si sérieux » autant de place à l’environnement – sujet marginal et jugé parfois réactionnaire. Un rédacteur en chef s’est même exclamé: « L’écologie, c’est Pétain »… Il s’en est excusé plus tard. Quand René Dumont a fait acte de candidature aux présidentielles de 1974, le service politique n’a même pas envoyé un stagiaire pour voir à quoi ressemblait ce « zozo ». C’est Ambroise-Rendu qui a couvert les premiers balbutiements de sa campagne lors d’une conférence de presse dans une salle de cours poussiéreuse de l’ Agro. Voyant qu’un « étranger » mettait les pieds dans son espace réservé, le service politique a fini par reprendre la main.
Le seul président de la République qui a osé s’exprimer longuement sur la politique écologique est Valéry Giscard d’Estaing… fin 1977 ! L’interview, avec le labrador roupillant sur le tapis, a été longuette et « molle ». Il a fallu attendre deux mois pour que cet entretien avec Marc Ambroise-Rendu, après ré-écriture, paraisse dans LE MONDE du 26 janvier 1978. La première question de Marc Ambroise-Rendu était incisive : « La France peut-elle continuer à donner l’exemple d’une croissance accélérée, alors que celle-ci est fondée sur la sur-exploitation du monde, le gaspillage et les risques technologiques ? » Il est significatif que la réponse de VGE pourrait aussi bien être faite par le président actuel : « Je préconise une nouvelle croissance qui économise l’énergie et qui réponde à des aspirations plus qualitatives. Mon objectif est que nous retrouvions un taux de croissance supérieur à celui de ces quatre dernières années, ne serait-ce que pour résoudre le problème de l’emploi. Cette nouvelle croissance n’est ni une croissance sauvage ni une croissance zéro. » La troisième question montrait que le journaliste savait aussi poser les bonnes questions : « L’opinion paraît de moins en moins favorable à un développement ambitieux du programme électronucléaire. Comment réintroduire la démocratie dans le choix nucléaire ? » La réponse de Giscard est un véritable déni de la réalité : « Le gouvernement respecte la démocratie dans le domaine nucléaire, comme dans les autres. Il a la responsabilité devant le pays de prendre les décisions qui engagent la politique de la France. Il le fait sous le contrôle du Parlement (…) La vraie question n’est pas oui ou non au nucléaire. La question c’est : oui, mais comment ? »
Au cours des 3000 jours pendant lesquels Marc Ambroise-Rendu a tenu sa rubrique « Environnement », il a aligné plus de 1200 papiers dans tous les registres. Il n’a jamais été rappelé à l’ordre pour « engagement excessif » ou « commentaires orientés ». Il avait l’impression de parler allègrement – et utilement – de sujets sérieux et cela avec une totale liberté (dans les limites d’un quotidien national). Sous des dehors austères et même sévères, Fauvet était, au fond, un vrai libéral. Les pressions venaient d’ailleurs. Ambroise-Rendu avait participé avec ses collègues des sciences et de l’économie à une série sur le programme nucléaire. En trois livraisons, les journalistes avaient essayé de discerner où menait l’aventure nucléaire décidée par de Gaulle-Pompidou-Messmer et les technocrates du CEA et d’EDF. Les articles ont fait grand bruit. Ambroise-Rendu a été appelé par le patron d’EDF qui lui a demandé « Mais M. Rendu qu’est-ce qu’on vous à fait ? » Il était vraiment stupéfait qu’on puisse envisager de réexaminer le choix du nucléaire. Les seuls qui n’ont pas participé à cette série, ce sont les gens du service politique qui se sont bien gardés de titrer la réalité : « Le nucléaire enjambe la démocratie ».
Michel Sourrouille
Dans les archives du MONDE, voici deux exemples significatifs de ce que pouvait écrire Marc Ambroise-Rendu y a cinquante ans :
L’environnement : école de démocratie (9 août 1973)
extraits : Dans le discours sur l’environnement qu’il prononçait aux États-Unis, à Chicago, le 28 février 1970, le président de la République (Georges Pompidou) souhaitait » le contrôle des citoyens et leur participation effective « . Il a été entendu. Et même au-delà de ce qu’il espérait. On compte aujourd’hui en France deux mille associations déclarées qui prennent la défense de la nature et de l’environnement. Cette floraison des associations révèle une double carence de la société française. D’abord, le pouvoir semble incapable de maîtriser les méfaits d’une croissance galopante. Le ministère de M. Robert Poujade est, en 1973, l’avant-dernier pour les dotations budgétaires. Il ne compte qu’une poignée de fonctionnaires et ses pouvoirs, hélas… Devant la destruction de la nature et l’enlaidissement de leur cadre de vie. les citoyens ne peuvent compter non plus ni sur l’administration, ni sur le patronat, ni sur les syndicats, ni même sur les représentants élus. Alors ils s’associent pour pratiquer l’auto-défense. Les voici contestant les décisions de l’administration, étudiant des dossiers, formulant des contre-propositions. Ce n’est plus un dialogue entre des » sujets » et leur » monarque « , mais un débat d’égal à égal entre citoyens informés et fonctionnaires responsables. Le Mouvement pour la nature est constitué, à sa base, par de multiples comités locaux. Mais il se bat au nom de l’intérêt général. Palier par palier, les militants de l’environnement en sont venus à poser des questions politiques. Les partis et les candidats s’en sont aperçus au cours des dernières élections législatives….
La crise pétrolière ou l’événement providentiel (31 décembre 1980)
extraits : Perçue d’abord comme une calamité, la crise pétrolière apparaîtra peut-être un jour comme un événement providentiel. Les hommes s’assoupissaient sur le magot apparemment inépuisable de l’or noir. Les voici réveillés et contraints de puiser non plus dans les ressources du sous-sol, mais dans celles de l’imagination. Dénicher de nouvelles sources d’énergie tourne à l’obsession. Cette quête fébrile fait fleurir les centrales nucléaires – gigantesques machines que le pouvoir technocratique n’hésite pas à imposer. En tout cas, l’innovation est à nouveau au pouvoir. La revue Autrement a consacré les 225 pages de sa livraison d’octobre dernier à l’exploration des » technologies douces » que les Anglo-Saxons appellent plutôt des technologies » appropriées « . Appropriées parce qu’elles peuvent être mises en œuvre par les citoyens eux-mêmes, qu’elles favorisent la diversité, qu’elles apportent autant de réponses qu’il y a de problèmes posés ici et maintenant, qu’elles ménagent à la fois les ressources naturelles et l’environnement. Faudrait-il être sorti de Polytechnique pour apprivoiser l’énergie ? Louis Lacas dans le Guide des énergies douces démontre d’une manière simple et pratique que cette entreprise est à la mesure des particuliers. Après le siècle des ingénieurs, voici revenu le temps des ingénieux. Benoit Dufournier consacre aux Énergies d’autrefois. Pour rédiger ce premier tome, l’auteur a parcouru pas à pas le Sud-Ouest. Il y recense sur les rivières et les coteaux des milliers de sites énergétiques qui furent jadis équipés de moulins. Une multitude de machines astucieuses, » branchées sur les courants d’air et les courants d’eau « , construites à partir de matériaux locaux, permettaient aux villageois de moudre les grains, de presser les noix pour en extraire l’huile, de filer la laine, de fabriquer du papier, de scier le bois et la pierre….
– « […] l’environnement – sujet marginal et jugé parfois réactionnaire. Un rédacteur en chef s’est
exclamé: « L’écologie, c’est Pétain »… Il s’en est excusé plus tard. »
Sujet marginal en 1974… sujet banal 50 ans plus tard. Anodin, commun, ordinaire, habituel, conventionnel, rebattu etc. Tout ce qu’ON veut, mais en tous pas du tout CENTRAL !
Quitte à s’en excuser, pour la forme, aujourd’hui il lui suffirait juste de changer une lettre pour titrer à la une du MONDE : « L’écologie c’est une putain ».
Une marie-couche-toi-là qui se fait couvrir de tous les côtés, par-devant par-derrière et de toutes les manières. Et bien sûr par tout le monde, même par les plus pourris.
Voilà donc à quoi auront servis tous ces ministres depuis René, et tous ces journaleux depuis Marc Ambroise. Sans oublier tous ces auteurs de bouquins consacrés à l’environnement, tous ces cinéastes, c’est le cas de le dire. (à suivre)
(suite) Voilà donc à quoi aura finalement servie la «mise en évidence». Autrement dit l’étalage, le matraquage, meRdiatiaque, j’ose même dire la popularisation si ce n’est la démocratisation de la question environnementale.
Tout ça pour finalement la banaliser. Misère misère !
Comme ils l’ont fait avec le suffrage universel et le repos du dimanche… la banalisation de l’écologie par les tenants du Système leur permet de mieux la récupérer.
André Gorz avait prévu la récupération de l’écologie par l’industrie, les groupes financiers, autrement dit le Capitalisme.
– « Évoquer l’écologie, c’est comme parler du suffrage universel et du repos du dimanche : dans un premier temps, tous les bourgeois et tous les partisans de l’ordre vous disent que vous voulez leur ruine, le triomphe de l’anarchie et de l’obscurantisme. Puis, dans un deuxième temps, quand la force des choses et la pression populaire deviennent irrésistibles, on vous accorde ce qu’on vous refusait hier et, fondamentalement, rien ne change. » (André Gorz, pseudo Michel Bosquet)
Paru en avril 1974 dans le mensuel écologiste Le Sauvage, ce texte a été publié en 1975 aux éditions Galilée en introduction du recueil Ecologie et politique.
Il reste lisible sur :
– monde-diplomatique.fr/2010/04 : Leur écologie et la nôtre
– ieb.be/IMG/pdf/leur-ecologie-et-la-notre_andre-gorz-1974-2.pdf