Cette affaire* est révélatrice des difficultés à désigner des responsables dans les dossiers de l’amiante. Et pourtant ! Les responsabilités peuvent être clairement établies. La structure de lobbying des entreprises, c’est le Comité permanent amiante (CPA), né en 1982, au moment précis où nombre de pays s’orientent vers l’interdiction de ce matériau. « Groupe informel et sans pouvoir », comme le définit alors habilement Dominique Moyen. Ce patron de l’Institut national de recherches en sécurité (INRS) siégeait au CPA, il est coupable. Marcel Valtat, un ancien journaliste de L’Humanité reconverti dans le conseil en communication, orchestre le lobbying. Il est coupable. Alors que l’amiante est classé cancérogène par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) depuis 1973, le CPA use d’un subtil slogan : il parle de son « usage contrôlé », véhiculant l’impression trompeuse que le risque est maîtrisé. Conférences internationales, campagnes de presse, diffusion de brochures rassurantes… Le CPA évite pendant quatorze ans la mise en place de toute réglementation contraire à l’intérêt des industriels. Les dirigeants du CPA sont tous coupables. Martine Aubry a tardé à faire appliquer les directives européennes susceptibles de protéger des travailleurs de l’amiante. Coupable ! A l’exception de Force ouvrière (FO), qui a fermement refusé de siéger au CPA, dénonçant d’emblée « une confusion des rôles », toutes les confédérations syndicales y étaient représentées de 1982 à 1995. Et elles n’y ont pas fait que de la figuration… Ainsi, en avril 1991, alors que la Commission européenne travaille à un projet d’interdiction de l’amiante, la Fédération construction de la CGT adresse un courrier aux députés européens dans lequel elle s’oppose à cette interdiction en reprenant des arguments développés par le CPA. Les représentants des syndicats au CPA sont coupables. Que les syndicats aient une trop faible capacité à résister au chantage à l’emploi n’est pas une excuse, ils doivent protéger les travailleurs dans toutes les implications possibles.
Les victimes ne veulent pas s’en tenir pas au volet financier de l’affaire : ils réclament la tenue d’un procès pénal pour « blessures et homicides involontaires ». Leur but : obtenir la condamnation des « responsables nationaux » qu’elles n’hésitent pas à qualifier d’« empoisonneurs ». Mais le parquet n’est pas de cet avis. Après vingt et un ans d’instruction, la justice a récemment fait savoir qu’elle ne veut pas de procès du tout. Il ne serait « pas possible d’établir a posteriori la date d’intoxication précise d’une victime pour déterminer l’identité d’un responsable. » Nous conseillons à la justice de lire notre premier paragraphe. A l’heure où les maladies causées par les polluants sont diagnostiquées ou prévisibles, l’Etat doit envoyer à ceux qui en sont responsables le signal qu’ils ne peuvent agir impunément. Tant qu’on s’en tiendra au raisonnement « responsable mais pas coupable », notre société continuera d’aller dans le mur de plus en plus vite. Voici quelques commentaires inspirés sur lemonde.fr
Marin : Une substance classée cancérigène par le CIRC, de fortes actions de lobbying, une interdiction d’utilisation qui ne vient pas … ça ne vous rappelle pas un sujet d’actualité ? Et les lobbies du glyphosate auraient tort de se gêner, de même que les décideurs : le dossier de l’amiante leur promet une impunité presque totale !
Cédric : Les décideurs et les lobbies ne risquent rien. Ils se cachent lâchement derrière leur « ignorance » due aux « incertitudes », alimentées par leurs pseudo scientifiques qu’ils corrompent. Les profiteurs du Glyphosate ou les « climato-sceptiques » ne seront pas plus inquiétés dans 10 ou 20 ans quand leurs dégâts ne pourront plus être cachés.
Révolté : Exactement ce que je pense, merci … Comme dans l’histoire du sang contaminé les décideurs industriels ou politiques, pour la plupart insaisissables, sont peut être responsables mais alors sûrement pas coupables. De plus si par hasard on en dénichait un, il sera défendu par une cohorte d’avocats acquis à sa cause. Alors pourquoi se gêneraient-ils ?
DH : « l’Etat doit agir pour la mise en place d’un traitement judiciaire permettant de prévenir les catastrophes sanitaires futures. » Y’a du boulot ! N’est-ce pas ce qu’on appelle le principe de précaution ?
MIREILLE URBAIN : Dès qu’un scandale sanitaire peut mettre en cause l’Etat ou des personnalités en vue, le procès dure infiniment tandis que les victimes souffrent et décèdent. J’ai rencontré et tenté d’aider des victimes de l’amiante alors que j’étais visiteuse d’aumônerie hospitalière. Que dire à ces hommes encore jeunes ayant souvent aussi de jeunes enfants qui se savent perdus à court terme? Leur travail les a tués mais les responsabilités sont diluées, niées. L’homme placé au rang de la machine. Une horreur.