Notre époque est schizophrène. Les médias nous donnent tous les moyens de comprendre que nous sommes au bord du gouffre. Et en même temps ils cultivent l’optimisme le plus débridé. Prenons LeMonde–Magazine* qui nous présente l’anthropocène, cette ère nouvelle où les humains modifient l’atmosphère de la Terre, mettent à mal l’hydrosphère, agressent la lithosphère et bouleversent la biosphère. Le désastre assuré ! Mais ce Magazine adule aussi les nouvelles technologies : « Nos enfants auront une puce électronique greffée dans le corps grâce à laquelle ils pourront communiquer, payer, jouer, etc. L’horreur ? Parlez-en avec vos ados, cela ne leur fait pas peur. En route vers le futur ! » D’un côté nous détériorons complètement le milieu qui nous fait vivre avec nos techniques démesurées, de l’autre nous voulons artificiellement « améliorer » l’homme comme le souhaitent les transhumanistes.
Un autre article du Magazine souhaite mettre un potager dans la ville : « Paniers solidaires (AMAP), agriculture urbaine, jardins partagés, potagers scolaires, approvisionnement local, ceinture vivrière autour des agglomérations… » Aucune mention des menaces écologiques qui, à l’heure de l’anthropocène, pèsent sur l’agriculture et l’alimentation : « La peur de la disette ne hante plus nos capitales occidentales ». Pourtant on constate à Berlin qu’on a tout détruit, les petits marchés, les jardins particuliers, les fermes environnantes. Une étude a même démontré que la quantité de biocarburants produite aux alentours de la ville ne suffirait pas à transporter toute la nourriture qu’on fait venir du monde entier pour alimenter les supermarchés. Or le problème est général. En 2008, la population urbaine mondiale a dépassé celle qui vit dans les campagnes. Un simple choc énergétique, et les villes commencent à mourir de faim. Mais LeMonde–Magazine n’en dit rien ; il préfère poursuivre sur les « rituels de chasse dans les Highlands »…
Comment s’étonner alors que la confusion règne dans les esprits ?
Jacques Grinevald*, auteur du livre La biosphère de l’anthropocène :
« La technique moderne est basée fondamentalement sur une science préindustrielle : la mécanique. Or celle-ci élimine le vivant. On a fabriqué des écoles d’ingénieurs – selon une tradition militaire – où on enseignait les maths, la physique, un peu de chimie, ensuite l’électricité, l’électronique, etc. La modernité occidentale a fabriqué un univers mécanique oubliant que nous étions des êtres vivants dans une nature vivante. La société industrielle a des fondements scientifiques incomplets et anachroniques. Le XIXe siècle fut une erreur ; le XXe une catastrophe ; et le XXIe ? On verra…
L’innovation, c’est le concept-clé des écoles d’ingénieurs. Une religion du salut ! Par l’innovation, par les nouvelles technologies, on va être sauvé. C’est un mythe qui correspond tout à fait à notre société qui crie : On n’a pas de pétrole, mais on a des idées. Les rêve des capitalistes, n’est-ce pas de pouvoir payer des gens qui inventent des techniques quasi-miraculeuses, permettant de repousser sans cesse les limites naturelles et de continuer à vivre sans changement radical le dogme du progrès technique et de la croissance économique ? »
* LeMonde-Magazine du 1er janvier 2011
Et c’est pourquoi certains vont jusqu’à parler d’optimisme pathologique.
http://www.energybulletin.net/media/2010-11-01/peak-oil-vs-pathological-optimism