En cette période d’insouciance festive et de retrouvailles familiales plus ou moins houleuses, voici le message déprimant que nous a été délivré en décembre 2019 : puisque nous avons été incapables de faire du volontarisme politique en matière écologique, nous entrerons de force dans une économie de guerre, sauf que dans un premier temps ce sera la guerre de tous contre tous, chacun pour son propre pays ou territoire.
Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, à la veille de l’ouverture de la conférence sur les changements climatiques (COP25) à Madrid : « L’espèce humaine est en guerre contre la planète et la planète rend coup pour coup. » Il a présenté la liste effrayante des effets dévastateurs de plus en plus « meurtriers » du réchauffement : hausse du niveau des océans, fonte des calottes polaires, sécheresses… « Le point de non-retour n’est plus loin à l’horizon, il est en vue et se rapproche de nous à toute vitesse », a-t-il souligné. Il a dénoncé les engagements « totalement insuffisants » de la communauté internationale pour réduire les gaz à effet de serre.
Yves Cochet , ancien ministre français de l’écologie: « Les alarmistes lancent des appels dans les journaux : faites quelque chose, vous, les puissants ! Moi, je n’y crois plus. Il est hélas trop tard pour la transition écologique. On peut quand même minimiser le nombre de morts. Au lieu d’en avoir 4 milliards dans les trente ans, on en aura peut-être 3,5 milliards, en faisant des bio-régions résilientes. Mon discours ne fera jamais recette. Je ne suis pas entendu, et c’est précisément pour cela que l’effondrement va arriver. Pour s’en sortir, il faudrait une économie de guerre comme à Londres, en 1941. Je suis pour le rationnement de l’essence, des vivres, des vêtements, et pour le contrôle des naissances. Mais il n’y a pas d’exemples dans l’Histoire où une économie de guerre a été adoptée avant la guerre. Les gens ne l’acceptent pas. Aujourd’hui, la préoccupation première des Français, c’est le pouvoir d’achat. »
Gilles Lacan, association Démographie Responsable : « Au cours des trois derniers quinquennats, ce sont à peu près les mêmes politiques qui ont été suivies, tournées vers la mondialisation, la croissance et l’emploi. S’il est vrai que l’écologie a été de plus en plus présente dans les programmes des partis politiques, au fur et à mesure que la conscience du danger progressait dans l’opinion, elle n’a jamais consisté qu’en l’habillage d’un même projet économique dans les différentes déclinaisons de la croissance verte. Une telle situation appelle une réorientation radicale , donner une place centrale à l’écologie dans la conduite des affaires publiques, ce par rapport à quoi tout prend sens et s’organise. Nous allons entrer dans une économie de guerre comme l’ont été celle de la France entre 1914 et 1918 ou celle des États-Unis entre 1941 et 1945. Nos décisions en matière de production de biens et services, de mix énergétique, de consommation et de ravitaillement, de commerce extérieur, de démographie et d’immigration, de protection des frontières et de sécurité intérieure, de prélèvements obligatoires, de santé publique et d’éducation, devront être déterminées par l’objectif prioritaire de notre survie collective, si du moins nous ne nous résignons pas à subir l’effondrement.
Pour mener cette politique, il faut un État. L’Europe n’en est pas un, non seulement politiquement mais surtout administrativement : il y a moins de fonctionnaires dans l’ensemble des institutions de l’Union Européenne que dans la seule ville de Paris. Or, notre société va devoir affronter des épisodes de pénurie, qu’il s’agisse de l’énergie, des denrées alimentaires, sans doute de l’eau potable, qui devraient eux-mêmes générer, les métropoles étant devenues peu vivables, un exode urbain incontrôlé et peut-être chaotique. S’il n’y a pas d’État, c’est-à-dire de force publique, sous contrôle démocratique, capable d’assurer un minimum d’état de droit, cela sera, selon la formule de Hobbes, un « état de guerre de chacun contre chacun ». Cet État ne pourra pas être confiné à ses fonctions régaliennes, il devra en outre pourvoir au ravitaillement et au logement de la population, à la santé publique et, dans la mesure du possible, à l’éducation.
Enfin, il nous faut changer complètement de paradigme : ralentir, réduire notre consommation, notre population, nos déplacements, nos connexions, relocaliser notre économie, protéger nos frontières, revenir aux basses technologies pour la production de nos biens. La différence posée ici avec certains « collapsologues » est qu’il faut le faire dès maintenant, en tout cas le plus vite possible, sans attendre d’un effondrement, secrètement espéré, les vertus salvatrices du Déluge, de l’Apocalypse ou du Grand Soir. Il n’y aura pas de catharsis de l’effondrement, l’homme ne sera pas meilleur après la catastrophe. Malheureusement. »
Noël approche et tout le monde, ou presque, souhaite une trêve. Pourvu que les cheminots suspende leur grève ! Pourvu qu’ils ne prennent pas, encore une fois, des millions de braves français en otage ! Parce qu’aujourd’hui les français ne souhaitent qu’une chose, pouvoir aller festoyer ici ou là avec leurs amis ou leurs proches. Alors faisons une trêve, la trêve de Noël bien sûr, afin que puisse opérer la Magie de Noël.
Le 1er janvier, comme à l’accoutumée nous commencerons par nous souhaiter bonne année et bonne santé… et de suite après nous pourrons reprendre les hostilités, en toute tranquillité. Nous pourrons alors repartir en guerre, peu importe contre qui ou contre quoi. Le 1er janvier nous repartirons pour un tour, pour de nouvelles batailles, de nouvelles victoires et de nouvelles défaites. Comme à l’accoutumée, tout le long de l’année nous userons et abuserons de tous ces mots guerriers. Après la trêve, certains reprendront leur combat, la plupart pour la Gloire, les plus motivés pour la victoire, d’autres baisseront les armes et déserteront les rangs. Parmi les combattants il y aura toujours ceux qui en ont fait leur métier. En face ils seront toujours soudés, ils seront toujours prêts à changer leur fusil d’épaule, à utiliser de nouvelles stratégies, à adapter leur propagande, à se faire de nouveaux alliés, fussent-ils d’un jour, à signer de nouveaux accords, de nouveaux pactes etc. etc. Tout ça bien sûr afin d’atteindre leur objectif et gagner leur bataille. «La guerre n’est qu’un prolongement de la politique par d’autres moyens» (Carl Von Clausewitz). Partout dans les entreprises le but sera toujours le même, dégommer les concurrents, neutraliser les adversaires, gagner du terrain, avancer. Là encore, les plus puissants utiliseront les gros moyens afin de pilonner et bombarder les populations de leur propagande mercantile, afin d’atteindre toujours plus de cibles. La guerre économique est rude, tout le monde le sait. Faut croire qu’on aime ça, la guerre. Misère misère ! Alors SVP, en attendant la guerre de tous contre tous, voire l’armistice… faisons une petite trêve.
Deux perspectives bien peu réjouissantes s’imposent aujourd’hui
– Nous allons vers un inéluctable effondrement des écosystèmes et de nos sociétés, la nature aussi bien que le progrès social, sont maintenant condamnés
– La seule façon de tenter d’agir contre la première perspective serait de se doter d’une « économie de guerre » qui passerait outre beaucoup de nos droits actuels pour faire valoir une seule et même priorité : cette lutte contre l’inéluctable. Hélas, l’expression même « lutte contre l’inéluctable » laisse entrevoir le résultat.
En fait nos sociétés sont en train de comprendre que tout ce à quoi nous avons cru est en train de devenir chimère. Il ne reste plus que quelques admirateurs d’Elon Musk, quelques indéfectibles « naïfs du progrès » pour y croire encore. Il est dur pour un homme d’abandonner ses rêves, c’est dur aussi pour une société.
Notre époque est celle de la perte de l’espoir… perte hélas justifiée.