Les sujets du bac ES (économique et social) illustrent la compromission absolue du système enseignant avec le libéralisme croissanciste. Le sujet de dissertation pose d’emblée que la croissance économique est inéluctable, seul importe ses modalités : « Les facteurs travail et capital sont-ils les seules sources de la croissance économique ? » De son côté l’épreuve composée veut conforter à la fois la flexibilité libérale et le libre-échange : « 1. Comment la flexibilité du marché du travail peut-elle réduire le chômage ? 2. À quels risques économiques peuvent s’exposer les pays qui mènent une politique protectionniste ? » Nous ne développerons notre argumentation que sur le sujet de dissertation, laissant au Nouvel Obs sa critique perspicace de l’épreuve composée.
Nous devrions savoir en 2014 que les facteurs travail et capital s’accompagnent forcément du facteur ressources naturelles : la croissance a besoin de la nature puisqu’elle se nourrit de ses produits et y dépose ses déchets. Que nenni. Ce sujet de bac porte seulement sur le modèle théorique de Solow : la croissance économique provient du travail (L), du capital (K) et… du reste qu’on appelle en jargon économique le « résidu ». Ce « résidu » serait expliqué par la « productivité générale des facteurs ». Les 4 documents rattachés au sujet confirment le choix de cette conception dénué de tout sens des réalités physiques : le doc.1 donne des statistiques sur la croissance, la productivité globale des facteurs de production et les TIC (Technologies de l’information et de la communication. Le doc.2 relate les dépenses intérieures de recherche développement en % du PIB. Le doc.3 retrace l’évolution de la productivité globale des facteurs en France de 1978 à 2010. Et, cerise sur le gâteau de l’économie vendue au capitalisme, le doc.4 indique clairement que « Toute invention peut faire l’objet d’un titre de propriété industrielle délivré par le directeur de l’Institut national de la propriété industrielle qui confère un droit exclusif d’exploitation. » Vive donc la croissance et le capitalisme libéral ! Notons que ce « résidu » pourrait constituer 40 à 60 % de l’explication de la croissance économique et que Robert Solow pouvait aussi anéantir certaines illusions : « Vous pouvez voir l’informatique partout, sauf dans les statistiques de la productivité. »
Voici quelques éléments de corrigé de ce sujet de dissertation. L’élève devrait montrer en introduction qu’un tel sujet relève du passé, les temps présents tendent à la croissance zéro dans les pays développés et à la surchauffe dans les pays émergents. Ce sujet témoigne aussi d’une croyance quasi-religieuse, imaginer que la perpétuation de la croissance dans un monde fini est possible. Mais comme il faut bien traiter le sujet comme il est posé, allons-y. Dans la première partie, le futur bachelier brode sur l’équation théorique de Solow en utilisant tous les documents rattachés au sujet. Mais dans une deuxième partie le bachelier éclairé indique que travail, capital et productivité ne sont pas les seules sources de la croissance. Ces facteurs classique sont surdéterminés par la capacité de la biosphère à fournir denrées alimentaires et autres substrats matériels des biens et services aux travailleurs. De même le capital technique nécessite un apport extérieur en énergie et matières premières. Or les calculs de l’empreinte écologique montrent que nous avons déjà dépassé de 40 % les capacités de la planète à soutenir l’activité humaine. En d’autres termes, nous puisons dans le capital naturel au détriment des générations futures. Il est aussi judicieux d’indiquer que le niveau de vie des Français nécessiterait 3 planètes s’il devait être généralisé, ce qui montre que notre croissance n’est ni juste ni équitable.
En conclusion, nous reprendrions l’ensemble des sujets de ce bac SES de 2014 en montrant que les intitulés ne correspondent pas à ce qu’on attendait à l’origine de ce nouveau bac créé à la fin des années 1960 : apprendre à réfléchir !
Professeur de SES, j’ai honte de voir ce qu’on a fait de la matière SES, un thuriféraire de la croissance qui a abandonné la nécessité de peser dialectiquement le pour et le contre de nos croyances économiques. Disserter encore de croissance libérale en 2014 est une aberration. Rappelons ce texte d’un nouveau manuel de terminale pour la rentrée 2007 : « Pour éviter une catastrophe sans précédent pour l’humanité, il n’y a pas d’autres choix que la décroissance dans les pays qui dépassent les seuils tolérables de ponction sur l’environnement. Le terme de décroissance a un sens principalement symbolique, politique : c’est une rupture avec la religion de la croissance. » (J.Gadrey, l’impact de la croissance sur l’environnement, Alternatives économiques n° 242 décembre 2005).
Michel Sourrouille
Tant que la société s’évertuera à faire d’ « économie hors-sol » un pléonasme, nous nous enfoncerons.