Malgré ses réticences, Pierre-André Taguieff ne peut s’empêcher d’accorder une grande place à l’écologie profonde dans son livre La bioéthique ou le juste milieu : « Le camp des défenseurs de la sacralité n’est pas occupé par les seuls théologiens chrétiens ; la diffusion de la pensée écologique a fait surgir de nouveaux adeptes de la religion de l’intouchabilité, ceux qui s’affirment, avec de bonnes raisons de le faire, les « amis de la Terre » ou les admirateurs et protecteurs de la biodiversitép.144 ». La parenté entre bioéthique et écologie profonde est récurrente dans le livre :
– Avec l’écologie dite profonde (deep ecology) renaît une philosophie de la nature biocentrique et antihumaniste, une écosophie dont les postulats et les orientations normatives sont irréductibilités au corpus judéo-chrétien. L’écologiste américain Aldo Leopold a théorisé d’une façon pionnière l’éthique de la Terre : « Une chose est juste quand elle tend à préserver l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique ; elle est mauvaise dans le cas contraire. » p.147
– Van Rensselaer Potter a publié, à la fin des années 1980, Global Bioethics : Building on the Leopold Legacy. Dans cette perspective, la bioéthique renvoyait à tous les problèmes éthiques posés par les être vivants, humains et non humains. Sous l’appellation nouvelle de bioethics, le biologiste se proposait de construire une éthique de la biosphère qui englobât autant l’écologie que la médecine p.254.
– Potter a forgé le terme bioethics pour désigner l’ensemble du projet, défini par Aldo Leopold, d’une land ethic, c’est-à-dire d’une éthique globale dont le champ comprend tous les éléments naturels et sociaux susceptibles de rendre la terre habitable pour l’homme p.321.
– La bioéthique lato sensu doit se faire « biopolitique » par le même mouvement que l’écologie s’est constituée en écologie politique. Il s’agit bien d’assurer l’extension d’un pouvoir d’autolimitation » p.149.
– L’éthique de la responsabilité suppose un total changement d’orientation de l’action humaine : non plus la volonté de maîtrise, mais l’impératif d’une maîtrise de la maîtrise. Il s’agit de la prescription politique majeure des anti-cartésiens contemporains, devenue le principal argument critique des contempteurs de la modernité technoscientifique » p.309.
– C’est dans la pensée d’un Hans Jonas ou dans les courants de l’écologie profonde qu’on rencontre une vision catastrophiste de la modernité impliquant le désaveu de la science et la satanisation de la technique p.287.
– La bioéthique écologique est à l’évidence préoccupée par des vues à long terme, par ce qu’il faut entreprendre pour préserver un écosystème dans lequel l’espèce humaine puisse continuer à vivre. Les deux branches de la bioéthique, médicale et écologique, devraient vraiment se recouper en matière de santé, de contrôle de la procréation et sur la question du sens d’une démographie en constante croissance p.323.
– Le philosophe Peter Kemp rappelait l’extension récente du domaine de l’éthique : « A la fin du XXe siècle, nous avons vécu une transposition de l’éthique du domaine interpersonnel et communautaire vers celui de la vie elle-même, de sorte que l’éthique est devenue bioéthique, c’est-à-dire une éthique qui vise la protection de la vie, non seulement la vie humaine, mais la vie des animaux et des plantes, pour ne pas dire la vie en général p.337. »
– Pour que l’impératif du « respect de la vie » ait un sens, il faut supposer que les êtres vivants (au-delà des seuls êtres raisonnables que sont les humains) sont dotés d’une sorte de valeur intrinsèque qui exclut qu’ils soient totalement à notre disposition. Il s’ensuit que nous pouvons être autorisés à les utiliser ou même à les détruire, mais uniquement pour des raisons adéquates. Affirmer la dignité de la créature, c’est affirmer la nécessité de fixer une limite à notre pouvoir de transformation et de manipulation des êtres naturels. L’élargissement de la bioéthique aux questions abordées par l’écologie pourrait permettre de sauver la bioéthique p.342.
– Je découvre que mon être-au-monde est une partie aussi indécise qu’évidente du monde et de la nature tout entière. Co-appartenance du « petit moi » et de l’Etre : il y a là une manière non anthropocentrique de fonder le respect de la vie ou de la nature. Il s’ensuit notamment que les animaux ont droit au respect p.362.
– Enseignez à vos enfants ce que nous avons enseigné aux nôtres, que la Terre est notre mère. Tout ce qui arrive à la Terre arrive aux fils de la Terre. Si les hommes crachent sur la Terre, ils crachent sur eux-mêmes p.363.
– Comme l’universalité des normes semble avoir disparu, seul un élargissement du champ de la bioéthique, passant de l’éthique médicale à une éthique de la vie, serait sans doute susceptible de rouvrir l’horizon.
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