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Ivan Illich (1926-2002) est un penseur incontournable de l’écologie politique et une figure importante de la critique de la société industrielle. Quelques œuvres en langue française : en 1971, Libérer l’avenir (titre original: Celebration of awareness) et une société sans école (titre original: Deschooling Society) ; en 1973, La convivialité (titre original: Tools for conviviality) et Energie et équité ; en 1975, Némésis médicale. Nous nous centrons sur son analyse de la technique.
1969 réponse au rapport Pearson de 1968 in L’Ecologiste n° 6 (2001)
– L’esprit est conditionné au sous-développement lorsqu’on parvint à faire admettre aux masses que leurs besoins se définissent comme un appel aux solutions occidentales, ces solutions qui ne leur sont pas accessibles.
– Dans leur bienveillance, les nations riches entendent aujourd’hui passer aux nations pauvres la camisole de force du développement, avec ses embouteillages et ses emprisonnements dans les hôpitaux ou dans les salles de classe.
– Chaque réfrigérateur mis sur le marché contribue à restreindre les chances que soit construite une chambre froide pour la communauté.
– Chaque voiture lancée sur les routes du Brésil prive cinquante personnes de la possibilité de disposer d’un autocar.
– Les rues de Sao Paulo s’embouteillent tandis que pour fuir la sécheresse près d’un million de Brésiliens du Nord-Est font 800 kilomètres à pied.
– Des chirurgiens d’Amérique latine suivent des stages dans des hôpitaux spécialisés de New York pour y apprendre des techniques qui ne s’appliqueront qu’à quelques malades.
– Une poignée d’étudiants bénéficie d’une formation scientifique poussée ; si par hasard ils retournent en Bolivie, ils deviendront des enseignants, spécialisés dans quelque matière au nom ronflant.
– La scolarité obligatoire est affiliée au marché mondial de la production et de la consommation.
– Les écoles justifient cruellement sur le plan rationnel la hiérarchie sociale dont les églises défendaient autrefois l’origine divine.
– La seule réponse au sous-développement est la satisfaction des besoins fondamentaux. Pourquoi, par exemple, ne pas considérer la marche à pied comme une solution de rechange aux embouteillages et ne pas amener les urbanistes à se soumettre à cet impératif ?
– En matière de santé, ce qu’il faut à l’Amérique latine, c’est un personnel paramédical qui puisse intervenir sans l’aide d’un docteur en médecine.
– Je lance un appel pour qui se développe une recherche qui vise à remplacer les produits dominants du marché, les centres hospitaliers et les spécialistes prolongeant la vie des malades, les écoles et les programmes impératifs interdisant de s’instruire à ceux qui ne se sont pas enfermés assez longtemps dans les salles de classe.
In « Défaire le développement pour refaire le monde ». Tel était l’objectif du colloque organisé à l’UNESCO en 2002.
1973 La convivialité (numéro 9 du mensuel la Gueule ouverte, juillet 1973).
De passage à Paris pour son prochain livre La convivialité, Ivan Illich avait refusé de parler à la télé. Mais il a accordé un entretien à la Gueule ouverte :
« Le discours télévisé est inévitablement démagogique. Un homme parle sur le petit écran, des millions d’hommes et de femmes l’écoutent. Dans le meilleur des cas, la réaction maximum du public ne peut être que bip bip je suis d’accord ou bip bip je ne suis pas d’accord. Aucun véritable échange n’est possible, mais je suis heureux de soumettre mon travail à la critique des lecteurs de La gueule ouverte, tous profondément préoccupés de ne se laisser enfermer dans aucun carcan idéologique. »
« Je distingue deux sortes d’outils : ceux qui permettent à tout homme, plus ou moins quand il veut, de satisfaire les besoins qu’il éprouve, et ceux qui créent des besoins qu’eux seuls peuvent satisfaire. Le livre appartient à la première catégorie : qui veut lire le peut, n’importe où, quand il veut. L’automobile, par contre, crée un besoin (se déplacer rapidement) qu’elle seule peut satisfaire : elle appartient à la deuxième catégorie. De plus, pour l’utiliser, il faut une route, de l’essence, de l’argent, il faut une conquête de centaines de mètres d’espaces. Le besoin initial multiplie à l’infini les besoins secondaires. N’importe quel outil (y compris la médecine et l’école institutionnalisées) peut croître en efficacité jusqu’à franchir certains seuils au-delà desquels il détruit inévitablement toute possibilité de survie. Un outil peut croître jusqu’à priver les hommes d’une capacité naturelle. Dans ce cas il exerce un monopole naturel ; Los Angeles est construit autour de la voiture, ce qui rend impraticable la marche à pied. «
« Une société peut devenir si complexe que ses techniciens doivent passer plus de temps à étudier et se recycler qu’à exercer leur métier. J’appelle cela la surprogrammation. Enfin, plus on veut produire efficacement, plus il est nécessaire d’administrer de grands ensembles dans lesquels de moins en moins de personnes ont la possibilité de s’exprimer, de décider de la route à suivre. J’appelle cela polarisation par l’outil. Ainsi chaque outil, au-delà du seuil de tolérabilité, détruit le milieu physique par les pollutions, le milieu social par le monopole radical, le milieu psychologique par la surprogrammation et la polarisation par l’outil. Aujourd’hui l’homme est constamment modifié par son milieu alors qu’il devrait agir sur lui. L’outil industriel lui dénie ce pouvoir. A chacun de découvrir la puissance du renoncement, le véritable sens de la non-violence. »
1973 les berceuses de l’écologie (tribune libre) in dossier spécial automobile du mensuel le Sauvage n° 6 (septembre-octobre 1973)
Plus le pouvoir de contrôle se trouve concentré, plus la division du travail est accusée, plus les hommes sont soumis à la dépendance qui les met à disposition des spécialistes, et moins une communauté pourra intervenir sur son environnement. Si réellement nous voulons sauver la Nature, il faut restructurer la société, et à la place du monopole accaparé par la production industrielle et professionnelle, il faut créer les outils d’une société moderne, mais conviviale.
Au lieu d’essayer de programmer un ensemble de connaissances à acquérir en matière d’écologie, il faudrait imaginer la structure de combinaisons techniques qui permettrait aux gens de participer directement à l’élaboration active et à l’utilisation autonome de leurs propres outils. L’action qui consiste à limiter sa démographie, sa production et les nuisances de son environnement technologique s’exerceront d’autant plus facilement que ses outils seront eux-mêmes plus adaptés à une activité contrôlée par les personnes. Ils favoriseront effectivement la participation s’ils sont conçus de telle manière qu’en s’en servant les individus autonomes et les communautés de base se sentiront incités à collaborer. En revanche les difficultés de maîtriser son environnement apparaissent insurmontables si les outils dont elle dispose sont fabriqués selon un processus qui ne vise que le monde industriel de production. »
1973 La convivialité d’Ivan Illich (Seuil)
« Si, dans un très proche avenir, l’humanité ne limite pas l’impact de son outillage sur l’environnement et ne met pas en œuvre un contrôle efficace des naissances, nos descendants connaîtront l’effroyable apocalypse prédite par maint écologue. La gestion bureaucratique de la survie humaine doit échouer car une telle fantaisie suicidaire maintiendrait le système industriel au plus haut degré de productivité qui soit endurable. L’homme vivrait protégé dans une bulle de plastique qui l’obligerait à survivre comme le condamné à mort avant l’exécution. Pour garantir sa survie dans un monde rationnel et artificiel, la science et la technique s’attacheraient à outiller le psychisme de l’homme. Mais l’installation du fascisme techno-scientifique n’a qu’une alternative : un processus politique qui permette à la population de déterminer le maximum que chacun peut exiger, dans un monde aux ressources manifestement limitées ; un processus d’agrément portant sur la limitation de la croissance de l’outillage, un encouragement à la recherche de sorte qu’un nombre croissant de gens puissent faire toujours plus avec toujours moins. »
2002 le développement ou la corruption de l’harmonie en valeur
textes écrit à l’occasion du colloque organisé en mars 2002 au palais de l’Unesco sur le thème « Défaire le développement, Refaire le monde » (parangon, 2003) Ce livre est le premier à paraître en France sur l’après-développement.
J’ai essayé de montrer la contre-productivité du développement, non pas tant celle de la surmédicalisation, ou des transports qui augmentent le temps que nous passons à nous déplacer, mais plutôt la contre-productivité culturelle, symbolique. Des dizaines de livres parlent des pieds comme d’instruments de locomotion sous-développés. Il est devenu difficile d’expliquer que les pieds sont aussi des instruments d’enracinement, des organes sensitifs comme les yeux, les doigts. Majid Rahnema a joué sur le mot de aids (sida), en assimilant le « développement » au sida. Il a parlé du développement comme d’une injection de choses et de pensées qui détruisent l’immunité face à notre système de valorisation des choses.
Le sens des proportions, de ce qui est adéquat, approprié et bon ne peut pas exister dans un monde technogène. Si le monde est « fabriqué », il ne sera pas une donnée avec laquelle je dois vivre. La proportionnalité, l’harmonie est une base fondamentale de toutes les traditions que je connais. Cette pensée d’harmonie ne s’applique pas à un monde où ce qui était harmonie est transformée en valeur. Même l’art est devenu quelque chose de calculable.
2004 La perte des sens (recueil posthume de textes d’Ivan ILLICH), Fayard
Ivan Illich (1926-2002) est à juste titre considéré comme l’un des penseurs les plus prophétiques de la décomposition des sociétés industrielles.
Préface d’Ivan Illich : Dans ce volume de textes, je plaide pour une renaissance des pratiques acétiques, pour maintenir vivants nos sens, dans les terres dévastées par le « show », au milieu des informations écrasantes, des soins médicaux terminaux, de la vitesse qui coupe le souffle. J’ai écrit ces essais au cours d’une décennie consacrée à la filia : cultiver le jardin de l’amitié au sein de cet Absurdistan et avancer dans l’art de ce jardinage par l’étude et la pratique de l’askêsis.
Par askêsis, j’entends la fuite délibérée de la consommation quand elle prend la place de l’action conviviale. C’est l’askêsis, non pas le souci que j’ai de ma santé, qui me fait prendre les escaliers malgré la porte de l’ascenseur ouverte, me fait envoyer un billet manuscrit plutôt qu’un e-mail, ou me conduit à essayer de trouver la réponse à une question sérieuse avant de consulter une base de données pour voir ce qu’en ont dit les autorités.
J’entends attirer l’attention sur le commencement de la fin d’une époque scopique caractérisée par le mariage du regard et de l’image. Leur liaison a commencé à se relâcher voici deux cents ans. De nouvelles techniques optiques furent employées pour détacher l’image de la réalité de l’espace dans lequel des doigts peuvent la manipuler, le nez la sentir et la langue la goûter, afin de la montrer dans un nouvel espace isométrique dans lequel aucun être sensible ne peut entrer. Nous menace l’émergence d’une époque qui prend le « show » pour l’image.
A) la perte du sens de l’écoute
Le haut-parleur sur le clocher (1990) : Au XXe siècle, le climat phonique a changé. Moteurs et parleurs artificiels saturent aujourd’hui le milieu acoustique. La production de bruit fabriqué s’est accrue, l’isolement sonore est devenu un privilège de riche. Ce nouveau climat acoustique n’est guère hospitalier envers la parole.
Depuis un quart de siècle, j’essaie d’éviter de me servir de micro, même quand je m’adresse à un vaste auditoire. Je refuse d’être transformé en haut-parleur. Je refuse de m’adresser à des gens qui ne sont pas à portée de voix. Je refuse parce que je tiens à l’équilibre entre présence auditive et présence visuelle et que je récuse l’intimité factice qui naît du chuchotement amplifié de l’intervenant distant. Mais il y a des raisons plus profondes à mon renoncement au micro. Je crois que parler crée un lieu. Un lieu est chose précieuse, qu’a largement oblitérée l’espace homogène engendré par la locomotion rapide, les écrans aussi bien que les haut-parleurs. Ces techniques puissantes déplacent la voix et dissolvent la parole en message. Seule la viva vox a le pouvoir d’engendrer la coquille au sein de laquelle un orateur et l’auditoire sont dans la localité de leur rencontre.
Le son de la cloche est d’une portée sans commune mesure avec la voix humaine. Dans le haut Moyen Age, il change de sens : de simple signal, il devient appel, il établit l’horizon d’une localité sonore (la paroisse) que l’on perçoit par l’oreille plutôt que par l’œil. Les nouvelles cloches en bronze apparurent en Europe à une époque où le sentiment du lieu connut une curieuse expansion. De nouvelles techniques de harnachement permirent de remplacer les bœufs par des chevaux. L’animal de trait plus rapide tripla la superficie de champs qu’un paysan pouvait travailler. Les hameaux se fondirent en villages. Dans le même temps, l’urbanisation favorisa la tenue de marchés réguliers capables de faire vivre un curé à demeure. La cloche proclama la porté nouvelle de ce nouveau type de lieu jusqu’au XIXe siècle.
La tour d’église étaye donc un haut-parleur. Elle est le support architectural d’un instrument métallique qui a pour mission de « pousser à écouter ». Elle fait partie d’une entreprise propre à l’Occident, et qui a conduit Jacques Ellul* à parler d’humiliation de la parole. L’Eglise nous a préparé à accepter une société technologique qui emploie des techniques pour mettre en déroute la conditio humana. A travers un mégason, on peut tailler un mégalieu. Mon propos initial était de plaider combien il importe aujourd’hui de renoncer au haut-parleur qui fait entendre le simulacre de ma voix dans un espace sans lieu.
B) la perte du sentiment de mourir
– Postface à Némésis médicale (1992) : Ce que j’enseigne, c’est l’histoire de l’amitié, l’histoire de la perception sensorielle et l’art de souffrir. J’étudie ce que dit la technique plutôt que ce qu’elle fait. Je voudrais distinguer entre ceux qui désirent des services plus nombreux, meilleurs, moins chers pour plus de gens, et d’autres qui veulent poursuivre des recherches sur les certitudes pathogènes qui résultent du financement des rituels de soins de santé.
Dans Némésis, j’ai pris la médecine de 1970 et l’ai étudiée avec une méthode démontrant l’efficacité paradoxalement contre-productive implicite dans des techniques disproportionnées. Je l’étudiais comme une entreprise prétendant abolir la nécessité de l’art de souffrir par une guerre technique contre une certaine détresse. La médecine m’apparaît comme le paradigme d’une mégatechnique visant à vider la condition humaine du sens de la tragédie. Un quart de siècle plus tard, je reste satisfait de la rhétorique de Némésis. Ce livre a ramené la médecine dans le champ de la philosophie. Le système moderne de soins médicaux a transformé une autoception culturellement façonnée par une image de soi iatrogène. L’enjeu en était le remplacement de l’homme-acteur par l’homme considéré comme patient nécessiteux.
L’American Medical Association dépense désormais plus que la plupart des autres secteurs d’activité en relations publiques. Dès que vous avez un statut professionnel au sein du système, vous perdez une bonne partie de votre liberté ; vous devenez un agent technique de la santé postmoderne. Quand l’oncologiste a prescrit une autre chimiothérapie à Jim, je lui ai demandé comment il se sentait. Il m’a dit de rappeler le lendemain, mais seulement après onze heures, quand il aurait reçu les résultats du labo. Le XXe siècle réduit les personnes nées pour la souffrance et le plaisir à des boucles d’information provisoirement autonomes. La poursuite organisée de la santé est devenue le principal obstacle à la souffrance vécue comme incarnation digne, patiente, belle et même joyeuse. Némésis médicale était un essai pour justifier l’art de vivre, l’art de jouir et de souffrir, y compris dans une culture façonnée par le progrès, le confort, l’élimination de la douleur, la normalisation et, en définitive, l’euthanasie.
– De la difficulté de mourir sa mort (1995)
En 1974, quand j’écrivais Némésis médicale, je pouvais parler de « médicalisation » de la mort. Les traditions occidentales régissant le fait de mourir sa propre mort avaient cédé à l’attente de soins terminaux garantis. Je forgeai alors le mot « amortalité » pour désigner le résultat de la liturgie médicale entourant le « stade terminal ». Ces rituels façonnent désormais les croyances et les perceptions des gens, leurs besoins et leurs demandes. Le dernier cri en matière de soins terminaux a motivé la montée en flèche de l’épargne de toute une vie pour financer la flambée de l’échec garanti. Par le terme contre-productif, je désignais en 1975 la logique paradoxale par laquelle toutes les grandes institutions de services éloignent la majorité de leurs clients des objectifs pour lesquels elles avaient été conçues. Par exemple, les écoles empêchent d’apprendre ; les transports s’évertuent à rendre les pieds superfétatoires ; les communications faussent la conversation.
Dans la tradition galénique, les médecins étaient formés à reconnaître la facies hippocratica, l’expression du visage indiquant que le patient était entré dans l’atrium de la mort. A ce seuil, le retrait était la meilleure aide qu’un médecin pût apporter à la bonne mort de son patient. Ce n’est qu’au milieu du XIXe siècle qu’apparaît le docteur en blouse blanche aux prises avec la mort, qui arrache le patient à l’étreinte de l’homme-squelette. Jusque là, la discrimination entre état curable et incurable faisait partie intégrante des études de médecine en Amérique. Le rapport Flexner* de 1910 a donné le feu vert à la montée en flèche des coûts des soins terminaux, au misérable prolongement de « patients » plongés dans un coma irréversible et à l’exigence qu’une « bonne mort » – littéralement eu-thanasia – soit reconnue comme une partie de la mission assignée au corps « soignant ». De même que l’habitude d’aller « en voiture » atrophie les pieds, la médicalisation de la mort a atrophié le sens intransitif de vivre ou de mourir. Il n’est plus aujourd’hui de considération éthique ou sociale qui tienne quand elle contrarie la recherche sur un « traitement » ou la « prévention » de la plus rare des maladies « incurables », peu importe que ce soit le généticien ou un autre qui réclame des crédits.
Certes, il s’est trouvé dans les années 1960 des autorités religieuses et morales pour évoquer le droit du patient à refuser les extraordinaires moyens recommandés par la médecine la plus moderne. Je me souviens du temps où une injection de pénicilline était encore une extravagance. Mais cette réserve ne fit qu’étayer l’obligation de principe d’obéir aux diktats du médecin. La gestion de l’agonie a fini par apparaître comme la tâche de l’équipe médicale, la mort étant décrite comme la défaite de ladite équipe. L’âge industriel réduit l’autonomie somatique, la confiance dans ce que je sens et perçois de mon état. Les gens souffrent maintenant d’une incapacité à mourir. Peu sont capable d’envisager leur propre mort dans l’espoir qu’elle apporte la dernière touche à une vie active, vécue de manière intransitive.
* Rapport Flexner : Etude sur les conditions de l’enseignement médical aux EU au début du 20me siècle et mettant en doute la conformité des facultés de médecine américaines par rapport aux normes des facultés européennes.
C) la réunification des sens
La sagesse de Leopold Kohr (1994) : Tout au long de sa vie, Kohr* a œuvré à poser les fondations d’une solution de rechange à l’économie. Le jour de Kohr viendra quand l’âge de la foi dans l’Homo oeconomicus cédera la place à la vision d’une vie comme digne, fondée non pas sur l’abondance, mais sur la retenue. Originaire du village d’Oberndorf, près de Salzburg, il partit de la propension des gens à s’en remettre aux usages propres à chaque vallée. Kohr demeure un prophète parce que même les théoriciens du small is beautiful n’ont pas encore découvert que la vérité du beau et du bon n’est pas une affaire de taille, mais de proportion. Kohr, qui vivait et enseignait à Porto Rico, était bien connu des habitants des bidonvilles. Un coupeur de canne à sucre à bien dit ce que j’ai ressenti : « A la différence des professeurs, des militants et des prêtres, cet Autrichien nous fait réfléchir à ce qu’est notre quartier, non pas au moyen de mettre en œuvre les plans des experts. » Kohr encouragea une vision susceptible d’être réalisée parce que restant dans les limites, demeurant à portée. Il prôna le renoncement à un regard en quête de chimères au-delà de l’horizon partagé. Sous son inspiration, beaucoup sont allés jusqu’à chérir tout ce qui est petit. Encouragé par sa participation aux conférences des Verts, de nombreux amis se sont associés à la défense du régionalisme en Europe.
C’est du coté de la morphologie sociale que se situe la contribution de Kohr. Deux mots clés résument sa pensée : Verhältnismässigkeit et gewiss. Le premier veut dire « proportionnalité », ou plus précisément relation de nature appropriée. Le second se traduit par « certain », comme dans l’expression « d’une certaine façon ». Par exemple Kohr disait que la bicyclette est le moyen de locomotion idéalement approprié pour quelqu’un qui vit dans un certain endroit comme Oberndorf. Cette association d’approprié et de certain endroit permet à Kohr de voir la condition sociale de l’homme comme cette limite toujours créatrice de frontières au sein de laquelle chaque communauté peut engager la discussion sur ce qui devrait être permis et ce qui devrait être exclu. S’interroger sur ce qui est approprié dans un certain endroit conduit directement à réfléchir au beau et au bien. La vérité du jugement qui en résultera sera essentiellement morale et non économique.
L’économie postule la rareté. Elle traite donc de valeurs et de calculs. Elle ne saurait chercher le bien qui convient à une personne spécifique au sein d’une condition humaine donnée. Où règne la rareté, l’éthique est réduite à des chiffres et à l’utilité. De surcroît, qui manipule les formules mathématiques perd le sens de la nuance éthique et devient moralement sourd. Une société basée sur l’économie tente de transformer la condition humaine plutôt que de débattre de la nature du bien humain. Dans le système industriel, les gens consomment la nature et l’épuisent. De surcroît, ils laissent derrière eux non seulement leur merde et leurs cadavres, mais aussi des montagnes de déchets toxiques, ce qui est un trait commun à toutes les formes de la technique moderne. Ce que les promoteurs de la croissance ne voient pas, c’est que, de pair avec un plus gros gâteau, tout gain écologique s’accompagnera d’une nouvelle modernisation de la pauvreté et d’une légitimation de la dépendance des pauvres à l’égard dudit gâteau.
Les Grecs avaient le concept de tonos, que l’on peut comprendre comme juste mesure, caractère de ce qui est raisonnable ou proportion. Si le bien commun ne repose pas sur un tonos, une proportion entre les humains et la nature, l’idée de taxe énergétique par exemple tourne à l’utilitarisme adaptatif, à une administration technique ou à des bavardages diplomatiques. Aujourd’hui, l’unification des mesures a trouvé un reflet dans le mode de perception lui-même. Avant l’arrivée de la température, vers 1670, les gens comprenaient que les sources sont toujours plus chaudes en hiver et plus fraîches en été : on faisait l’expérience d’une proportion. Avec l’idée de calibrer sur une échelle l’expansion du mercure dans un fin tube de verre, les gens éprouvèrent le besoin de surveiller la température. Une température de 18 °C au-dessus de zéro finit par acquérir une importance dans notre standard du bien-être, de même que la hauteur de son de 440 hertz en musique. C’est ainsi que disparut le sensus communis, le sens commun ou sens de la communauté.
Comment jouer des mélodies grecques au piano ? Autant attendre de la beauté de l’économie !
Absolument: nous avons le Devoir d ‘ appréhender nos petits problèmes en considérant ce qui se passe sur la Planète ( exemple: nos classes populaires de France font partie des nantis de la population mondiale )
Au sujet du réfrigérateur: pendant presque 5 mois de l’ année, notre réfrigérateur est un garde manger posé ( et abrité ) sur la terrasse nord de la maison et nous y avons plus de produits végétaux qu’ animaux.
D’ailleurs, pour compléter mon commentaire ci-dessous, j’ai oublié d’évoquer une remarque très importante. La république ne le cache même pas qu’elle est en guerre contre les communautés ! Dans des discours politiques, la république le dit très explicitement « Il faut combattre le communautarisme et passer le rouleau compresseur républicain (au nom de la laïcité bien souvent comme excuse) afin de former les différentes populations à devenir des citoyens républicains »….. Après il existe énormément de variantes de ce discours en exemple, mais tous se rejoignent, surtout pour défendre le système …MAIS là où ça devient inquiétant étant que quasiment tout le monde applaudit ! Les électeurs applaudissent…. Bref, je dirai que c’est la République contre les Traditions ! D’ailleurs, une fois de plus la République ne le cache pas, c’est même mentionné sur les Georgia Guidestones qu’il fait effacer dans l’idéal ou alors réduire les traditions !
@ biosphère
L’interrogation que je soulevais étant du savoir le nombre de lecteurs sensibles à lire ce genre de pavé, c’est sur la forme dont je parle, ce texte je dois être un des rares extra-terrestres qui aient pris la peine de bien vouloir le lire du début jusqu’à la fin mais bon pour quelle utilité ? Euh en gros cela revient à dire qu’il faille lutter contre le système, hormis que c’est devenu insurmontable. Car le système qui nous oppresse dispose de beaucoup plus de moyens, moyens qu’il s’est monopolisé grâce contrôle des énergies fossiles d’ailleurs … Peut-être m’objecterez vous que non, il suffit de collectivement le vouloir pour renverser la table et changer les choses, ben non hélas avoir de la volonté à des échelles individuelles ne fonctionnent pas, et réunir la volonté collective est devenue impossible, et c’est là le grand hic ! Il faut comprendre les mécanismes qui ont pour objectif d’affaisser la volonté collective avant de pouvoir réagir… Mais bon, pour commencer quelques pistes, je suggérerai que le système exploite l’ego des gens. En faite, c’est très curieux ce qu’il s’est passé, en effet beaucoup de gens me répondent « je suis autonome », « je fais ce que je veux » « t’as pas à me dire ce que je dois faire », bref ce qui est curieux c’est que les gens ne veulent pas devenir dépendants de leurs proches, en revanche les gens préfèrent être dépendants du système, ce qu’il faut bien le dire paradoxal. C’est très bien façonné, parce qu’en parallèle les gens n’ont pas le sentiment d’être dépendant du système. Globalement les gens préfèrent le système à la communauté, et en vérité ce qui les dérange étant que leurs proches soient à proximité et donc de la peur du regard qui pourrait-être posé sur soi, il est là le grand Hic ! C’est pour cette raison que le système et la dominance finissent toujours par gagner, car on a l’impression qu’ils ne sont pas présents et donc pesants, par exemple on a pas le sentiment à ce que Macron, Sarkozy, Directeurs de banque et Pdg d’industrie soient juste à côté de nous pour nous surveiller, et pourtant tous ces gens là nous surveillent beaucoup plus que nos proches, C’est pour ça que tout le système industriel, bancaire, politique se maintient et aussi continue de grossir et de s’étendre dans nos vies, car le système sait flatter l’ego des gens pour leur offrir le sentiment de liberté ! Chose qu’il n’aurait pas avec la communauté, c’est pour ça que la plupart des gens la fuit ! (mais à quel prix !)
Vous pensez qu’il y a beaucoup de lecteurs pour lire un pompeux discours ? Vous pouvez synthétiser ? On est censé en conclure quoi de ce charabia ?
En bref, Bga80, retenez simplement cette expression d’Ivan Illich : « Chaque réfrigérateur mis sur le marché contribue à restreindre les chances que soit construite une chambre froide pour la communauté. » Cela veut dire qu’en éliminant les sociétés où on pouvait avoir des relations de convivialité, et donc maîtriser notre environnement humain et naturel, nous avons créé un monstre qui n’a plus une dimension humaine.
Ce blog est fait pour approfondir notre réflexion, et parfois cela demande des efforts…